Selon le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, le mot « travail » désignait étymologiquement un instrument de torture, de souffrance physique. Aujourd’hui, avec les NTIC[1], ce vocable ne semble toujours pas « trahir » ses origines primitives.
Travailler sous l’ère de la nouvelle technologie, malgré les avantages de celle-ci, rime avec beaucoup de stress, de pression, et parfois de harcèlement, etc. Ainsi, combien de travailleurs exécutent leur tâche quotidienne avec une caméra rivée sur leurs visages[2] ou une webcam dans leur domicile privé ? Combien de travailleurs ne cessent de recevoir des sms, des appels, des mails etc., de leurs employeurs en plein dîner de famille ? Combien de chauffeurs, livreurs sont connectés à un système de géolocalisation etc. ? Autant de procédés de surveillance avec des conséquences psychologiques considérables, notamment des maladies psychosociales, le stress permanent, de l’hyper-connexion, de la violation de leur intimité, dignité et vie privées, etc.
En 2021, 83% des plaintes reçues par la CNIL[3] visaient à dénoncer des dispositifs de vidéosurveillance au travail. Ce chiffre illustre la difficulté à laquelle les employeurs sont confrontés : comment contrôler l’activité des salariés tout en respectant la loi ? Comment tenir en compte surtout de la santé mentale du travailleur ?
Respect de la vie privée et de l’intimité du salarié : première chose à prendre en compte
La distinction entre vie personnelle et vie professionnelle du salarié conduit à permettre une surveillance plus stricte du travailleur au temps et au lieu du travail que pendant les périodes où le salarié échappe à l’autorité de l’employeur.
La Cour de cassation déclare toutefois que « le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée et que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances »[4].
Même lorsqu’il est au travail, une part de la personne du salarié échappe donc au pouvoir de l’employeur. Celui-ci ne saurait, par exemple, interdire toute conversation étrangère au service entre salariés.
Dans sa page questions-réponses sur le télétravail[5], la CNIL rappelle par exemple que lorsqu’il n’est pas possible de flouter l’arrière-plan (où l’on peut voir l’intimité de son domicile), l’employeur ne peut pas exiger d’un salarié qu’il active sa caméra en permanence à l’occasion d’une réunion en visioconférence sauf dans des cas particuliers comme un entretien RH ou une rencontre avec des clients extérieurs.
L’information du travailleur ou salarié : un droit fondamental à respecter
Pour son pouvoir de contrôle de l’activité, l’employeur a le droit de surveiller les salariés dans le cadre de l’exécution du contrat de travail.
Concernant les questions du numérique, on constate une légère tendance favorable aux entreprises.
L’employeur doit respecter le RGPD, ce qui exclut les dispositifs de surveillance non conformes à ce texte, et le code du travail. Toutes les données personnelles du salarié qui seront collectés pour des besoins de surveillance doivent l’être sous le respect du RGPD dans ses principes et dans son contenu.
S’agissant plus particulièrement de l’installation des caméras sur les lieux de travail, elle n’est admise que si elle est justifiée par un impératif de sécurité des personnes ou des biens (en cas de vols répétés par exemple).
Les caméras ne peuvent en revanche pas filmer les salariés sur leur poste de travail, sauf à ce que des circonstances spécifiques le justifient. La CNIL l’autorise ainsi si le salarié manipule de l’argent, à condition que la caméra filme principalement la caisse et non le salarié.
Le comité social et économique doit être associé à la démarche : il doit ainsi être informé et consulté préalablement à la mise en œuvre de moyens ou de techniques visant à surveiller les salariés.
Ensuite, le salarié doit être individuellement informé du dispositif de contrôle. L’obligation de loyauté de l’employeur fait en effet obstacle à tout stratagème ou dispositif de contrôle qui serait installé à l’insu des salariés.
A défaut de respecter ces deux obligations (information-consultation des représentants du personnel et information individuelle des salariés), le système de surveillance est inopposable aux salariés, l’employeur ne pouvant alors se prévaloir des preuves recueillies par ce biais pour les sanctionner ou les licencier[6].
