par Alban MARCANTONIO, étudiant du Master 2 Droit des médias électroniques
Le 2 mai 2023, Hollywood est secoué par un terrible séisme. Les acteurs et actrices de studios américains décident de faire grève, suivant, à leurs tours, les scénaristes.
L’une des raisons pour lesquelles les acteurs et actrices mettent en pause l’une des plus grosses industries cinématographiques au monde tourne autour de la question de l’Intelligence Artificielle (IA).
Cette grève fait suite à un vote à l’unanimité du syndicat des acteurs et actrices, SAG-AFTRA, alors que ce dernier venait tout juste de refuser une reconduction des accords collectifs passés avec l’AMPTP (l’association représentant les intérêts des producteurs de cinéma et de série de télévision), qui arrivaient à expiration ce 12 juillet 2023.
Les conséquences de cette grève sont, d’une part, un arrêt total et immédiat des tournages de films et de séries télévisées, et d’autre part, des complications quant aux devoirs de disposition des acteurs et actrices à faire la promotion pour les films et les séries télévisés.
S’agissant de la question de l’Intelligence Artificielle, on peut noter, comme revendication, l’encadrement strict de l’usage de l’IA.
Au cœur de l’actualité de ce mois d’octobre 2023, la discussion entre les syndicats, représentant les acteurs et les actrices, et Hollywood s’est interrompue ce mercredi 11 octobre et avant de reprendre ce mercredi 24 octobre.
L’IA face aux différents emplois du monde cinématographique
Pour le syndicat des acteurs et des actrices, SAG-AFTRA, l’IA est une menace réelle et immédiate.
Comment se définit l’IA pour que son arrivée dans l’industrie cinématographique soit considérée comme une menace ?
L’Intelligence Artificielle est un groupement de différentes sciences, théories et techniques visant à imiter l’Homme au travers de machines ou de programmes, tout en recherchant à parvenir au développement d’une capacité cognitive semblable à celle de l’Homme.
Le développement de l’IA peut avoir des impacts importants sur notre société en général mais aussi, spécifiquement, dans des domaines tels que celui de la cinématographie.
La capacité d’imitation de l’homme est permise par le « machine learning » (apprentissage automatique) à l’aide d’algorithmes mais également par l’accessibilité à de gros volumes de données.
Aujourd’hui, notre capacité à faire travailler ou développer l’IA est facilitée par l’ère du numérique, en ayant un accès aux informations de façon plus aisée.
L’IA par sa capacité d’adaptation et de création peut bousculer tous les codes du domaine de la création artistique, tels que celui de la production d’œuvres cinématographiques.
De ce fait, la nouvelle question que l’on peut légitimement se poser est de savoir si la nouvelle influence de l’IA va avoir des impacts positifs ou négatifs dans les mondes du petit et du grand écran.
« Je pourrais être percuté par un bus demain mais mes interprétations pourraient continuer sans jamais s’arrêter » déclare le célèbre acteur Tom Hanks quand il s’est prononcé sur l’évolution de l’IA dans le milieu du cinéma et sur sa capacité à faire vivre des acteurs indéfiniment.
L’utilisation de l’IA peut donc avoir de nombreux bénéfices, comme une reproduction animée d’un acteur ou la faculté de faire vieillir ou rajeunir une personne à l’écran. On retient, ainsi, l’impact positif de l’IA comme outil pour les métiers de la création artistique.
Cependant, l’IA et son utilisation ne doivent pas remplacer les métiers de la création artistique ou de la culture. Un encadrement de l’IA doit être établi pour une situation de possible remplacement. En effet, si l’IA a la capacité d’accomplir les différentes tâches des emplois du monde cinématographique (scénariste, acteur et actrice, monteur, doubleur, …), nous passons sous un prisme de destruction de ces mêmes emplois. Et rien ne retiendrait les différents studios de se séparer de ces employés, et de ne plus à avoir à être contraint de respecter les statuts, droits et contraintes des employés humains. Un intérêt économique est à souligner à l’avantage des studios qui recherchent, aujourd’hui, de plus en plus à faire des bénéfices dans cette ère post Covid.
Cette utilisation de l’IA est donc à double tranchant pour le monde cinématographique. Un équilibre doit être trouvé entre les nouvelles facultés que peut apporter l’IA et la sauvegarde des emplois qu’elle peut remplacer.
Une nouvelle réglementation à venir, concernant la protection du statut des acteurs et des actrices et l’IA
Aujourd’hui, il n’existe aucun encadrement de l’IA à Hollywood.
Entre inquiétude et colère, le monde cinématographique ne cesse de chercher des solutions. Et pour les représentants des studios américains, cette situation ne peut plus durer, dans un contexte économique déjà fragilisé par la crise du Covid. Les demandes et la lenteur des négociations agacent les différents studios comme peut le souligner Bob Iger, le PDG de Walt Disney, jugeant ces mêmes demandes, du syndicat des acteurs et actrices, « irréalistes ». Ce dernier, a, lui-même, eu recours à l’utilisation de l’IA pour la création et la production d’un générique d’une œuvre du studio Disney avec la série télévisée « Secret Invasion ».
