Les fans tokens : des crypto actifs envahissent les stades

            Lionel Messi, le joueur de football au 6 ballons d’or, change de club en août 2021. Son nouveau contrat avec le Paris Saint-Germain, évidemment très lucratif, est particulièrement intéressant en ce qu’une partie de son salaire sera composée de cryptoactifs que l’on appelle « fans tokens », plus précisément en « $PSG », un cryptoactif lancé en 2018 reposant sur la technologie de la blockchain. La collaboration entre un club et ses fans était à l’origine une particularité propre au FC Barcelone, club catalan qui fonctionnait comme une société à but non lucratif, et dont les adhérents forment une assemblée qui va détenir un pouvoir sur le club et en désigne le président. Ces adhérents, aussi appelés les « socios » ont d’ailleurs donnés leur nom à la société en charge du développement de ce cryptoactif : socios.com. La signature de l’argentin va faire bondir le cours de ce cryptoactif originellement proposé pour les supporters du club. D’une valeur d’approximativement 15 en juillet 2021, la valeur du « $PSG » va grimper à 42 les jours suivant sa signature. On parle d’un volume de transaction excédant les 1,2 milliards de dollars dans les jours qui ont précédés l’arrivé de l’argentin au club parisien. Le phénomène de ces cryptomonnaies pour les fans n’est pas cloisonné au Paris Saint-Germain, de nombreux autres clubs majeurs d’Europe comme Manchester City ou encore la Juventus de Turin en font l’usage.

Une nouvelle manière de supporter son club ?

            Les « fans tokens » doivent permettre de rapprocher les fans de leur club en proposant à ces derniers d’influencer certaines décisions généralement accessoires. Il sera par exemple possible pour les détenteurs de choisir le message qui figurera à l’intérieur du brassard du capitaine de l’équipe, de choisir l’apparence du bus de l’équipe ou encore d’obtenir des cadeaux allant jusqu’à une rencontre avec certains joueurs. Pour participer aux sondages proposés par le club il faudra donc dépenser la monnaie dédiée, et plus on en dépense, plus on a d’influence sur ces sondages. Les sondages soumis aux fans vont être enregistrés sur la blockchain afin d’assurer leur transparence. Le but serait donc de permettre aux supporters de réellement participer à la vie du club, mais aussi permettre au club de s’affirmer comme une marque innovante. Finalement ce sont des décisions sans réelles importances qui sont soumises aux fans par ce biais, sans compter qu’il faut utiliser un grand nombre de tokens pour avoir un poids dans la décision. Ainsi, les fans ne semblent pas parvenir à y trouver leur compte. Sur le fond, l’idée peut sembler vraiment pertinente dans le but de la création d’un lien, mais on se rend rapidement compte qu’il s’agit là d’une envie de profiter de l’engouement autour de ces nouvelles technologies. De plus ces jetons permettent aux clubs qui y ont recours une diversification du financement de leurs activités. La crise du Covid-19 révélant une certaine dépendance des clubs aux billetteries des matchs, la recherche de nouvelles méthodes pour se financer va rapidement se diriger vers le numérique et ses multiples possibilités. Simultanément les structures y gagnent à la fois de l’engagement vis à vis des consommateurs tout en générant des bénéfices substantiels.

Des actifs très instables :

            Les cryptoactifs mis en place par un grand club ont bénéficié de cours relativement élevés à leurs lancements. Cependant les cours s’effondrent avec le temps, sauf avec des situations particulières comme le recrutement d’un joueur comme Lionel Messi ou une victoire en compétition européenne. Les cryptoactifs dédiés aux clubs de football sont des actifs assez instables sur lesquels il est déconseiller d’investir. Pourtant basé sur la blockchain de l’Ethereum, l’une des cryptomonnaie les plus influentes et stables actuellement, les fans tokens peinent à convaincre car ils sont trop soumis aux résultats et actualités du club auxquels ils sont liés. Ces investissements sont tributaires des mêmes incertitudes que les paris sportifs. D’ailleurs Alexandre Dreyfus fondateur de socios.com est, sans surprise, le cofondateur de Winamax, site de pari sportif en ligne. Alexandre Dreyfus ne voit pas en les fans tokens une compensation mais un « bonus » qu’il espère rendre incontournable.

Une nouvelle voie de liberté critiquable pour les clubs :

            Le fair-play financier, règle adoptée par l’UEFA (Union des Associations Européennes de Football) doit empêcher les dépenses excessives des clubs professionnels afin qu’ils ne dépensent pas plus que ce qu’ils ne gagnent. L’une des principales raisons ayant conduit au changement de club de Lionel Messi était justement les réglementations relatives à la masse salariale des clubs. Face à ces nouvelles difficultés, les clubs tentent de trouver des failles. Or, avec ce système de compensation du salaire au travers des tokens, le salaire du joueur peut être abaissé virtuellement. Cette pratique utilisée lors d’un transfert aussi important financièrement que celui de Lionel Messi, se popularise et inquiète. L’UEFA envisage depuis notamment la signature de l’argentin de réformer le Fair-Play financier afin d’imposer un plafonnement salarial inspiré du Salary Cap des ligues sportives majeures des États-Unis. Une prise en compte de tous les moyens de paiement, qu’ils soient directs ou indirects, comme avec les fans tokens. On peut se poser la question de la manipulation du marché de ces cryptoactifs. Effectivement ces cryptoactifs peuvent se convertir en monnaie bien réelle comme l’euro ou le dollar. Par exemple le $PSG en lui-même n’a pas vocation à servir de monnaie contrairement au bitcoin mais peut s’échanger contre des chiliz. Les chiliz en revanche sont une cryptomonnaie pouvant se convertir en euros. Avec une mise sur le marché forcée d’autant de $PSG, le contrat de Lionel Messi ne permet-il pas au Paris Saint-Germain et à la société Socios d’en amplifier la rentabilité ?

Quelle réglementation applicable ?

            La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises aussi dite loi PACTE va consacrer un cadre juridique à l’émission de jetons par la blockchain. L’article L552-2 du Code monétaire et financier dispose que « constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme, numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ». C’est l’émetteur du jeton qui va définir le droit que ce dernier représente, ainsi il sera possible de déterminer le régime applicable. On se trouve avec les fans tokens en présence de jetons utilitaires, c’est-à-dire des jetons donnant l’accès à un service. Ces jetons utilitaires voient leurs procédures d’émissions réglementé par le chapitre 2 du titre V du Code monétaire et financier. En pratique il faut étudier au cas par cas les droits représentés par le token pour en définir le régime juridique applicable. L’Autorité des marchés financiers recommande cette méthode mais la qualification n’en reste pas moins délicate tant les tokens peuvent présenter des caractéristiques propres à plusieurs droits et donc plusieurs régimes. L’évolution de la pratique des fans tokens les conduit à dépendre d’un nombre croissant de régimes juridiques applicables.

 

Source :

Dalloz revue IP/IT, P. Sirinelli et S. Prévost, édito, n°9, septembre 2021 p.421.

Martyn Ziegler, Chief Sports Reporter, « Uefa plans salary cap and ‘luxury tax’ for teams who breach it », The Times,‎ 12 août 2021.

Bloomberg, Crypto tokens net top european soccer clubs, 21 août 2021 :

https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-08-21/crypto-tokens-net-top-european-soccer-clubs-gbp150m-telegraph?srnd=cryptocurrencies