Source de nombreux conflits et désaccords au sein de l’industrie cinématographique, des négociations étaient entamées depuis un certain temps dans l’objectif d’un assouplissement de la réglementation. Pourtant, ces négociations ont pris du retard à défaut de consensus de la part des principaux acteurs.
Ce 24 janvier 2021 pourtant un nouvel accord a été signé par certains et fustigé par d’autres, avec différents objectifs visés par le ministère de la culture : la garantie d’un large accès aux oeuvres pour les spectateurs, l’investissement des acteurs de la diffusion dans la production et le développement de la création cinématographique.
Qu’est-ce que la chronologie des médias ?
La chronologie des médias fixe les délais applicables aux différents modes d’exploitation des oeuvres cinématographiques. Elle fut alors créée afin d’inciter le public à aller voir des films en salles permettant de ce fait de financer de manière indirecte la production audiovisuelle française au travers d’une taxe sur l’achat de chaque ticket de cinéma. Les produits de cette taxe vont ensuite alimenter un fond géré par le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC) pour attribution d’un financement.
En France, cette chronologie des médias était complétée par un système de « jours interdits », empêchant les chaînes de télévision de programmer la diffusion de films aux jours où les salles de cinéma réalisent l’essentiel de leurs entrées.
La chronologie des médias est prévue par les articles L 231-1 et suivants du code du cinéma et de l’image animée. La loi renvoie à un accord professionnel la détermination du délai de mise à disposition d’une oeuvre par un éditeur de services de médias audiovisuels à la demande ou sa diffusion par un éditeur de services de télévision
L’accord qui était jusqu’ici en vigueur avait été conclu le 6 septembre 2018 et étendu à toutes les entreprises du secteur par arrêté du ministre de la culture le 25 janvier 2019. Il était prévu que les plateformes de SVOD (plateformes de vidéos à la demande par abonnement) devaient attendre 36 mois à compter de la sortie en salle d’un film pour diffuser ce même film sur leur plateforme.
Le nouveau cadre juridique résultant de la transposition de la directive « Services de médias audiovisuels » (dite directive SMAD) et du décret du 22 juin 2021 impose des obligations de financement de la production française aux plateformes SMAD étrangères telles que Netflix, Amazon Prime Vidéo ou encore Disney +. Une obligation d’adaptation de la chronologie s’avérait alors nécessaire.
La teneur du nouvel accord
Selon les termes de ce nouvel accord, la fenêtre d’exploitation de la salle de cinéma reste inchangée. Les salles de cinéma bénéficient toujours d’une exclusivité de 4 mois, réduite à 3 mois si le film a enregistré moins de 100 000 entrées en 4 semaines. A l’issue de la fenêtre salles de cinéma s’ouvre la période de la vidéo à la demande à l’acte (VOD) et de l’édition physique (DVD et Blu-ray).
Concernant les chaines de cinéma payantes telles que Canal+ ou OCS, elles pourront faire démarrer leur fenêtre de diffusion à partir de 9 mois et en cas d’accord avec les organisations professionnelles du cinéma ce délai se verra réduire à 6 mois. A ce titre Canal + a signé l’accord en décembre 2021 prévoyant l’extension du partenariat entre Canal+ et la filière cinéma français jusqu’en 2024 en contrepartie d’un « investissement garanti de plus de 600 millions d’euros pour les trois prochaines années dans le cinéma français et européen » soit 30 millions de plus qu’auparavant.
Concernant les plateformes de SVOD, différents délais sont prévus.
Netflix pourra ainsi diffuser les films quinze mois après leur sortie contre les 36 mois traditionnellement prévus, et s’engage à produire au moins dix films par an et investir en moyenne 40 millions d’euros soit 4% de son chiffre d’affaires réalisé en France.
Il est à noter que Netflix est le seul signataire de cet accord parmi les plateformes que sont Netflix, Disney+, Amazon Prime Video ou encore AppleTV+. En ce qui concerne les autres plateformes de SVOD , elles verront donc leur fenêtre de diffusion portée à 17 mois à défaut de signature du nouvel accord.
Il convient de préciser que les plateformes de SVOD pourraient tomber dans les mêmes délais que les chaines de cinémas payantes (de 9 à 6 mois), si un accord similaire à ces dernières est trouvé.
