Kim Kardashian s’est vue récemment condamnée à verser une amende de 1,26 million de dollars à la Security Exchange Commission (SEC), l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers, pour avoir fait la promotion en printemps 2021 de l’EthereumMax sans indiquer qu’elle avait été rémunérée pour le faire.
Il lui est reproché d’avoir utilisé la technique du « pump and dump » qui consiste à investir dans une cryptomonnaie, faire monter sa valeur en incitant un grand nombre de personnes à investir, puis à revendre le montant investi avec une forte plus-value lorsque la valeur de la cryptomonnaie a atteint un pic. Les investisseurs ayant placé leur argent trop tardivement dans cette cryptomonnaie sont alors victimes de l’effondrement soudain de sa valeur. En l’occurrence, c’est exactement ce qui se serait produit pour l’EthereumMax.
Le « pump and dump » est donc une pratique qui cible particulièrement les cryptomonnaies et qui est à même d’être utilisée par les influenceurs sur les réseaux sociaux dans le sens où les initiateurs d’une telle technique doivent être assez influents pour faire monter artificiellement la valeur de ces cryptomonnaies dont le cours est très volatil.
Toutefois, ce n’est pas l’utilisation de cette technique, en soi, qui a fait l’objet d’une sanction. L’influenceuse sera condamnée pour avoir omis de signaler qu’elle faisait de la publicité pour une cryptomonnaie. Cette condamnation sert d’exemple au comportement exemplaire que les influenceurs doivent avoir sur les réseaux sociaux ; loin d’être anodin, leurs comportements, notamment à travers les publicités qu’ils réalisent, sont susceptibles de provoquer un effet sur le comportement économique de leur public, parfois jeune.
Il est question ici de la confrontation de deux univers encore soumis à une réglementation non clairement définie, en évolution, voire inexistante. D’un côté, la réglementation du marketing d’influence, de l’autre, la réglementation du marché des devises virtuelles.
Marketing d’influence : quelles obligations pour les influenceurs ?
S’agissant de la France, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) identifie l’influenceur comme un « individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres, à une audience identifiée. » Dès lors que l’influenceur est porté par une communauté suffisamment large et acquiert une certaine notoriété, celui-ci sera tenté de réaliser des opérations économiques en utilisant son audience : allant de l’ouverture d’un site officiel rappelant l’identité de son contenu, à la réalisation de placements de produit ou de publicités pour un produit ou une marque.
Le marketing d’influence consiste précisément à surfer sur la renommée d’un influenceur en vue de crédibiliser une marque ou un produit. L’influenceur est alors utilisé comme un intermédiaire dans le but de cibler le public présent sur les réseaux sociaux. Sont ainsi conclus entre l’entreprise et l’influenceur des accords dont l’objet sera de faire la promotion (d’un) de ses produits.
La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 encadre précisément la publicité lorsqu’elle est accessible par un service de communication au public en ligne.
Toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée.
Article 20 LCEN
Le contenu des influenceurs étant accessible sur les réseaux sociaux tels que Snapchat ou Instagram, principalement, ils se retrouvent nécessairement soumis à cette législation. Ainsi, le caractère publicitaire d’une publication doit être clairement mentionné par l’influenceur qui en est à l’origine de manière à répondre à une obligation de transparence vis-à-vis de leur public.
À défaut d’une telle mention, le public qui réceptionne la publication peut croire, à tort, que la promotion qui y est faite est le résultat d’une expérience personnelle positive désintéressée.
Soumis au code de la consommation, l’influenceur qui n’a pas répondu à cette obligation de transparence est susceptible d’être sanctionné sur le terrain de la pratique commerciale trompeuse, sanctionnée de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.
Marché des devises virtuelles : que dit la loi ?
Si Kim Kardashian a été condamnée pour avoir omis de mentionner qu’elle faisait une promotion, la pratique du « pump and dump » peut légitimement être interrogée d’un point de vue moral.
Après avoir publié une story sur Instagram dans laquelle elle vantait les mérites de l’EthereumMax, de nombreux abonnés se sont laissés séduire et ont placé leur argent dans la cryptomonnaie. Cet argent, massivement investi, a participé au cours de la cryptomonnaie qui, en très peu de temps, a pris de la valeur. Par l’effet de l’appréciation de la cryptomonnaie, Kim Kardashian aurait touché un bénéfice que la SEC chiffre à 260 000 dollars. La somme empochée par l’influenceuse est le résultat de l’investissement des personnes qu’elle a massivement ciblées, à savoir sa communauté sur les réseaux sociaux. Après avoir atteint un pic, la cryptomonnaie s’est subitement effondrée.
