Régime de responsabilité des hébergeurs : sur une mise en cause progressive des hébergeurs

 

Qu’est-ce qu’un hébergeur ?

Un hébergeur de site internet est défini par l’article 6-1-2  de la loi du 21 juin 2004 n°2004-575 dite “loi dans la confiance d’une économie numérique (LCEN)” comme : “… une personne ou une société qui effectue une prestation durable de stockage, de classification des données mises à sa disposition, à titre onéreux ou gratuit auprès d’un public.”

Il doit avoir un rôle passif dans le contrôle des informations stockées (Cass. civ. 1ère, 17 février 2011, M. c. SARL Bloobox-net, pourvoi n°09-13.202, concernant la Responsabilité d’un hébergeur : le site, se contentant de structurer et de classer les informations mises à la disposition du public, sans vérifier les contenus du site et sans être l’auteur des titres et des liens hypertextes, doit être qualifié d’hébergeur en raison de l’absence de rôle actif de sa part).

La loi LCEN, qui est une transposition de la directive communautaire commerce électronique de 2000, a permis de créer un équilibre, entre un nécessaire contrôle des contenus publiés sur les plateformes et la protection de la liberté d’expression.

Cet équilibre peut être résumé de la manière suivante : l’hébergeur reste par principe irresponsable des contenus déposés sur les plateformes, mais cette règle n’est pas absolue. En effet, dès lors que s’il a connaissance d’un contenu manifestement illicite, et qu’il n’agit pas promptement pour le retirer, sa responsabilité civile, voire pénale pourrait être engagée. Les hébergeurs sont soumis à une obligation générale de prudence et de diligence.

Afin de ne pas voir sa responsabilité engagée, l’hébergeur doit mettre en place des dispositifs de signalements faciles, accessibles et visibles. (Arrêt TGI Paris, réf., 24 janvier 2013, UEJF et autres c. Twitter Inc. et Twitter France : dans cette affaire, la condamnation de Twitter était sollicitée pour défaut de dispositif de signalement des contenus illicites. Afin d’échapper à sa responsabilité, Twitter assurait qu’il existait une procédure de signalement à la disposition des internautes. Le problème  était que cette procédure prévoyait un formulaire en anglais pour les internautes français alors que la loi Toubon nᵒ 94-665 du 4 août 1994, impose à toute société de vente de produits ou services sur le territoire français d’utiliser la langue française. Twitter a donc été condamné.)

Twitter, qui est considéré comme un site hébergeur, n’est donc pas responsable des tweets publiés par les internautes. En revanche, Twitter peut être responsable de ne pas avoir retiré « promptement » un tweet manifestement illicite dès lors qu’il en a été informé.  C’est à ceux qui évoquent le caractère litigieux d’un tweet d’apporter la preuve que Twitter a bien eu connaissance du caractère manifestement illicite du message et qu’il ne l’a pas retiré. On peut ainsi se demander si ce régime de responsabilité allégé, n’est pas inadapté et en décalage avec le pouvoir croissant acquis par ces plateformes, au regard des mesures restrictives qu’elles ont notamment pu adopter envers l’ancien président des États-Unis, dans le cadre des élections américaines, avec la suspension de son compte Twitter.

 

 

Le statut particulier des réseaux sociaux

Avec le développement des réseaux sociaux, considérés pour la grande majorité comme des sites hébergeurs (Facebook, Twitter, Instagram, YouTube…), puisqu’ils ne font que stocker machinalement les contenus postés par les utilisateurs de la plateforme, il existe une ambiguïté quant à la qualification juridique de leur statut au regard de leur influence grandissante. En effet, dès lors que ces plateformes s’octroient le droit de supprimer des comptes de certains utilisateurs en raison de leur contenu, on peut se demander si on ne pourrait pas les re-qualifier en tant qu’éditeur.

Les réseaux sociaux semblent alors être à la limite de la définition légale de l’hébergeur. Effectivement, via leurs puissants algorithmes, ils jouent un rôle actif dans le référencement et la présentation des contenus aux utilisateurs de leurs plateformes et disposent d’une ligne éditoriale. Mais leur statut actuel d’hébergeur est un frein considérable à la mise en jeu de leur responsabilité.

