Activision Blizzard, Un colosse vidéoludique aux fondations d’argile.
A l’ère du numérique, le marché du jeu-vidéo bat son plein. S’il y a plusieurs années, le « gaming » était vu comme une culture en marge, il est indéniable qu’aujourd’hui dans l’entourage de tout quidam il y a une expérience vidéoludique.
L’industrie a généré plus de 170 milliards de dollars dans l’année 2020 et une prévision semblable est espérée pour 2021.
Activision Blizzard est le parangon de cette réussite, le développeur et éditeur américain est détenteur de plusieurs franchises reconnues, telles que Call of Duty ou World of Warcraft pour n’en citer que deux, où chaque année des millions de joueurs attendent de nouvelles sorties. Si cette entreprise se place en colosse vidéoludique dans le secteur avec une puissance notoire, elle n’en comporte pas moins une base sociale fragile comme viennent le souligner les différentes affaires juridiques récentes.
Le Harcèlement au travail : Un phénomène commun dans le secteur vidéoludique ?
Du Rêve à la réalité : La désillusion des développeur de jeux-vidéos
À la sortie de l’université de nombreux développeurs réalisent leur rêve d’enfance : travailler dans le secteur vidéoludique.
Théoriquement un rêve, en pratique un tourment : Heures supplémentaires non payées, pression constante des employeurs, inégalités multiples, harcèlement moral et sexuel… les salariés quittent leur entreprise, épuisés, à bout, leurs songes initiaux loin derrière eux. L’industrie du jeu-vidéo entre malgré elle dans une culture toxique, à l’inverse des mondes virtuels qu’elle façonne. Le quotidien d’un développeur est teinté de difficultés.
Si la volonté générale est de rompre avec le clivage Homme/Femme au sein des entreprises, ce secteur fait pâle figure, moins de 20% des effectifs sont composés de femmes, entraînant une prise de pouvoir masculine. Au-delà de cet aspect, le sexisme serait particulièrement insistant mais le malaise ne s’arrête pas à ces thématiques. Pour le jeune développeur, c’est une chance de travailler pour des telles firmes, s’il signe un contrat pour un nombre d’heures définies, il serait incorrect de refuser des heures supplémentaires ( généralement non payées ) pour terminer un jeu, cette pratique se nomme le Crunch.
Ce terme évoque des longues périodes de travail intensif pour terminer le produit final présenté au public. On ne compte plus les heures, on ne compte plus la fatigue, seul importe la conclusion du jeu vidéo pour rentrer dans des délais souvent aberrants. Ironie du sort, parfois cela donne un résultat décevant, de nombreux efforts pour une conclusion médiocre, « l’homo-numéricus » consommateur de jeux-vidéos est déçu et la toile de l’internet le saura. Une bien triste récompense pour les efforts des développeurs, entraînant de manière récurrente des démissions et des dépressions.
Toutefois, comment sont encadrées juridiquement ces pratiques semblant hors du temps ?
L’encadrement juridique actuel : Un œil sur l’actualité
C’est sous le joug du droit californien que la majorité des sphères vidéoludiques sont encadrées juridiquement.
Si la Californie se dresse comme le berceau de cette industrie, les pratiques légales concernant le social ont pendant longtemps été des plus archaïques.
Dès 2018, des premiers textes ont été rédigés par des sénateurs comme Connie Leyva en faveur de la protection des employés contre la discrimination sexuelle et morale notamment avec le Stand Together Against Non-Disclosure Act (4). L’encadrement se poursuit très récemment avec le « Silenced no more act » (5) signé par le gouvernement californien en ce mois d’octobre, qui rentrera en vigueur en janvier 2022. Il se caractérise comme une protection des travailleurs qui dénoncent le harcèlement ou la discrimination via des accords de non-divulgation. Ces derniers agissants comme les pares-feux législatifs des grandes entreprises leur permettent d’étouffer de potentiels scandales avec la justification du secret industriel. Cette machination engendrait ainsi de manière inexorable une culture de silence.
Face à cette culture du secret exercée par les employeurs, un contre-pouvoir est nécessaire, les textes de lois vont apporter un cadre juridique ayant pour ambition d’encadrer et solliciter les victimes à agir. Il sera toutefois généralement nécessaire d’avoir un appui au travers d’un syndicat.
