Selon les informations du Parisien, le Gouvernement a finalement pris la décision de ne pas recourir au système de la reconnaissance faciale dans l’espace public à l’occasion des Jeux olympiques qui se dérouleront à Paris en 2024. Cet outil technologique controversé dont l’usage avait été proposé par des sénateurs en tant qu’expérimentation à l’occasion des JO dans un rapport publié en mai, afin de « sécuriser de grands événements présentant une sensibilité particulière ou les sites particulièrement sensibles face à une éventuelle menace terroriste », sera donc bien exclu de l’événement. En effet : « la mesure qui sera proposée en matière d’intelligence artificielle pour faciliter le travail de sécurisation de la compétition, dans le cadre du projet de loi relatif à l’organisation des JO de Paris 2024, exclut totalement et explicitement le recours à la reconnaissance faciale ».
La définition et la mise en place de la reconnaissance faciale
Les technologies de reconnaissance faciale font l’objet de nombreux débats et suscitent beaucoup d’émotion dans l’imaginaire collectif au regard des nombreuses fictions et utilisations mondiales qui permettent de s’interroger sur leurs conditions d’utilisation. Pour certains, ces technologies facilitant certaines opérations deviennent indispensables afin de favoriser la sécurité de l’espace public.
Selon la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL), la reconnaissance faciale est une « technique qui permet à partir des traits de visage d’’authentifier une personne : c’est-à-dire, de vérifier qu’une personne est bien celle qu’elle prétend être (dans le cadre d’un contrôle d’accès) ou d’identifier une personne : c’est-à-dire de retrouver une personne au sein d’un groupe d’individus, dans un lieu, une image ou une base de données ». Elle détaille la mise en pratique de cette technique qui « peut être réalisée à partir d’images fixes (photos) ou animées (enregistrements vidéo) et se déroule en deux phases :
- À partir de l’image, un modèle ou « gabarit » qui représente, d’un point de vue informatique, les caractéristiques de ce visage est réalisé. Les données extraites pour constituer ce gabarit sont des données biométriques au sens du RGPD (article 4-14).
- La phase de reconnaissance est ensuite réalisée par la comparaison de ces modèles préalablement réalisés avec les modèles calculés en direct sur des visages présents sur l’image candidate ».
De plus, tel que la CNIL le souligne, les enjeux liés à la reconnaissance faciale sont importants en terme de protection des données personnelles et de libertés individuelles. En effet, la Commission précise qu’il existe de forts risques d’atteinte notamment à la liberté d’aller et venir anonymement. Aussi, ces dispositifs de reconnaissance biométriques impliquant alors des traitements de données « sensibles » sont par principe interdits par le RGPD ou nécessitent un encadrement strict.
Le recours préféré à la vidéosurveillance « intelligente » pour les JO de Paris 2024
Si le Gouvernement souhaite éviter « un procès en surveillance généralisée » en excluant l’usage de la reconnaissance faciale aux JO, il confirme la nécessité de recourir à un dispositif permettant d’assurer la sécurité et donc à des algorithmes « intelligents » de détection de comportements « suspects ».
Ainsi, la solution préférée semble reposer dans l’idée des caméras « augmentées » pour les Jeux olympiques de 2024. En octobre dernier, lors d’une audition par la commission de la culture, de l’éducation et la communication du Sénat, la ministre des sports et JOP, Amélie Oudéa-Castéra avait précisé l’orientation du débat par le Gouvernement : « Mais actuellement, les dispositions législatives concernant la sécurité ne prévoient pas ces dispositifs. Nous travaillons sur les algorithmes intelligents, mais anonymisés, pour gérer les mouvements de foule dans les transports. Et même ces dispositifs de vidéoprotection devront être examinés par la Cnil et le Conseil d’État avant d’être mis en œuvre ».
Dans le même sens, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, en charge de la sécurité des jeux, avait également déclaré devant la commission des lois du Sénat qu’il n’était « pas pour la reconnaissance faciale » mais plutôt favorable à « la vidéoprotection dite intelligente, qui permet de cibler non pas tel ou tel individu, mais des personnes répondant à un tel signalement, ou encore des catégories de gestes, comme la dégradation de biens publics ».
Point technique : quelle est la différence entre les techniques de reconnaissance faciale et les outils permettant la vidéosurveillance « intelligente » tels que les caméras augmentées ?
Les caméras intelligentes basées sur l’intelligence artificielle sont en plein essor et sont notamment utilisées dans plusieurs secteurs, l’industrie, la défense, les villes connectées et le commerce de détail. Il est possible de les définir comme des dispositifs de vidéoprotection alliés à un logiciel qui va permettre le traitement automatisé d’images, afin de produire une analyse et d’en livrer une interprétation en temps réel, et cela, sans intervention humaine. Concrètement, les caméras intelligentes peuvent servir à évaluer la fréquentation dans un métro, et en rapport avec la Covid-19, à estimer statistiquement le respect du port du masque, mais aussi à détecter des mouvements de foule ou bien des objets abandonnés.
Cependant, contrairement aux outils permettant la reconnaissance faciale qui peuvent être des caméras biométriques permettant, comme énoncé, d’identifier ou d’authentifier un individu par la comparaison d’images en temps réel selon une banque d’images pré-existantes, les caméras augmentées ne traitent pas obligatoirement des caractéristiques physiques ou comportementales des individus et ne servent pas non plus à identifier les personnes filmées.
