L’automatisation croissante des tâches via l’usage d’intelligences artificielles
Si l’automatisation des tâches les plus simple par des machines n’est pas un processus datant d’hier, le procédé vers lesquels l’entreprise Johnson and Johnson (J&J) s’est tournée depuis quelques années est, lui, à la pointe de la technologie moderne. En effet il s’agit de la combinaison de l’automatisation robotisée des processus (RPA) qui consiste à utiliser des robots usant de logiciels servant à automatiser divers processus, avec l’apprentissage machine (ML) et l’intelligence artificielle (IA). Cela signifie concrètement que J&J ne cherche plus simplement à automatiser des tâches simples comme le déplacement physique de matériaux, mais également des tâches de plus en plus complexes telles que le remplissage de formulaires internes ou l’envoi de courriels groupés, pour finalement en arriver à être capable d’automatiser tout le processus de facturation jusqu’à l’encaissement avec des clients.
Les processus d’automatisation gagnent ainsi progressivement en autonomie et sont chargés en conséquence de tâches nécessitant de plus en plus un certain sens du discernement. La crise sanitaire du Covid 19 a révélés aux entreprises (particulièrement multinationales) les difficultés que pose la nécessité d’établir un dialogue clair et constant avec des centaines d’employés dispersés géographiquement. Si le distanciel n’empêche pas le dialogue, il reste très limité quand il s’agit de se coordonner précisément avec des employés parlant parfois difficilement la même langue, ne vivant pas dans les même fuseaux horaires, et étant parfois peu formés aux protocoles de communication interne propres à certaines sociétés : multiplicité des canaux de discussions et d’homologues à contacter et employés non suffisamment supervisés ou formés.
Les avantages constatés de cette réorganisation du travail dans l’entreprise
Dans ce contexte, les avantages offerts par l’automatisation d’un maximum de tâches, pour lesquelles les entreprises recourent souvent à des employés peu formés, habitant d’autres pays et subissant un roulement fréquent, apparait évident, tant en termes de moyens économisés que de temps gagné.
En effet, la « simple » automatisation de processus internes tel que l’envoi de mails aux employés, la validation de certains protocoles de conformité-produit ou le recours aux « chatbots » pour répondre à certaines questions des clients, est estimé faire économiser 500 millions de dollars par ans à J&J.
La stratégie du tout numérique semble être une approche très porteuse dans un monde toujours plus dématérialisé, on peut à cet égard considérer le Japon comme un des pionniers dans le domaine, puisque ce pays a réussi sa transition d’État ruiné à l’industrie quasi-inexistante après la seconde guerre mondiale, à l’une des industries de pointe en matière d’automobiles, de robotisation ou encore de logiciels. Cela est passé par une logique de l’automatisation maximale des tâches, d’abord par les machines, puis par les logiciels ; une logique que la France a refusé pendant des années, avant de la suivre avec beaucoup de retard dans les années 70 en commençant l’automatisation massive dans ses usines de construction d’automobiles.
Ainsi J&J fait le pari de diminuer drastiquement le recours à de nombreux employés peu qualifiés et de conserver un nombre réduit de salariés hautement qualifiés, un pari qui semble actuellement gagnant si l’on en juge notamment par la valeur croissante en bourse de l’action J&J.
Les problèmes soulevés par le gain d’importance de l’IA dans les entreprises
Évidemment, tout n’est pas parfait dans ce modèle alternatif d’organisation du travail en entreprise, et les inquiétudes se multiplient concernant les problèmes que pose ou risque de poser la mise en pratique de cette vision « tout numérique ».
La première préoccupation sociale est naturellement l’emploi : s’il est plus rentable de remplacer par une machine un préparateur de commande en entrepôt ou une caissière, jusqu’où ira cette logique ? Il est désormais également possible de remplacer les infirmières et les aides à domicile par des robots (preuve en est au Japon), les postes de ressources humaines sont en partie pris en charge par des IA dans quelques entreprises de pointe comme J&J ; en bref cette logique de l’automatisation des tâches de plus en plus complexe semble inexorable : comment les marchés de l’emploi réagiront quand il sera plus rentable et rapide de remplacer complétement les ingénieurs ou les avocats par des logiciels automatisés ? De plus si des professions requérant un niveau élevé de qualifications deviennent précarisées par la concurrence d’IA, cela sera vraisemblablement pire pour les métiers nécessitant un niveau moindre de formation et pour lesquels les candidats n’ayant pas forcément la possibilité d’accéder à un niveau élevé d’études se retrouveraient alors « obsolètes » dans le nouveau marché du travail. Ce modèle d’organisation du travail, s’il est rentable pour les entreprises, précarise fortement le marché de l’emploi et contribue à augmenter le chômage chez une part importante des populations, preuve en a été donnée suite aux multiples manifestations d’ouvriers français travaillant dans des usines en France, puis licenciés car pas assez rentables et efficients comparé à des robots-logiciels.
Outre le défi social de réorganisation du marché du travail qui attend les États s’ils veulent généraliser la stratégie du tout numérique sans licencier une part trop importante des employés occupant des postes automatisables, se pose la question des problèmes posés par la perte du contact humain dans la relation entreprise-client et au sein des entreprises elles-mêmes.
En effet l’usage de « chatbots » par exemple permet certes d’économiser le salaire d’employés chargés uniquement de répondre aux questions des clients, mais il est permis de douter de la capacité d’un logiciel à faire preuve du même discernement qu’un être humain dans sa compréhension des questions, de sa capacité d’adaptation à des situations inédites ou encore de sa capacité à véhiculer un minimum de sympathie et de chaleur humaine à laquelle les clients peuvent accorder de l’importance. De plus l’automatisation progressive d’un nombre croissant d’échelons dans une entreprise par des IA pose la question de savoir ce qu’il en sera de la capacité à faire preuve de créativité et d’inventivité chez les entreprises majoritairement composées de logiciels dépourvus (pour l’instant ?) de libre arbitre et de personnalité. Et si la course à l’automatisation continue sa courbe actuelle, comment les employés humains vivront le fait de perdre progressivement le contact avec le processus de conception et de créations ? Heureux d’être débarrassés de tâches potentiellement pénibles ou frustrés d’avoir un contact de plus en plus lointain avec ce que leur entreprise crée ?
Les avantages actuellement constatables de l’automatisation du travail ne doivent pas faire oublier la nécessité de faire face aux problèmes actuels ou hypothétiques du recours à l’intelligence artificielle, et de réfléchir à un choix de société par rapport à la place qu’occupera l’Humain dans le monde de demain.
SOURCES :
https://www.cio.com/article/411327/johnson-johnsons-big-bet-on-intelligent-automation.html