Le 12 juillet 2021, l’Autorité de la Concurrence a rendu une nouvelle décision à l’encontre de Google dans le bras de fer qui l’oppose aux éditeurs et agences de presse concernant leur droit voisin sur leurs publications[1]. L’amende, d’un montant de 500 millions d’euros, est le point culminant d’un conflit de longue durée.
Le contexte du conflit
Pour les professionnels du secteur, la crise de la presse tire son origine en partie des plateformes de référencement telles que Google. Les éditeurs et agences de presse accusent en effet la plateforme de profiter des publications de presse qu’elle indexe au sein de Google Actualités pour obtenir des revenus publicitaires directs ou indirects. En réponse, la société affirme que cette relation de « donnant-donnant » est équitable, les éditeurs et agences de presse recevant du trafic en raison de la visibilité offerte par ce référencement.
L’existence de Google Actualités n’est néanmoins pas la seule raison de cette crise pérenne de la presse. En effet, la presse quotidienne nationale affiche une perte de revenus importante en raison notamment de l’érosion du lectorat au profit des nouveaux médias et de l’augmentation des coûts d’impression et de distribution des publications quotidiennes. De plus, ces difficultés financières sont aussi partiellement liées à une baisse de revenus publicitaires : les annonceurs préfèrent se tourner vers de la publicité en ligne qui permet un ciblage des consommateurs à grande échelle tout en étant plus précis.
Ce contexte français est assez similaire à celui de l’Espagne. En effet, le gouvernement espagnol avait tenté d’instaurer une « taxe Google » au travers de la loi Canon AEDE (du nom de l’association espagnole protégeant les intérêts des éditeurs de presse), entrant en vigueur au 1er janvier 2015. Toutefois, la société avait décidé de fermer ses services d’actualité afin de protester contre cette loi dès le 16 décembre 2014[2]. Face à cette résistance de Google, un droit voisin des éditeurs de presse a été créé à l’échelle européenne.
L’initiative européenne : la création d’un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse
L’article 15 de la Directive 2019/790 du 17 avril 2019[3] instaure ce droit voisin afin de rééquilibrer les relations entre les services d’actualités et les entreprises de presse.
La France a été particulièrement rapide dans la transposition du texte, intervenue par la loi du 24 juillet 2019[4]. L’article 4 du texte introduit ainsi les articles L. 218-1 à L. 218-5 du code de la propriété intellectuelle, qui reprennent en grande partie les principes posés par la directive. Les éditeurs et agences de presse peuvent donc interdire ou autoriser contre rémunération les reproductions de leurs articles, pendant une durée de 2 ans après la publication.
Des exceptions au droit voisin sont toutefois prévues, invoquées immédiatement par Google afin d’éviter de rémunérer les éditeurs et agences de presse. En effet, la reprise d’éléments isolés, comme de simples mots ou extraits (snippets) ne peut pas justifier une rémunération. C’est également le cas du référencement d’un lien hypertexte seul, c’est-à-dire sans contenu associé.
Google a ainsi proposé une alternative[5], résumée dans le texte de la décision : « Google a décidé unilatéralement qu’elle n’afficherait plus les extraits d’articles, les photographies et les vidéos au sein de ses différents services, sauf à ce que les éditeurs lui en donnent l’autorisation à titre gratuit »[6]. Sans surprise, une grande majorité des éditeurs et agences de presse ont décidé de garder ces snippets afin de recevoir les visites des internautes. Les autres ont vu disparaitre une part importante de leur trafic. En conséquence, les éditeurs et agences ont unanimement dénoncé un chantage de la part de Google.
L’intervention de l’Autorité de la concurrence
À la suite de cet ultimatum de Google, l’Autorité de la concurrence a été saisie par des éditeurs de presse. Cette dernière a ordonné à Google de cesser ces pratiques.
En effet, l’Autorité a considéré que Google est en position dominante sur le marché du référencement. De ce fait, le refus de négocier constitue alors un abus de position dominante. Des injonctions ont alors été prononcées dans la décision d’avril 2019[7], Google devant entrer en négociation de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse. A cette fin, la société devait négocier de manière objective, non-discriminatoire et de manière transparente pour déterminer les conditions de la rémunération au titre du droit voisin.
Après un appel en vain de Google contre cette décision[8], la plateforme s’était résolue à négocier avec les éditeurs de presse d’information politique et générale, afin de trouver un accord cadre précédant des accords particuliers à chaque éditeur.