Cela ne signifie pas toutefois que les caméras augmentées ne présentent pas de risques ou moins de risques concernant « les droits et libertés des personnes ». La CNIL a ainsi eu l’occasion de se positionner sur ce sujet.
La position de la CNIL sur les caméras de surveillance augmentées
Le 19 juillet 2022, la CNIL a publié sa position concernant le déploiement de caméras « augmentées » dans les espaces publics. En effet, cette position est intervenue après une consultation publique de huit semaines lancée en janvier dernier. Cette consultation publique a permis de se concentrer sur les enjeux et risques liés au recours de ces caméras « augmentées » ou « intelligentes ». L’objectif était également pour la CNIL de déterminer « le cadre juridique applicable pour fixer des lignes rouges et apporter de la sécurité juridique aux acteurs ».
Selon la CNIL, ces dispositifs présentent des risques pour les libertés individuelles et des risques de renforcement de sentiment de surveillance généralisée dus à la possibilité pour ces outils de procéder à une analyse automatique en direct du comportement des personnes.
La CNIL précise que « si l’efficacité de ces caméras augmentées était prouvée et leur utilisation nécessaire, celle-ci devrait être autorisée par une loi spécifique qui, à l’issue d’un débat démocratique, fixerait des cas d’usages précis avec des garanties au bénéfice des personnes ».
Ainsi, il est nécessaire de déterminer quels usages pourraient être admissibles et leur encadrement par les pouvoirs publics. En effet, la Commission estime que certaines utilisations faites de ces dispositifs peuvent paraître légitimes comme les « dispositifs comptabilisant les piétons, les voitures ou les cyclistes sur la voie publique afin de l’aménager, l’adaptation des capacités des transports en commun selon leur fréquentation, l’analyse de la fréquentation et de l’occupation d’un bâtiment pour en adapter la consommation énergétique, etc », mais que la problématique réside dans l’exercice des droits protégeant les personnes prévus par le règlement général sur la protection des données (RGPD) et notamment le droit d’opposition à être analysé par ces caméras. Dès lors, « ces usages ne seront licites que lorsqu’ils auront été autorisés par les pouvoirs publics, qui doivent prendre un texte (réglementaire ou législatif) pour écarter le droit d’opposition ».
De façon générale, la CNIL alerte sur la nécessité de prévoir un usage modéré de ces dispositifs afin d’éviter que cela ne modifie notre rapport à l’espace public et que ces utilisations soient éthiques et restent compatibles avec une société démocratique.
Une prise de position attendue
La question du recours aux techniques de la reconnaissance faciale lors des Jeux olympiques de Paris 2024 a donc suscité de nombreuses oppositions et un réel débat entre les opposants et partisans qui n’ont pas manqué de rappeler pour leur part les usages précédents à cette technologie afin d’évincer les risques terroristes ou la délinquance lors d’événements sportifs organisés par d’autres pays.
Il est ainsi possible de considérer qu’une position différente aurait été fortement controversée et discutée, dans la mesure où la vision, les circonstances et les conditions de la protection des données personnelles et de la liberté des individus dans le cadre de l’Union européenne et en France permettent difficilement la mise en place de telles pratiques, sinon bien encadrées. C’est par exemple dans cette optique que la CNIL, concernant la coupe du monde se déroulant actuellement au Qatar, recommande aux supporters français de voyager avec un téléphone vierge pour prévenir les risques d’espionnage, le Qatar n’étant pas considéré comme possédant une législation adéquate en matière de protection des données personnelles par l’Union européenne comme précisé par la carte de la CNIL consacrée à la protection des données dans le monde.
Par ailleurs, cela n’est pas sans rappeler la polémique suscitée par le club de football professionnel de Metz, qui, en 2020, a expérimenté la technologie de la reconnaissance faciale dans son stade. Si la ministre des Sports avait alors assuré que le recours à ce dispositif avait vocation à être « valorisé sur les grands événements sportifs », les associations nationales de supporters dénonçaient de leur côté une possible atteinte aux libertés individuelles.
Cette prise de position apparaît comme satisfaisante au regard des libertés individuelles et de la protection des données personnelles, toutefois le recours aux caméras augmentées afin d’assurer l’objectif de sécurité de l’événement n’est pas sans risques et devra nécessairement être encadré.
Sources :
- « Paris 2024 : pas de reconnaissance faciale aux JO », Le Parisien, 23 novembre 2022 : https://www.leparisien.fr/politique/paris-2024-pas-de-reconnaissance-faciale-aux-jo-23-11-2022-4E3FP2XBWZC4LBY3B4UMPA3QPE.php
- « JO 2024 : le ministère des Sports confirme le recours à la vidéosurveillance « intelligente » », Next Inpact, Brief du 25 novembre 2022 : https://www.nextinpact.com/lebrief/70470/jo-2024-ministere-sports-confirme-recours-a-videosurveillance-intelligente
- « Reconnaissance faciale », CNIL définition : https://www.cnil.fr/fr/definition/reconnaissance-faciale
- « Déploiement de caméras « augmentées » dans les espaces publics : la CNIL publie sa position », CNIL, 19 juillet 2022 : https://www.cnil.fr/fr/deploiement-de-cameras-augmentees-dans-les-espaces-publics-la-cnil-publie-sa-position
- « La reconnaissance faciale au FC Metz, une expérimentation qui suscite la controverse », France 24, 02 février 2020 : https://www.france24.com/fr/20200202-la-reconnaissance-faciale-au-fc-metz-une-exp%C3%A9rimentation-qui-suscite-la-controverse