Le conseil constitutionnel a reproché que la régulation des contenus haineux sur internet contenaient d’importante zones grises, et cela, notamment dans le cadre de l’examen de la loi Avia du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, qui consiste à donner aux réseaux sociaux un pouvoir unilatéral de retrait de contenus, fondé sur la propre appréciation d’un opérateur privé, sans l’intervention d’un juge, unique garant du respect des libertés fondamentales. La loi Avia visait à imposer aux principaux réseaux sociaux, plateformes collaboratives et moteurs de recherche une obligation de retrait, dans un délai d’1 heure à 24 heures, des contenus terroristes et pédopornographiques.

Les opérateurs de plateforme ont été contraints de mettre en place un dispositif de notification, directement accessible, uniforme et facile d’utilisation, pour permettre à toute personne de notifier tout contenu illicite. “Si les opérateurs de plateforme ne procédait pas au retrait du contenu illicite dans les délais imposés, ils s’exposaient à une amende significative de 250.000€, sans préjudice d’autres sanctions administratives pouvant être prononcées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), en charge du suivi des obligations mises à la charge des plateformes.”

Après la censure du Conseil constitutionnel, il ne reste uniquement de la loi Avia : la simplification du signalement du contenu haineux auprès des plateformes et la création de l’observatoire de la haine en ligne. On assiste à un phénomène de régulation croissant des réseaux sociaux. En effet, cette volonté d’agir contre la diffusion des contenus haineux en ligne s’inscrit dans un contexte plus général afin de sévir contre les Big Tech. Ainsi, la Commission européenne avait annoncé pour la fin d’année 2020 un « pack législatif », désigné sous le terme de « Digital Services Act », comprenant deux règlements sur les services numériques :

– Le premier règlement vise à clarifier les responsabilités en matière de services numériques, notamment concernant les réseaux sociaux afin de protéger les utilisateurs des produits, contenus ou services illégaux, de protéger leurs droits fondamentaux en ligne et d’assurer une transparence et une surveillance réglementaire des plateformes en ligne.

– Le second règlement vise à doter les États membres d’un instrument de régulation ex-ante des super-plateformes.

 

Le 18 octobre 2020, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a déclaré la mise en place d’« un dispositif juridique de lutte contre la haine sur les réseaux sociaux ».

Puis le 20 octobre 2020, c’est Marlène Schiappa, Ministre déléguée chargée de la citoyenneté, qui a convoqué les représentants des principaux réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Google, TikTok, Snapchat) afin de les impliquer dans la responsabilité de la diffusion des contenus haineux. Le gouvernement entend intensifier la détection et la veille sur les plateformes en ligne et les mécanismes de riposte face aux appels à la violence. Plusieurs possibilités sont envisagées : “imposer une obligation de moyen aux plateformes pour la notification et le traitement des contenus signalés ; le blocage des sites dits miroirs (reprenant toute ou partie d’un site faisant déjà l’objet d’une mesure d’interdiction judiciaire) ; la levée de l’anonymat sur les réseaux sociaux ; la création d’un « délit de mise en danger par la publication de données personnelles » sur internet”.

“Fake news” et haine en ligne ont encore de beaux jours devant eux : en cause ? L’irresponsabilité éditoriale des grandes plateformes. Avec internet, on peut faire à la fois de la correspondance et de la publication, les GAFA n’ont ainsi eu aucune difficulté à implanter facilement leurs activités vers les services d’éditions. Néanmoins, face à leur pouvoir d’influence considérable, et leur responsabilité limitée par nature au regard de leur statut, lorsque les pays tentent de les limiter, et que certaines réglementations leur semblent trop contraignantes, les GAFA menacent de se retirer du marché.

C’est une question politique et économique extrêmement sensible : source de profondes discordes. Il faudra encore attendre une dizaine d’années avant que l’on parvienne à établir des règles strictes venant encadrer et responsabiliser clairement les grandes plateformes hébergeuses qui disposent de pouvoirs toujours accrus. Malgré la volonté des gouvernements et des législateurs, tant sur le plan national qu’européen, le véritable changement pourrait venir des autorités publiques américaines qui disposent d’un pouvoir d’influence et de négociation supérieure envers ces multinationales.

https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32075

https://consultation.avocat.fr/blog/murielle-isabelle-cahen/article-34682-responsabilite-des-hebergeurs-en-cas-de-contrefacon.html