Toutefois, malgré la mise en œuvre des négociations[9], certains observateurs remarquaient alors que Google devrait en toute vraisemblance être condamné à une amende dans un futur proche, en raison du non-respect des injonctions[10]. L’Autorité de la concurrence envisageait donc d’imposer une sanction « dissuasive pour l’avenir ».
La condamnation des agissements de Google
Dans sa décision du 12 juillet 2021, l’Autorité de la Concurrence condamne effectivement Google pour le non-respect des injonctions prononcées en avril 2020. Les opposants historiques de Google, c’est-à-dire l’AFP, le Syndicat des éditeurs de presse magazine et l’Alliance de presse d’information générale ont de nouveau saisi l’Autorité à l’encontre de Google LLC, Google Ireland Limited et Google France.
Pour résumer, l’Autorité de la concurrence a retenu plusieurs manquements principaux justifiant la condamnation des sociétés Google, principalement la violation de l’obligation de bonne foi dans les négociations[11].
En premier lieu, Google a imposé unilatéralement que les discussions portent sur un partenariat global sans rapport avec le droit voisin, appelé Publisher Curated News, notamment avec le service Showcase. Le professeur Jacques Larrieu note donc que la plateforme a tenté de détourner l’objectif des injonctions pour accroitre encore sa position dominante sur le marché du référencement[12].
Également, les agences de presse et la presse qui ne disposait pas d’une certification « Information politique et générale » ont été écartées des négociations. Cette discrimination entre les entreprises de presse traduit un dédain de Google face à celles qui ne lui semblent pas assez « importantes ».
Enfin, les informations dues par Google ont été tardives ou totalement absentes, ne permettant pas une évaluation transparente de la rémunération envisagée pour les éditeurs et agences de presse.
« Le mépris de la plateforme pour les instructions données par l’Autorité est perçu comme un affront »[13]
En raison de ces éléments et « l’exceptionnelle gravité d’un tel manquement », l’amende prononcée contre Google s’élève à 500 millions d’euros. Par ailleurs, la société doit présenter une offre de rémunération au titre du droit voisin aux éditeurs et agences de presse, et leur communiquer les informations nécessaires dans un délai de deux mois, sous peine d’astreintes journalières.
Avec cette amende, l’Autorité de la concurrence souhaite ainsi relancer les négociations entre Google et les éditeurs et agences de presse. Il nous est toutefois possible d’émettre une critique concernant le montant de cette sanction. En effet, le chiffre d’affaires mondial de Google est évalué à plus de 160 milliards de dollars. Or, le montant maximal d’une amende décidée par l’Autorité peut s’élever jusqu’à 10% du chiffre d’affaires, soit 16 milliards de dollars.
Malgré tout, la société américaine a fait appel de cette décision le 1er septembre, avançant la disproportion du montant de la sanction au vu des efforts qu’elle considère avoir mis en œuvre pour appliquer le droit voisin.
Cette amende de 500 millions d’euros qui nous semble inédite peut donc passer pour anecdotique face au poids financier de Google. La question de l’efficacité réelle de cette sanction doit donc être posée.
Sources :
[1] Décision 21-D-17 du 12 juillet 2021 relative au respect des injonctions prononcées à l’encontre de Google dans la décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020
[2] Christiane FERAL-SCHUHL, Cyberdroit, Livre 3, 8ème édition, Editions Dalloz, février 2020, Chapitre 371, p. 962
[3] Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE
[4] Loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse
[5] Audrey LEBOIS, « Google et le droit voisin des éditeurs de presse », D. 2019, n°37, p. 2053
[6] Décision 21-D-17 du 12 juillet 2021, loc. cit.
[7] Décision 20-MC-01 du 09 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et l’Agence France-Presse
[8] Cour d’appel de Paris, pôle 5, septième Chambre, 8 octobre 2020, arrêt numéro 20/08071
[9] Marie JANEZ, « Google et droits voisins feraient-ils enfin bon ménage ? Retour sur l’accord-cadre conclu avec l’Apig en janvier 2021 », IREDIC, note d’actualité, 1er février 2021
[10] Lionel COSTES, « Droits voisins : une prochaine amende “dissuasive” pour Google ? », RLDI n°179, publié le 1er mars 2021, pages 20-21
[11] « Droit voisin : l’Autorité de la concurrence condamne Google à une sanction de 500 millions d’euros pour ne pas avoir négocié de bonne foi avec les éditeurs de presse », Légipresse 2021, n° 395, p. 395
[12] Jacques LARRIEU, « La condamnation de Google face aux éditeurs de presse », D. 2021, n°30, p. 1624
[13] Jacques LARRIEU, ibidem, p. 1624