Récemment, une vidéo, diffusée massivement sur les réseaux sociaux, mettait en scène plusieurs lycéens grimés en noir, pendus à des poutres en imitant l’accent africain et poussant des cris de singe.
Si les faits ont été commis en septembre dernier, ce n’est qu’un mois après que les images ont fait le buzz, notamment sur Twitter et TikTok. De nombreux hashtag tels que « #racisme » ou encore « #blackface » ont été associés à la vidéo, participant ainsi à sa prolifération dans les médias.
Beaucoup de personnes ont été choquées et offensées par ce contenu qui illustre un comportement raciste d’une extrême violence. Pour autant, les vidéos sont toujours présentes sur Internet, nous interrogeant ainsi sur la question du retrait ou non des contenu haineux de telle nature.
Le sujet de la diffusion des contenus haineux sur Internet est apparu comme essentiel au regard du développement d’Internet et plus précisément depuis l’arrivée du web 2.0.
Avec l’avènement des réseaux sociaux et des plateformes de partage de contenus en ligne, de nombreux internautes participent activement mais aussi très aisément à la diffusion de contenus haineux.
Il en va alors de la responsabilité des hébergeurs de retirer le plus promptement possible tout contenu considéré comme manifestement illicite.
Le problème est que certains utilisateurs agissent dans un esprit engagé c’est à dire dans le but d’informer, d’alerter et de sensibiliser sur des actes et/ou des propos indignant.
Nous pouvons nous questionner alors sur la légitimité du retrait d’un tel contenu.
En l’espèce, les présupposés de la vidéo mettent en scène un « blackface » : il s’agit d’une pratique raciste née aux États-Unis qui date du XIXe siècle. A l’époque, le but était que des comédiens blancs se maquillent en noir afin de divertir le public. Ils incarnaient alors des personnages caricaturant et stéréotypant la communauté noire.
Dans les années 1830, le blackface se popularise considérablement et s’élargit petit à petit dans tous les domaines de la culture.
A partir du XXe siècle, un mouvement civique en faveur de la communauté noire vient mettre un coup d’arrêt à cette pratique, condamnable aujourd’hui aux États-Unis.
Cependant, la lutte contre le blackface est loin d’être terminée. Effectivement, de nombreuses personnes, parfois, célèbres, usent encore de cette pratique. Entre maladresse et recherche de publicité, certains sont prêts à tout pour exister sur la toile médiatique, d’autant plus que le blackface n’est pas sanctionné à proprement parler en droit français.
Toutefois, le partage de ce genre de contenu n’est pas sans conséquences : il débouche principalement sur une vague de haine en ligne ou encore de cyber-harcèlement. Finalement, là où la justice et le droit français sont encore trop « silencieux », il semblerait qu’un tribunal de l’opinion publique ait pris place sur les réseaux sociaux, loin des cours de justice.
Notamment, au delà de ces répercussions « immatérielles », les auteurs de contenus sont facilement identifiés et menacés dans la vie réelle. C’est le cas de nos lycéens qui ont été exclus de leur établissement en raisons de ces faits racistes mais également car leur propre sécurité était menacée à la suite de la vidéo devenue virale.
La diffusion de ce blackface nous pousse à nous interroger sur plusieurs problématiques : Qui doit être tenu pour responsable : l’auteur de la publication d’un contenu haineux ou bien la plateforme qui a participé implicitement au partage ? Par ailleurs, le partage en ligne est difficilement maîtrisable, eu égard de la viralité et de la rapidité des posts, dans quelle mesure les plateformes peuvent-elles répondre à leur devoir de mettre en place des mécanismes performant afin de lutter contre les contenus haineux ?
Un contenu haineux : c’est quoi ?
Avant tout il est nécessaire de comprendre et définir la notion de contenu haineux.
Il n’existe pas de définition légale en tant que telle mais l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie (LCEN) définit les contenus haineux en prenant appui sur la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et sur le code pénal. Ainsi, sont considérés comme des contenus haineux :
– l’apologie des crimes contre l’humanité,
– la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne à raison de son ethnie, sa religion, son origine, son sexe, son orientation sexuelle, son handicap
– l’injure envers une personne à raison de son ethnie, sa religion, son origine, son sexe, son orientation sexuelle, son handicap
– les provocations à des actes de terrorisme
– les contenus à caractère pédopornographique
Qui est responsable de la diffusion des contenus haineux : l’internaute ou les réseaux sociaux ?
Quid de la responsabilité des lycéens ?
Bien que l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 proclame la liberté d’expression, il est primordial de l’encadrer notamment en cas de dérives de celle-ci. Ce principe raisonne d’autant plus qu’aujourd’hui les réseaux sociaux sont devenus de véritables zones de non-droit. Derrière leurs écrans, certains se pensent intouchables et n’hésitent pas à déverser leur haine, sans penser aux conséquences juridiques de leurs actes. Que ce soit dans la vie réelle ou virtuelle, tout propos ou comportement injurieux est punissable !
