La défense de Pornhub face aux tentatives de blocage de son site par l’ARCOM

Dans le cadre d’un partenariat, cet article a également été publié sur le site internet du média Les Surligneurs.

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Le 4 octobre 2022, le Tribunal Judiciaire de Paris a transmis une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, question provenant du site pornographique « Pornhub ».

L’affaire en cause opposait L’Autorité de Régulation de la Communication audiovisuelle et Numérique (ARCOM), anciennement Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, à cinq sites pornographiques, dont « Pornhub » fait partie, au sujet de la protection des mineurs et de l’entrave à leurs accès à ces sites.

Une confrontation entre L’ARCOM et les plateformes pornographiques qui n’en finit pas

Cette question prioritaire n’est qu’une étape de plus dans le combat qui dure depuis un an entre l’ARCOM et la plateforme pornographique.

C’est en effet à la suite du décret du 7 octobre 2021, relatif aux modalités de mise en œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l’accès à des sites diffusant un contenu pornographique, que l’ARCOM, après sa saisine par trois associations, a mis en demeure en décembre 2021 les fournisseurs d’accès de « Pornhub » et des autres sites de se conformer aux exigences légales de protection des mineurs.

C’est alors l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 qui autorise le président de L’ARCOM à effectuer cette mise en demeure, et suivant l’article susvisé, la plate-forme de vidéos pour adultes avait alors 15 jours pour empêcher l’accès aux sites par les mineurs, sous peine d’être reconnue coupable de l’infraction de diffusion de contenu pornographique à des mineurs prévue par l’article 227-24 du Code Pénal.

Les mises en demeure n’ayant pas été suivies d’effet, le tribunal judiciaire de Paris a été saisi par le président de l’ARCOM pour que cette fois-ci les sites soient bloqués et qu’ils ne soient plus susceptibles d’accès. Cependant, le 24 mai, l’ARCOM a essuyé un revers de la part du géant de la pornographie suite à une erreur de procédure, les copies des assignations n’avaient pas été envoyées à temps au tribunal entraînant leur caducité et obligeant l’ARCOM à recommencer la procédure au départ avec une nouvelle assignation.

Malgré des mois de lutte pour obtenir satisfaction l’ARCOM doit s’incliner une fois de plus devant « Pornhub » qui remporte une nouvelle manche puisque le tribunal judiciaire a récemment accepté, le 4 octobre, de transmettre sa question prioritaire de constitutionnalité à la cour de cassation qui a trois mois pour statuer sur sa transmission au conseil constitutionnel.

Les enjeux de la protection des mineurs jugée insuffisante

Si l’ARCOM a enjoint les sites pornographiques en cause à renforcer leur sécurité d’entrée à l’encontre des mineurs c’est parce que la loi du 30 juillet 2020, par son article 22, a complété l’article 227-24 par un alinéa prévoyant que le simple message justifiant que l’utilisateur d’une plate forme pornographique a plus de 18 ans ne suffit plus. De nombreux sites ont pourtant continué leurs activités ne tenant pas compte de ces dispositions.

On comprend aisément que, si les contenus de « Pornhub » et des autres sites sont légaux, les mineurs ne doivent pas y avoir accès et qu’un tel message « je certifie à avoir plus de 18 ans » est simple à outrepasser, n’ayant aucune autre vérification que la bonne foi de l’utilisateur. Dans les faits, il est certain que de nombreux mineurs doivent cliquer et valider le message accédant alors aux contenus sans problèmes. L’accès aux sites n’est alors certainement pas assez contrôlé.

D’après un article du site « Les Surligneurs » c’est même près de deux millions de mineurs qui sont exposés chaque mois à de tel contenus.

Et le problème en l’espèce était là, « Pornhub » et les autres entreprises pornographiques ne se sont pas conformées aux dispositions du code pénal. Il a alors fallu agir comme s’en est chargé l’ARCOM par leur mise en demeure puis leur volonté de bloquer les sites après.

La question du contrôle de l’âge sur internet prend alors une tournure d’autant plus importante aujourd’hui avec cette problématique de la protection des mineurs contre les contenus pornographiques.

Une nouvelle « victoire » pour « Pornhub »

Si la loi dispose que le message/bouton certifiant que l’on est majeur ne suffit plus pour restreindre l’accès des sites pornographiques, l’ARCOM enjoint les sites Web litigieux à prendre des mesures pour remédier à cela comme un contrôle de l’âge des utilisateurs. Mais si la loi et l’ARCOM estiment que ce message ne suffit plus et qu’un contrôle est nécessaire il n’y a aucune précision sur le procédé à mettre en œuvre dans le texte législatif.

Et c’est alors sur ce point que « Pornhub » présente sa question prioritaire de constitutionnalité, il estime que l’infraction qui lui est reproché n’est alors pas définie « en des termes suffisamment clair et précis » et qu’ainsi la procédure exercée par l’ARCOM ne respecte pas les principes de légalité des délits et des peines ainsi même que celui de liberté d’expression et de communication. Il est vrai que dans son article 227-24 le code pénal ne précise pas les mesures à prendre pour vérifier l’accès d’un contenu à un mineur et se contente de dire que le message litigieux n’est plus valable.

