Le 17 Novembre 2021, Google et l’Agence France-Presse (ci-après AFP) ont annoncé avoir conclu un accord concernant les droits voisins des éditeurs de presse et cela pour une durée de cinq ans.
Depuis la transposition en France de la directive européenne du 17 Avril 2019, les moteurs de recherche ont pour obligation de négocier avec les éditeurs de presse et de les rémunérer au titre des droits voisins en raison des contenus référencés dans les moteurs de recherche.
Rappel sur les droits voisins
Il faut rappeler que les droits voisins, ont été instaurés en France par la loi du 3 Juillet 1985, modifié notamment par la loi de transposition du 24 Juillet 2019, en raison de l’article 15 de la directive, ci-dessus évoquée. Ces droits voisins ont pour objet de récompenser économiquement les investissements économique et technique fait par les acteurs de la création d’une œuvre et les auxiliaires de cette création. Ainsi les auteurs premiers ne sont pas concernés par les droits voisins. La décision de mettre en place des droits voisins réside dans la volonté d’assurer aux auxiliaires d’une création une maitrise sur l’investissement qu’ils ont pu faire.C’est l’article 15 de la directive de 2019 et sa transposition en droit français qui viennent créer le droit voisin des éditeurs de presse, qui n’existait pas auparavant. Avant la directive, les éditeurs de presse qui étaient référencés sur les moteurs de recherche ne pouvaient prétendre à une rémunération au titre des droits voisins pour les contenus qu’ils mettaient en ligne, et qui étaient par la suite référencés.
La directive européenne donne trois cas dans lesquels les droits voisins ne trouvent pas à s’appliquer. Il s’agit ainsi :
- De l’utilisation dans le cadre privée ou de l’utilisation non commerciales.
- Du court extrait de publication.
- Des actes hyperliens. Exception reconnue par la jurisprudence Svenson de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 13 Février 2014
Si ici l’objet des droits voisins est bien le texte journalistique, le but est donc de rémunérer les éditeurs des titres de presse français et en l’espèce l’Agence France Presse.
L’intérêt d’un tel droit est de permettre aux éditeurs de presse de pouvoir percevoir une partie des bénéfices réalisés par les moteurs de recherche en raison du trafic généré par les publications de presse de l’AFP.
L’alinéa 2 de l’article L. 218-4 du Code de la Propriété Intellectuelle indique les éléments devant être pris en compte pour la rémunération. Il s’agit de prendre en compte :
- Les investissements humains, matériels et financiers
- La contribution des publications à l’information politique et générale
- L’importance de l’utilisation des publications
Accord entre Google et AFP
L’accord conclu entre Google et l’AFP est un accord historique d’abord en ce qu’il est le premier accord du type de Google en Europe. Depuis 2019 et la transposition rapide en France de la directive européenne, Google a été condamné à plusieurs reprises sur cette question de la rémunération des éditeurs de presse au titre de leur droits voisins. En effet, l’Autorité de la Concurrence dès Avril 2020 avait sanctionné Google pour son abus de position dominante durant les négociations avec les éditeurs de presse. L’Autorité à l’occasion de cette décision de 2020 avait alors rappelé au géant américain l’obligation de négocier de bonne foi avec les éditeurs de presse pour la rémunération des droits voisins.
La même Autorité, dans une décision en date du 12 Juillet 2021, condamne Google à payer la somme de 500 millions d’euro pour le non-respect notamment, de cette obligation de négociation de bonne foi.
Si les chiffres de la rémunération ne sont bien évidemment pas connus sauf pour les parties à l’accord, du fait de l’importance des contenus de l’AFP sur l’information politique et générale et de leur reprise très régulière de ses articles, l’AFP doit pouvoir prétendre à une rémunération substantielle au titre des droits voisins.
Un enjeu important derrière ce premier accord est qu’il s’agit d’un accord entre d’une part le moteur de recherche le plus fréquemment utilisé en France, avec près de 90% des utilisations de moteurs de recherche en France. Et de l’autre côté, l’Agence France Presse, étant l’une des plus grandes agences de presse au monde et dont les contenus sont fréquemment repris tel quel par ses clients, qu’ils soient de la presse écrite ou non.