Ainsi, si ceux qui ont investi et retiré leur argent à temps auront bien été gagnants, certains auront été lésés par l’effondrement du cours de la cryptomonnaie.
Cette pratique légale, bien que peu éthique, amène à une réflexion plus poussée sur des pratiques comparables sanctionnées par la loi et sur l’activité de conseil en investissement. La pratique du « pump and dump » peut être discutée au regard :
- De la vente de cryptomonnaie avec promesse de rendement imaginaire. Promettre un rendement qui n’existe pas revient à se rendre coupable de délit d’escroquerie au sens de l’article 313-1 du code pénal.
- Du délit d’initié qui consiste à réaliser des opérations économiques en sa faveur ou en la faveur d’autrui en utilisant des informations inaccessibles au public.
- De l’activité de conseil en investissement. Le code monétaire et financier (CMF) définit le conseil en investissement à l’article D. 321-1 comme « le fait de fournir des recommandations personnalisées à un tiers (…) concernant une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers ».
Cependant, en France, les cryptomonnaies ne sont pas reconnues comme des instruments financiers mais comme des actifs numériques. En terme de conseil, le professionnel à privilégier est le prestataire de services sur actifs numériques (PSAN), introduit par la loi Pacte de 2019. Ils doivent être enregistrés à l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour pouvoir exercer certaines missions, détaillées à l’article L. 54-10-2 du CMF.
La création d’un tel statut doit pouvoir permettre de protéger les investisseurs dans les actifs numériques et contribuer à réfréner les initiatives dangereuses à l’instar de celles d’influenceurs qui encouragent à investir aveuglément dans une cryptomonnaie.
Investissement dans la cryptomonnaie : comment se prémunir des risques ?
Lorsqu’un individu promet à de potentiels investisseurs qu’ils seront gagnants du cours d’une cryptomonnaie, l’essentiel est de ne pas le prendre au mot.
Dans l’affaire impliquant Kim Kardashian, l’influenceuse joue sur l’ignorance de sa communauté, – en commençant par promouvoir une cryptomonnaie (EthereumMax) qui reprend le nom d’une cryptomonnaie notoire (Ethereum) – afin de mettre à profit la pratique de « pump and dump ».
Avant de s’en remettre au droit, éveiller les potentiels investisseurs aux risques de l’investissement et les aider à faire des choix judicieux semble être un bon moyen pour contribuer à faire cesser ce type de pratiques desquelles ressortent systématiquement des gagnants mais aussi des perdants qui ont le sentiment d’avoir subi une escroquerie.
Le risque vient du fait que l’on ne sait pas ce que l’on fait.
Warren Bluffett
Des mécanismes existent pour informer les investisseurs et les guider dans leur choix.
- Les conseils pratiques de l’Autorité des marchés financiers. L’AMF met à disposition une liste noire recensant les sites non autorisés parmi lesquels se trouvent plus de 1500 sites d’arnaques liés aux crypto-actifs. Elle rappelle également les précautions à prendre avant d’investir dans une cryptomonnaie. Le but est d’éduquer et conseiller sur l’investissement en matière de cryptomonnaie et de faire prendre conscience de ses risques afin de responsabiliser les investisseurs dans leur comportement économique.
- Les « white papers » propres à chaque cryptomonnaie. Ils permettent de présenter le projet d’une cryptomonnaie à tous les futurs investisseurs en décrivant tous les moyens utilisés pour y parvenir. Le but est de convaincre les investisseurs de l’intérêt du projet et de les encourager à le rejoindre. Les « white papers », cependant, ont davantage vocation à donner une idée de l’avancement du projet à l’investisseur qu’à être une source de fiabilité absolue.
Les influenceurs sont soumis au code de la consommation. Ils ont une obligation de transparence sur tout ce qu’ils promeuvent. Mais qu’en est-il du devoir d’information au consommateur en matière d’investissement ? Inciter à investir sans informer des risques peut être préjudiciable pour ceux qui sont mal ou non informés. Inciter à investir lorsqu’on ne mentionne pas les risques financiers auxquels s’exposent les potentiels investisseurs est moralement répréhensible, surtout lorsqu’on s’adresse à un public jeune.
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Sources :
- Code monétaire et financier
- Kim Kardashian mise à l’amende pour avoir promu une cryptomonnaie sans dévoiler avoir été payée, 20Minutes
- Crypto-monnaies, crypto-actifs… Comment s’y retrouver ?, economie.gouv.fr
- Le cadre juridique applicable au marketing d’influence, HAAS Avocats
- Mises en garde et listes noires des sociétés et sites non autorisés, Autorité des marchés financiers