A coté de cela, l’argumentation du site pornographique sur son inaction visant à se conformer au droit pénal tient sur le fait que leurs tentatives de filtrages des mineurs n’étaient pas satisfaisantes à leur yeux. Les solutions qui lui étaient soumises n’assuraient pas un équilibre entre la protection des mineurs, le respect de la vie privée et l’économie de leur site. Selon eux il était difficile de restreindre l’accès aux mineurs par un autre procédé sans décourager les majeurs à utiliser leur site.

De plus il ne faut pas que la mise en place d’une autre restriction pour les mineurs constitue une collecte de données personnelles de nature à porter atteinte à la vie privée. Selon les sites incriminés un système fiable de contrôle de l’âge impliquerait la communication de données sensibles par les utilisateurs.

La Commission Nationale de l’informatique et des Libertés (CNIL) avait, à travers des recommandations du 26 juillet 2022 proposé des solutions plus précises comme la vérification de l’âge par carte de paiement, par analyse de documents d’identité ou encore par inférence (analyse de l’historique, questionnaire de maturité …) en impliquant le plus souvent dans ses solutions le recours à un tiers de confiance pour la transmission de données. Mais encore une fois si ces solutions ont le mérite d’être cette fois ci édictées, elles semblent encore imparfaites quand à leur fiabilité, leurs ingérence dans la vie privée de l’utilisateur ou les contraintes qu’elles imposent aux éditeurs de pornographie en ligne.

La solution à adopter est alors difficile et son choix sensible pour garantir la protection des mineurs sans compromettre les droits d’autrui. Cette difficulté dans la recherche d’une solution adéquate renvoie alors à la contestation de “Pornhub” dans cette affaire et à sa légitimité d’avoir des précisions officielles sur le système de vérification à adopter, d’où cette question prioritaire de constitutionnalité.

En réalité, celle-ci peut alors être perçue comme une « victoire » pour le site pornographique puisque une fois encore la procédure engagée par l’ARCOM traîne en longueur mais surtout parce que le tribunal judiciaire a accepté de la transmettre à la cour de cassation ce qui implique une acceptation du sérieux de la question et de la nécessité d’une considération approfondie. La cour de cassation aura alors trois mois pour statuer sur sa transmission au conseil constitutionnel qui pourra alors pencher en faveur de « Pornhub » une fois de plus s’il invalide les décisions contestées, ou alors à l’inverse, se mettre du coté de L’ARCOM qui pourrait voir enfin ses exigences remplies.

L’ARCOM reste optimiste malgré la décision du tribunal judiciaire

Toutefois, malgré le fait que la question prioritaire de « Pornhub » ait été transmise par le tribunal judiciaire, l’ARCOM ne désespère pas dans sa bataille pour la prévention des mineurs car, selon son avocat, Nicolas Jouanin, ce temps mort dans la procédure lui permettra de tout mettre en œuvre pour obtenir une solution de médiation satisfaisante. L’avocat précise même que « ce n’est pas la copie de L’ARCOM qui est jugée, c’est celle du législateur ». Ainsi pour l’autorité de régulation la décision du tribunal n’est pas une fin en soit et la lutte pour protéger les moins de 18 ans contre l’exposition de la pornographie continue.

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SOURCES :

Article du site Les Surligneurs : https://www.lessurligneurs.eu/larcom-essuie-un-revers-judiciaire-dans-son-combat-pour-le-blocage-des-sites-pornographiques-qui-ne-controlent-pas-suffisamment-lacces-des-mineurs/

Article d’un blog d’un cabinet d’avocat “HAAS AVOCATS” : https://info.haas-avocats.com/droit-digital/blocage-des-sites-pornos-par-larcom-pornhub-remporte-une-manche#_ftn1

Article du site du journal Le Parisien : https://www.leparisien.fr/high-tech/blocage-des-sites-pornos-pornhub-demande-a-la-cour-de-cassation-de-preciser-ce-qui-lui-est-reproche-04-10-2022-W2QSNPRSABEOVJUKXZCYV7LPGM.php

Articles du site du journal Le Monde : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/05/24/blocage-de-sites-pornographiques-l-arcom-essuie-un-revers-devant-la-justice_6127490_4408996.html

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/09/06/menaces-de-blocage-en-france-cinq-des-principaux-sites-pornographiques-repliquent-devant-la-justice_6140435_4408996.html

Communiqué de presse de L’ARCOM 8 mars 2022 : https://www.arcom.fr/larcom/presse/acces-des-mineurs-aux-sites-pornographiques-saisine-du-president-du-tribunal-judiciaire-de-paris

LOI n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFSCTA000042176661

Décret n° 2021-1306 du 7 octobre 2021 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044173388#:~:text=Dans%20les%20r%C3%A9sum%C3%A9s-,D%C3%A9cret%20n%C2%B0%202021%2D1306%20du%207%20octobre%202021%20relatif,sites%20diffusant%20un%20contenu%20pornographique

Article 227-24 du Code Pénal : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044394218/