Ainsi, de premières propositions ont vu le jour, comme celle de l’AMPTP, faites aux différents représentants syndicaux. Qualifiée de « révolutionnaire » par Duncan Crabtree-Ireland, directeur exécutif national de la SAG-AFTRA, cette proposition permet de scanner des figurants qui seront payés sur une journée. Cette nouvelle image scannée, de l’acteur ou de l’actrice, appartiendra aux sociétés de production, qui se réservent le droit d’utiliser cette même image comme bon leur semble. Cette proposition est mal accueillie par les différents syndicats des acteurs et actrices, du fait de l’utilisation infinie d’une image sans aucune compensation. Un nouveau problème de droits d’auteur naitrait de cette proposition.
Aux États-Unis, le droit à l’image et à la voix est, par nature, un droit patrimonial. Un acteur ou une actrice peut, légitimement, revendiquer une valeur économique à l’exploitation de son image artistique ou de sa voix. Cette capacité est dû au « Right of Publicy » (droit de publicité). La Cour suprême des États-Unis a eu l’occasion de confirmer cette capacité en affirmant qu’une personne donne une valeur à ce qu’elle produit, et lui permet de détenir des droits d’exploitation. La proposition du syndicat, des représentants des différents studios, veut ignorer ce droit d’exploitation en payant sur une journée le scannage de la personne donnant son image. Les différents studios espèrent, avec l’utilisation de cette image à des fins artistique par l’IA, éviter de payer toutes les différentes compensations. Cependant, si l’on se réfère à certaines décisions, comme celles du tribunal fédéral du district de Columbia, le 18 aout 2023, la caractérisation de l’IA, quant à son manque de conscience de création, peut être un levier à soulever pour les acteurs et les actrices. La décision concernait, originalement, un refus de copyright pour une œuvre créée par l’IA mais il est tout de même intéressant de rattacher le motif de ce refus à cette proposition de l’utilisation de l’IA dans le monde cinématographique.
« Tout le business model de ce secteur a entièrement changé à cause du digital, du streaming et de l’Intelligence Artificielle, nous sommes dans un moment de vérité et si nous ne nous dressons pas maintenant, nous serons tous en danger d’être remplacés par des machines ! Mais pourquoi donc nous faites-vous cela ? ».
Fran Drescher, actrice et présidente de la SAG-AFTRA.
Être remplacés par des machines, c’est exactement la crainte du syndicat des acteurs et des actrices. C’est dans cette voie, que la demande du syndicat des acteurs et des actrices s’engage à faire restreindre au maximum le rôle de l’IA et son utilisation dans le milieu cinématographique.
Cette règlementation, à venir, permettrait de poser les premières pierres d’un cadre qui limiterait l’extension de l’IA dans sa capacité à pouvoir générer des scripts ou des montages, mais également de cloner la voix ou l’image des acteurs et actrices. Nous arriverons, à terme, à l’existence d’un vrai cadre juridique de l’exploitation de l’IA dans le milieu de la création artistique. Néanmoins, le système juridique américain est inspiré du système de « common law » anglo-saxon, où une grande part de sources du droit réside dans la jurisprudence. A l’aune d’un nouveau droit applicable, il est compliqué de ne se référer qu’à partir de décision prises antérieurement par les différents tribunaux. Et dans l’intérêt des différents acteurs du monde entier, vivant grâce au monde cinématographique (acteur et actrices, doubleur, exploitant de salle de cinéma, …), mais aussi pour la Culture, en règle générale, il est important que les différents partis se mettent d’accord sur cette nouvelle règlementation de l’utilisation de l’IA assez rapidement afin de faire cesser cette paralysie de la création d’œuvres pour le petit et le grand écran.
Aujourd’hui, à travers cette grève des acteurs et des actrices, la préoccupation première est de protéger le statut juridique des différents emplois du monde de la création artistique, face à cette arrivée, de plus en plus, omniprésente de l’IA dans notre société. Un défi aussi bien artistique que juridique à résoudre.
Sources:
- CNIL, “L’intelligence Artificielle, de quoi parle-t-on ?”, https://www.cnil.fr, 25 mars 2022
- Conseil de l’Europe, “L’IA, c’est quoi”, https://www.coe.int/fr
- Corine Lesnes, “Grève à Hollywood : les acteurs craignent d’être « remplacés par des machines »”, https://www.lemonde.fr,14 juillet 2023
- AFP, “Clap de fin à Hollywood face à une grève historique”, https://www.lexpress.fr, 14 juillet 2023
- Estelle Nguyen, “Grève à Hollywood : retour à la table des négociations pour les acteurs et les studios”,https://www.boursier.com, 23 octobre 2023
- Phillipe Guedej, “Hollywood : les acteurs en grève pour la première fois depuis 1980” https://www.lepoint.fr, 13 juillet 2023
- AFP, “Grève à Hollywood: les négociations entre studios et acteurs suspendues”,https://www.lefigaro.fr, 12 octobre 2023