Le monde connaît une pénurie de composants électroniques depuis une paire d’années qui se caractérise par un impact persistant dans de nombreuses industries. Alors que les dirigeants des entreprises du numérique se voient tour à tour être interrogés sur la fin de cette crise, il est intéressant de se pencher, avec un peu de recul, sur celle-ci.
Une pénurie qui devait être comblée
Il est toujours essentiel de comprendre les événements qui ont permis de conduire, petit à petit, à une pénurie mondiale. La crise des semi-conducteurs est amorcée dès 2018. En pratique, le monde ne manque pas réellement de semi-conducteurs. Cependant, on observe un manque d’efficacité dans la manufacture des composants, et la demande grandissante commence à prendre le dessus sur l’offre. La réaction attendue est prise par les industriels : ils investissent pour pouvoir produire plus et faire face aux attentes du marché. Jusque-là, rien d’anormal, et en dehors de professionnels spécialisés dans le secteur, personne n’est au courant de ce phénomène. On attend un retour à la normale dès début 2020.
Cependant, le début de l’année 2020 restera surtout célèbre pour le début, et la partie la plus dure de la crise sanitaire. La Chine est aussi cruciale dans la production de semi-conducteurs qu’impactée par l’apparition du coronavirus. Les mesures prises par le gouvernement chinois sont fortes : des confinements prolongés et la fermeture provisoire des usines, en particulier dans la région alentour à Wuhan, une région très industrielle.
Dans un secteur où l’offre commençait déjà à être trop fine, les résultats sont ceux qu’on aurait pu attendre. La pandémie et le contexte mondial forment un énorme concours de circonstances menant à une augmentation croissante de la demande de produits nécessitant des semi-conducteurs pour fonctionner. On citera notamment le développement soudain du télétravail à travers le monde, la popularisation croissante des cryptomonnaies, la sortie des nouvelles consoles de Sony et Microsoft, la « guerre commerciale » entre les Etats-Unis et la Chine. On peut aussi penser à la popularisation des véhicules électriques, qui demandent un nombre colossal de semi-conducteurs.
Cette demande non-satisfaite a donc eu des effets sur les consommateurs, et les professionnels, dans des domaines divers. Alors qu’obtenir les produits qui nous font envie n’a que rarement été un problème depuis des décennies, les consommateurs se sont retrouvés dans un monde où l’argent n’est plus la seule condition à l’achat des produits qu’ils désirent.
La pénurie et ses effets pervers sur les consoles de jeu : étude du phénomène de scalping
Comme mentionné plus tôt, Sony et Microsoft ont sorti en novembre 2020, respectivement la PS5 et la XBOX Series. L’importance du marché du jeu vidéo dans l’économie mondiale n’est plus à démontrer, et la sortie de nouvelles consoles par ces deux géants est toujours un évènement, en moyenne tous les sept ans. Les joueurs sont globalement enthousiasmés par ces sorties, et il est difficile de se procurer ces consoles à la sortie, par excès de demande. Si ceux qui ont suivi les actualités économiques et industrielles se doutent qu’il y a un lien avec la situation des composants électroniques, la plupart des consommateurs n’y voient qu’une sortie populaire non-anticipée. Néanmoins, la production massive attendue par certains pour pallier la demande n’arrive pas. Le phénomène de « scalping » connaît alors son âge d’or. On entend par scalping la pratique d’acheter des produits neufs dans l’objectif de les revendre plus cher. Bien entendu, cette pratique ne peut marcher que dans l’hypothèse d’une rareté particulière du produit, et d’une volonté à payer plus cher que le prix original chez les individus. Cette pratique est le plus souvent connue pour son utilisation massive dans la vente de tickets de concerts.
Dans le cas des consoles, nous avons déjà analysé la rareté de celles-ci. Il est aussi évident qu’il n’était pas possible pour les fabricants d’augmenter les prix de celles-ci : les prix sont des arguments de vente communiqués des mois à l’avance, qui ont une certaine uniformisation à l’internationale.
Ces deux caractéristiques rendent donc la pratique de scalping de plus en plus courante pour les consoles de jeu. Très souvent, c’est par l’utilisation de bots que ces individus arrivent à être les plus rapides, pouvant ainsi revendre à meilleur prix les consoles obtenues.
Le législateur européen a voté en avril 2019, en faveur d’une législation interdisant l’utilisation de bots pour acheter des tickets de concerts. Ce vote permettait dans un premier temps de s’assurer que ces pratiques ne sont pas vues d’un bon œil. Même s’il n’est pas interdit de revendre à plus haut prix des tickets de concerts, on cherche toutefois à limiter ces agissements. On peut alors se demander si la crise des composants électroniques va peut-être imposer une réflexion sur les pratiques de scalping, et la manière dont on veut les aborder, en dehors des cas précis de tickets de concerts. C’est d’ailleurs une initiative qui a été portée par des parlementaires britanniques.
Vers la fin de la crise ?
Tout le monde s’accorde sur le fait que le monde est dans une trajectoire qui le conduira à la fin de cette pénurie. La réouverture de l’usine, et des économies de manière générale, couplée à une innovation permettant de produire de manière plus économe en semi-conducteurs, permettent à l’offre globale de rattraper peu à peu la demande.
Il est alors courant de demander aux dirigeants des entreprises productrices de produits électroniques quand la crise sera terminée. Et on retrouve ici bien des divergences.
Chez Samsung Mobile, qui a dû repousser le lancement du Galaxy S21 FE à janvier 2022, on estime que la crise devrait être terminée dans la deuxième partie de 2022. Le PDG de Qualcomm, lui aussi producteur de téléphones mobiles, semble lui plus confiant quant à la fin imminente de cette pénurie.
Chez Intel cependant, on est beaucoup plus méfiants, et le PDG Pat Gelsinger estime qu’il n’y aura pas d’équilibre entre la demande et l’offre, au minimum avant 2023.
Si tout le monde s’accorde quant à la résolution, plus ou moins proche, de cette pénurie, il est recommandé pour le public de tempérer leurs attentes, et de réaliser qu’il faudra encore être patient pendant un moment. C’est notamment le cas pour ceux qui attendent patiemment leur PS5, les dirigeants Sony ayant annoncé ne pas être en mesure de produire autant qu’ils le voudraient pour 2022.
Néanmoins, on a tiré de cette pénurie de nombreuses innovations, notamment dans la technique industrielle.
On pourrait aussi en tirer des leçons sur la nécessité potentielle de réguler des pratiques qui sont nuisibles aux consommateurs, et qui semblent être de plus en plus courantes, non seulement dans le domaine de la musique et du spectacle, mais maintenant aussi pour les consoles et les cartes graphiques.
Sources :
- Daniel Allen, Understanding the Global Electronic Component Shortage, 13 décembre 2021.
- Andy Robinson, UK government minister says it’s ‘discussing’ potential action against console scalpers, 9 février 2021
- US tech giant may have way of beating chip shortage
- Global chip shortage continuing until H2 2022, claims Samsung
- Takashi Mochizuki, It’s Going to Get Even Harder to Buy a PlayStation 5, 11 novembre 2021