Ainsi, la loi sur la liberté de presse du 29 juillet 1881 vient sanctionner l’injure. Notons que si elle est proférée sur un réseaux social, elle sera considérée comme publique dès lors que le contenu posté a pour but de s’adresser à un nombre non restreint de personnes, ne faisant pas partie de la même communauté d’intérêt (Cass. Civ. I, 10 avril 2013, numéro de pourvoi 11-19.530).
L’article 29 de loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme : « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ».
Elle est punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsque l’injure est commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (article 33 de la loi du 29 juillet 1881).
Ainsi, si pour l’instant les lycéens n’ont écopé que d’une simple suspension de leur établissement scolaire, ils pourraient très probablement être poursuivis en raison de leur comportement injurieux envers la communauté noire.
Quid de la responsabilité des réseaux sociaux ?
La prolifération des contenus haineux sur les réseaux sociaux n’a cessé de croître ces dernières années. Si les auteurs des faits doivent répondre de leurs actes, les plateformes de partage de contenu n’échappent pas à toute responsabilité.
Une plateforme est considérée comme hébergeur lorsque ces « opérations techniques participent de l’essence du prestataire d’hébergement et n’induisent en rien une sélection par ce dernier des contenus en mise en ligne » (Cass. 1ere, 17 février 2011).
L’article 6 alinéa 4 de la LCEN prévoit une responsabilité allégée pour les hébergeurs, il précise que ceux qui mettent « à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».
Donc l’hébergeur n’est pas responsable des contenus qu’il héberge.
Cependant il le devient lorsqu’il a eu connaissance du contenu illicite et qu’il n’a pas agit pour le retirer. Ce dernier doit mettre en place un système de signalement simple et concret (TGI, Paris 24 janvier 2013). En outre, l’hébergeur doit agir le plus promptement possible pour retirer le contenu illicite une fois signalé (TGI Paris, 12 juin 2012).
En l’espèce, pour chaque vidéo du blackface signalée et non retirée par les plateformes, celles-ci verront leur responsabilité engagée.
Focus modération
Afin de pallier l’affluence des contenus haineux sur Internet, beaucoup de plateformes tentent de mettre en place des systèmes de modération efficace.
Attention, la modération ne doit pas être automatisée : elle nécessite une intervention humaine.
Avant de retirer un contenu, il faut être sur que celui-ci ne respecte pas les critères légaux. Il est impératif de regarder le contenu haineux dans son contexte et son entièreté, chose qu’une modération automatique peut difficilement faire. Seul l’examen approfondi d’une personne compétente justifie le retrait d’un contenu illicite.
L’hypothèse d’un retrait illégitime est à éviter à tout prix, il n’y a qu’un pas entre la liberté d’expression et la censure…
Même si les plateformes prennent davantage de mesures afin de lutter contre la diffusion de contenu haineux, le résultat reste décevant. Les réseaux sociaux apparaissent de plus en plus vulnérables face à la circulation massive des contenus qui transitent dans leur système. Ils n’en demeurent pas moins responsables et doivent trouver des moyens efficaces à la propagation des contenus haineux.
La solution a été pour certains, comme Facebook, de se doter de leur propre instance de régulation.
La justice privée a ses avantages et ses inconvénients.
D’un côté, elle permet de soulager l’État d’un point de vu financier et matériel (car il est incapable de contrôler l’ensemble des flux en ligne).
Mais d’un autre côté, cela semble être les prémices de la création d’un pouvoir souverain des plateformes. Les plateformes ne seraient-elles en train d’empiéter sur les pouvoirs de l’État ? Quelles sont les normes appliquées par cette justice privée ? En effet, bien que les plateformes doivent se conformer au droit positif, cela ne les empêchent pas d’adopter leurs propres règlements et conditions d’utilisation. Tant par l’établissement de norme que par la sanction des internautes, les plateformes semblent ainsi empiéter sur les pouvoirs législatifs et judiciaires relevant de la compétence de l’État. Il est alors possible de s’interroger sur la légitimité de ces plateformes à œuvrer dans ce sens. En outre, au regard de leur puissance économique et de leur influence politique et culturelle, les plateformes ne deviendraient-elles pas aussi puissantes qu’un État ?
Sources :
https://www.bfmtv.com/marseille/marseille-des-lyceens-suspendus-apres-la-diffusion-d-une-video-de-blackface_AN-202210200345.html
https://egalitecontreracisme.fr/ce-que-dit-la-loi
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000002457442
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006419790/
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000043982443