Il s’agit donc d’un accord entre deux acteurs importants en France, qui peut être un point de départ pour d’autres accords de la sorte avec d’autres éditeurs de presse français.
La portée même de l’accord est notable. En effet, l’accord conclu prévoit une rémunération pour tous les contenus de l’AFP au niveau européen et quel qu’en soit la langue. Il est également à noter que selon le communiqué du PDG de l’AFP, l’accord pourra s’appliquer en Europe pour les contenus de l’AFP, même dans les pays n’ayant pas encore transposé la directive du 17 Avril 2019, sur les droits voisins des éditeurs de presse.
L’annonce de cet accord, à application immédiate, permet tout de même de montrer qu’il est possible que de tel accords puissent être conclu avec Google. Ce dernier s’était montré avant même la transposition en France de la directive opposé à de tels accords de rémunération. En Espagne, Google était même allé jusqu’à fermer en 2012 son service actualité afin de montrer son refus de rémunérer les éditeurs de presse pour leurs droits voisins du droit d’auteur. Cependant, Google a annoncé sa volonté de rouvrir son service actualité en Espagne qu’il avait fermé en 2012.
De part cet accord avec l’AFP et sa volonté de rouvrir son service actualité en Espagne, on observe que l’entreprise américaine commence à opérer un changement de position sur la question par rapport aux années précédentes.
L’enjeu de la durée de l’accord
Malgré le caractère historique de cet accord, ce qui peut être noté c’est qu’il s’agit d’un accord qui est conclu pour une durée de cinq années. Le monde du numérique et des pratiques d’Internet évoluant à toutes vitesses, un tel accord ne saurait être en mesure d’envisager toutes les exploitations futures des contenus produits par les éditeurs de presse et les utilisations qui pourraient en être faites dans les prochaines années, ainsi que le nombre croissant d’internautes y accédant. Alors certes l’accord se limite dans une durée pouvant être qualifiée de restreinte, mais de toute façon il faut rappeler que l’article 1210 du code civil prohibe les engagements perpétuels et un engagement trop long ne saurait bénéficier aux agences de presse. La durée de l’accord peut être vu comme étant un mal pour un bien, permettant donc à l’AFP dans cinq ans de pouvoir renégocier un nouvel accord, qui sera plus en phase avec les pratiques en vigueur dans cinq années.
Un accord réellement historique ?
Enfin, il a été bien oublié que déjà le 6 Avril 2007, Google et l’AFP avaient déjà conclu un accord de fourniture rémunérée d’informations de l’AFP en ligne. En 2007 il s’agissait alors de mettre un terme à une action en justice lancé par l’AFP à l’encontre de Google aux États-Unis et en France, pour son usage non autorisé des contenus AFP alors soumis au copyright. L’accord était alors un accord de licence permettant aux contenus AFP d’être de nouveau référencé à partir du moteur de recherche.
L’AFP était donc déjà en quelque sorte précurseur en la matière, ce qui peut expliquer la conclusion de ce nouvel accord en 2021 sur la question des droits voisins des éditeurs de presse.
SOURCES :
Directive (UE) 2019/790 du Parlement Européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE
Article L. 218-4 du Code de la Propriété Intellectuelle
« L’Agence France-Presse et Google signent un accord sur les droits voisins », 17 Novembre 2021, Blog Officiel de Google France
« L’Agence France-Presse et Google signent un accord sur les droits voisins » Communiqué de Presse de l’Agence France-Presse du 17 Novembre 2021, disponible sur le site web de l’AFP
« Droits voisins : Google va payer l’Agence France-Presse pendant cinq ans pour utiliser ses contenus en ligne », 18 Novembre 2021, Le Monde
Benedetti Valentini (F), « Droits voisins : l’AFP passe un accord avec Google pour rémunérer ses contenus », 17 Novembre 2021, Les Echos
« Droit voisin : la justice valide l’obligation pour Google de négocier avec la presse française », 8 Octobre 2020, Le Monde
« Accord entre Google et l’AFP », 10 Avril 2007, Le Monde