Faits :
Un salarié, embauché en tant que responsable du service photo depuis 2005, devenu directeur artistique et journaliste reporter photographe par la suite en 2014, notifie en 2017, sa décision de quitter le journal périodique dans lequel il travaille, trois ans après que ce dernier se soit doté d’un nouvel actionnaire majoritaire. S’il décide de mobiliser la clause de conscience prévue à cet effet, sa volonté se heurte au refus de son employeur.
Procédure :
C’est dans ces circonstances, qu’il saisit en 2018 la juridiction prud’homale afin de bénéficier – dans un premier temps – du paiement de l’indemnité légale de licenciement prévue à l’article L. 7112-3 du Code du travail, ainsi qu’au versement – dans un second temps – de dommages et intérêts en raison de manquements graves et répétés de son employeur.
Interjetant appel de la décision de la juridiction prud’homale l’ayant condamné au versement de l’indemnité prévue par l’article L. 7112-3 du Code du travail, la société défenderesse s’est également opposée à la Cour d’appel, qui par un arrêt confirmatif, reconnait la cession du périodique (société défenderesse) comme cause de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié-demandeur, sans pour autant en rechercher la causalité directe.
Le défendeur se pourvoit donc en cassation dans l’espérance d’échapper à la condamnation que lui a incombé l’arrêt d’appel et dans l’intérêt faire reconnaitre la mobilisation purement arbitraire de ladite clause de cession.
Problèmes de droit :
La question posée à la Cour est de savoir si la mobilisation de la clause de conscience à l’initiative du salarié, intervenue trois ans après la cession de l’entreprise dans laquelle il travaillait, ouvre droit, au profit de l’intéressé, au versement de l’indemnité légale de licenciement prévue à l’article L. 7112-3 du Code du travail.
Solution :
Dans son arrêt du 14 décembre 2022, la Cour de cassation statue par la négative.
Tout d’abord, son arrêt de cassation casse l’arrêt d’appel qui contraignait le défendeur à l’accès aux prétentions du demandeur, pour défaut de base légale.
En effet, après avoir dûment vérifié que la clause de cession n’était enfermée dans aucun délai et qu’elle se trouvait bien mobilisée en l’espèce par l’une des circonstances énumérées par l’article L. 7112-5 du Code du travail, l’arrêt d’appel se borne à caractériser ladite cession comme cause de la rupture litigieuse simplement parce que le droit de rompre du demandeur trouvait son fondement dans l’acte juridique objectif de cession du périodique.
Si la Cour de cassation, casse l’arrêt d’appel seulement en ce qu’il a statué sans rechercher l’existence d’un lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal intervenue trois ans plus tôt, les juges ne se prononcent néanmoins pas sur la causalité en question qui sera soumise à appréciation devant la Cour d’appel de Paris, nouvellement constituée.
Note :
« Un arrêt de cassation partiel n’emportant pas pour autant cassation des chefs de dispositif de l’arrêt condamnant l’employeur aux dépens ainsi qu’au paiement de frais irrépétibles au titre de l’article 700 du CPC »
La clause de cession ou « de conscience » prévue à l’article L. 7112-5 du Code du travail est un type de démission particulière réservée au journaliste professionnel, qui se caractérise par un mode de rupture atypique du contrat de travail, en ce sens qu’il s’agit d’une démission produisant les effets d’un licenciement. Suivant l’article L. 7112-3 du Code du travail, lorsque le journaliste est licencié, celui-ci a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire par année d’ancienneté. Outre ses avantages sociaux, la clause « de conscience » a été imaginé pour préserver l’indépendance et les intérêts moraux des journalistes. Elle constitue, selon le livre vert des Etats généraux de la presse écrite de 2009, un des droits essentiels du métier de journaliste.
L’article L. 7112-5 du Code du travail liste les conditions permettant au journaliste de quitter l’entreprise de presse tout en bénéficiant des indemnités de licenciement. Nous allons nous intéresser à la première, la circonstance de cession (consistant à céder le journal ou le périodique) car c’est celle qui s’est déroulée dans l’affaire ci-présentée. De cette manière, lorsqu’il y a une cession de parties du capital de nature à entraîner un changement de contrôle de l’entreprise de presse, il y aura lieu d’admettre la mise en œuvre de la clause cession.
En principe, la circonstance en elle-même est une condition de mise en oeuvre de la clause, le législateur ne l’ayant enfermée dans aucun délai, il suffit pour le journaliste professionnel de rapporter des preuves de la cession du journal ou du périodique (1° de l’article L. 7112-5 du Code du travail) sans avoir à démontrer que la cession porte nécessairement atteinte à ses intérêts moraux. La mise en oeuvre de la clause n’étant alors enfermée dans aucun délai, et l’employeur n’étant pas autorisé à en imposer un au journaliste, il suffit donc que la volonté du journaliste qui en a l’initiative soit claire et non-équivoque. Sauf que cela ne suffit pas…
Ainsi et comme le rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt, il est impératif d’établir l’existence d’un lien de causalité direct entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal, notamment lorsque plusieurs années se sont écoulées entre la survenance des deux faits précités. Même si la Cour de cassation a déjà pu autoriser, par le passé, la mobilisation de la clause de cession treize mois après la circonstance de cession du périodique (jurisprudence n°02-42.437 du 30 Novembre 2004), il convient de rappeler qu’une mise en œuvre trop tardive de la clause de conscience peut rendre difficile la preuve du lien de causalité entre le départ du journaliste et l’opération juridique.
Si c’est le cas comme ce le fût en l’espèce, il sera attendu du journaliste qu’il s’explique sur les raisons d’une mise en oeuvre aussi tardive de la clause.
Dès lors, c’est parce que ces exigences n’ont pas été suivies par la Cour d’appel, qu’elle a privé sa décision de base légale, ne permettant pas à la chambre sociale de la Cour de cassation d’exercer son contrôle ou du moins de vérifier si la loi a bien été respectée en l’espèce. La seule solution était de casser et de remettre les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient, devant une Cour d’appel nouvellement constituée, qui saura entendre les raisons du demandeur relatives à une mise en oeuvre aussi tardive de la clause « de conscience » et qui appréciera pour le coup, l’existence d’un éventuel lien de causalité entre la rupture de contrat de travail et la cession du périodique.