Un second problème surgit alors, la difficulté de la syndicalisation aux États-Unis, et plus précisément dans l’entreprise du jeu-vidéo.
Des représentants syndicalistes importants comme Liz Shuler lancent continuellement des appels à poursuivre l’effort de syndicalisation, l’encouragement du nouveau président Joe Biden appelant les travailleurs américains à se syndicaliser entrouvre alors une porte aux droits sociaux dans le pays du capitalisme.
Ce malaise vidéoludique et ces récentes décisions tombent au même instant que l’érosion du colosse Activision Blizzard, simple coïncidence ou point de bascule de l’industrie vidéoludique ?
Le procès Activision Blizzard : Parangon d’une culture prédominante.
Une enquête de plus de deux ans, effectuée par une agence de l’Etat de Californie sur les pratiques de Activision Blizzard à l’égard de ses employés, s’est conclue en une plainte sur des faits de discrimination, de sexisme et de harcèlement dans l’entreprise. Les principaux responsables identifiés ont ainsi été licenciés et auront affaire à la justice prochainement. Toutefois l’image de l’entreprise, et plus généralement de l’industrie, est touchée et fragilisée, il semblerait que la boite de pandore du malaise au travail dans le secteur vidéoludique soit désormais ouverte.
Nonobstant la chose, le contentieux juridique concernant Activision Blizzard ne s’interrompt pas ici, le syndicat du secteur, le Communication Workers of America (CWA) vient apposer lui aussi une plainte envers l’éditeur pour « intimidation de travailleurs et atteinte au droit syndical ».
Dans un premier temps un représentant de Activision Blizzard a émis une première déclaration, en réponse aux accusations de la DFEH, venant affirmer que ces dernières sont fausses et qu’elles ne présentent en aucun cas la culture prônée par l’entreprise et le climat de vie des employés, celui-ci conclut alors que l’agence d’État californienne avait réalisé un travail incorrect.
Cependant, au fur et à mesure des prises de parole, des déclarations et des licenciements de personnalités connues de l’entreprise, un changement de communication dans la boîte s’est opéré. Des communiqués transmis aux joueurs semblaient démontrer une prise de conscience et un effort de vigilance sur les comportements déviants ainsi qu’une volonté de purger, que ce soit au sein de l’entreprise ou dans les licences appartenant à l’éditeur, les contenus pouvant offenser ou déranger quiconque.
On notera plusieurs démissions notables comme celle du directeur de Blizzard ayant supervisé pendant de longues années le jeu World of Warcraft : J.Allen Brack, ou même la démission de la directrice juridique : Claire Hart. Une coïncidence du calendrier possiblement fortuite…
Enfin, dans cette affaire qui est d’ailleurs toujours en cours, un accord semble avoir été trouvé par Activision Blizzard. Mais ce dernier soulèverait alors une nouvelle interrogation : Faudra-t-il payer 18 millions de dollars et créer un fonds monétaire afin de régler les problèmes énoncés plus tôt ?
Au-delà du dédommagement des victimes, il s‘agit d’un fond destiné à soutenir des œuvres caritatives liées à la diversité, la mixité et les combats contre le harcèlement et le sexisme, cette idée semble ainsi être la solution pour l’entreprise afin de sortir de cette culture qui la gangrène.
L’affaire Activision Blizzard fait figure de proue dans la problématique du harcèlement au travail dans le secteur vidéoludique. Toutefois, pour cette juste revendication, il est nécessaire d’apposer un juste encadrement. Dans une société où Twitter devient une place de débat public, où chacun peut se sentir offusqué ou offensé très rapidement, il est essentiel de régir ces problématiques d’une manière éclairée.
Un combat nécessaire ne doit pas laisser place à un syndrome « puritain » ayant la volonté d’apposer un lissage des mœurs dans des univers fictifs comme peut le faire actuellement Activision Blizzard au sein de son jeu World of Warcraft où de nombreuses lignes de dialogues jugées trop sexualisées sont supprimées ou alors par exemple, la peinture d’une femme a la robe échancrée se transforme en panier de fruit.
– “Activision Blizzard sued over “Frat Boy” culture, harassement”, 21 juillet 2021, Bloomberg Law.
– “Senator Leyva introduces STAND ( Stand Together Against Non-Disclosures ) Act” (4)