En ce qui concerne les chaines de télévision gratuites, ces dernières conservent leur fenêtre de diffusion au bout de 22 mois dès lors qu’elles participent à hauteur de 3,2% de leur chiffre d’affaires dans le financement du cinéma européen. Cependant, pour compenser cette stagnation, ces dernières se voient octroyer une exclusivité de la diffusion jusqu’au 36e mois. Cela entraine pour conséquence que les films doivent alors disparaitre des plateformes de SVOD durant cette période appelée « période d’étanchéité » afin que les chaines de télévision gratuites ne soient pas trop pénalisées par ce nouvel accord. Néanmoins, le texte réserve la possibilité d’une négociation entre les chaines et les plateformes afin de convenir d’une diffusion simultanée. Pour autant, cette négociation doit se faire au cas par cas pour chaque film.
Enfin les plateformes de VOD (vidéos à la demande) gratuites voient également du changement dans leur fenêtre de diffusion : une diffusion est possible à partir de 36 mois contre les 44 mois requis sous l’empire des anciens accords.
Voici un tableau récapitulant l’ensemble des nouveaux délais :
Diffuseurs | Délais avec le nouvel accord (entrée en vigueur le 10 février 2022) | Délais avec l’ancien accord |
VOD | 4 mois | 4 mois |
Supports physiques (DVD, Blu-ray) | 4 mois | 4 mois |
Chaines cinéma payantes (Canal +, OCS…) | 8 mois
6 mois en cas d’accord (Canal +) |
18 mois
9 mois en cas d’accord |
Plateformes SVOD (Netflix, Amazon Prime, Disney+) | 17 mois
15 mois en cas d’accord (Netflix) 6 mois en cas d’accord similaire à une chaine cinéma payante |
36 mois |
Chaînes télé gratuites (TF1, France 2, Arte, M6…) | 22 mois (+ le bénéfice de la “période d’étanchéité”) | 22 mois |
VOD gratuite (Pluto, Mango…) | 36 mois | 44 mois |
Des réactions mitigées de la part des acteurs
Dans un premier temps, la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) salue « les efforts de médiations du CNC » tout en reconnaissant que l’accord « contient des avancées nécessaires qui méritent d’être soulignées ». Pourtant cette dernière a refusé de signer ce nouvel accord.
La SACD précisera par la suite dans un communiqué de presse que « personne ne peut imaginer que les termes de cet accord peuvent aujourd’hui rester en vigueur pour une durée de trois ans. Les mutations rapides du secteur en termes d’offre, de technologie et de demande conduiront inéluctablement à une évolution rapide de la place du cinéma dans l’ensemble des offres disponibles sur le marché français. La conclusion de cet accord pour une durée de 3 ans apparait donc à la fois incompréhensible et déraisonnable ».
De son côté, un porte-parole de Netflix se réjouit de cet accord qui constitue selon lui« […] une première étape significative de modernisation de la chronologie des médias. Il reflète notre approche constructive tout au long du processus de négociations et notre engagement à contribuer au cinéma français »
Disney+ de son côté est très critique envers cette législation déclarant ainsi « Nous pensons que la nouvelle chronologie des médias n’établit pas un cadre équitable et proportionné entre les différents acteurs de l’écosystème audiovisuel. Ceci est d’autant plus frustrant que nous avons augmenté nos investissements dans la création de contenus originaux français ». Le géant américain menaçait alors en septembre 2020 d’un boycott des salles françaises pour ne pas se conformer à cette chronologie.
Cette nouvelle chronologie des médias entrera en vigueur le 10 février prochain pour une durée de 3 ans. Pour autant, les accords prévoient une clause de revoyure à l’occasion d’un premier bilan prévu dans un an. Les règles pourraient de ce fait changer à nouveau plus vite que prévu…
Sources :
- Légipresse, « Canal + et le cinéma français ont conclu un accord sur la chronologie des médias » – 2021, p557
- vie-publique.fr, « Audiovisuel : un nouvel accord sur les délais de diffusions des films »
- Ministère de la culture, communiqué de presse
- Damien Choppin, « Une nouvelle chronologie des médias avec Netflix mais sans Disney », Ecran Total
- Sandrine Cassini et Alexandre Piquard, « Netflix, Amazon et Disney pourront diffuser des films plus récents en France » Le Monde
- Marc Le Roy, « Netflix, Amazon et Disney pourront proposer des films plus rapidement après leur sortie en salles », La revue des médias