Concernant la géolocalisation, l’employeur peut installer un dispositif de géolocalisation pour contrôler leur durée du travail à la double condition :
- De ne pas être en mesure de pouvoir contrôler le temps de travail par un autre dispositif, tel qu’un document déclaratif ou un système de pointage ;
- Que le salarié ne dispose pas d’autonomie dans l’organisation de son travail, ce qui est incompatible par exemple avec les VRP ou les salariés soumis à un forfait-jour.
Enfin, les salariés concernés doivent avoir la possibilité de désactiver la fonction de géolocalisation en dehors du temps de travail. Ces différents dispositifs de contrôle ou de surveillance ne nous mènent -ils pas vers une « robotisation » ou « machinisation » de l’humain ?
La santé mentale du travailleur dans tout ça ?
L’employeur a une obligation de sécurité à l’égard du salarié, donc il doit prendre les mesures nécessaires pour protéger leur santé physique et mentale.
Pour les entreprises, la digitalisation doit forcément s’accompagner d’une approche proactive en termes de management des risques et de l’innovation. Sur les risques, l’employeur est tenu de mettre en place des mesures préventives et d’assurer une activité de contrôle. Sur l’innovation, l’entreprise devra veiller à piloter une stratégie de changement culturel (culture de capitalisation sur les données numériques et la relation client, culture de l’innovation et des technologies disruptives) et structurel (nouvelle gouvernance, partenariats stratégiques, équipes pluridisciplinaires). Dans le même temps, elle assurera l’accompagnement opérationnel du changement à travers des formations et une organisation du travail adaptée.
Il doit identifier des risques psycho-sociaux et les combattre. Si le salarié est atteint d’une dépression liée au numérique ou au travail en général on peut engager la responsabilité de l’employeur.
Dans ce cas l’intelligence artificielle pose un problème car elle est liée à la santé mentale des salariés.
La question de la déconnexion est un droit pour le salarié, car celui-ci n’est pas obligé de répondre au mails, messages de son employeur ou des sollicitations des clients en dehors des heures de travail. Si ceci a été convenu avec l’employeur donc forcément il doit avoir une rémunération forfaitaire.
Récemment aux États-Unis, les camionneurs et leurs camions sont connectés, les marges de manœuvre, qui faisaient une partie du sel de ces métiers, sont réduites à la portion congrue. Désormais subordonnés à des algorithmes et des capteurs, les chauffeurs ne sont plus des “chevaliers de l’autoroute” ou des “cow-boys de l’asphalte”, comme ils aimaient à se présenter. Ils dépendent numériquement de leur machine, de leur employeur (s’ils sont salariés) et de leurs clients (s’ils sont à leur compte).
Hommes et véhicules sont épiés, et leurs données épluchées, parfois en temps réel. Il s’ensuit une pression maximale à la performance.
Contrôle des mobilités et contrôle de l’intimité se légitiment au nom de la productivité (il faut optimiser les trajets) et de la sécurité (il faut veiller à ne pas trop se fatiguer au volant). Le droit cherche depuis longtemps à protéger le travailleur en lui interdisant de trop travailler et de risquer l’accident.
Le monde de la route est maintenant affecté par une “prolifération de technologies de surveillance” qui mesurent les itinéraires, les horaires, les freinages, les arrêts, les températures, les communications et même les ondes cérébrales du conducteur.
Alors jusqu’où ira-t-on avec les nouvelles technologie ? Surtout au moment où beaucoup de secteurs du travail tendent à être conquis par l’intelligence artificielle avec l’invention du ChatGPT qui guette les professions qui ont de tout temps été confiées à l’intelligence humaine.
Sources
Loi du 08 Aout 2016 sur la déconnection du salarié,
L’accord collectif de la déconnexion du 12 juillet 2018 relatif à la déconnexion dans le notariat.
[1] Nouvelles technologies de l’information et de la communication,
[2] Cass. soc., 23 juin 2021, n° 19-13.856
[3] Commission nationale de l’informatique et de liberté
[4] Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Bull. civ. V., 2001, n° 291
[5] https://www.cnil.fr/fr/les-questions-reponses-de-la-cnil-sur-le-teletravail
[6] Arrêt du 22 septembre 2021 (n°20-10.843)