Par Kenza DORGHAM, étudiante du Master 2 Droit des médias électroniques
L’histoire des droits d’auteur et de la protection des artistes remonte à la période de la Révolution française. En effet, la création d’un statut d’auteur fut décidée afin de leur garantir la pleine propriété des fruits de leur pensée.
Quelques décennies plus tard, le 31 janvier 1851, est créée la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM). Les statuts de la société prévoyaient initialement « la protection mutuelle de ses membres envers les entrepreneurs de spectacle et les établissements publics qui exécutent des œuvres musicales ». Finalement, il s’agit d’une société de gestion des droits d’auteur français.
Au vu de l’utilisation grandissante des Intelligences Artificielles (IA), Le 12 octobre 2023, la SACEM a annoncé, dans un communiqué de presse, qu’elle souhaitait appliquer son droit d’opposition (opt-out), prévu par la législation française à l’article L122-5-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).
En effet, elle imposera dorénavant que les activités de fouilles de données (data-mining) opérées par les Systèmes d’Intelligence Artificielle (SIA) sur les œuvres de la SACEM devront faire l’objet d’une autorisation préalable.
Évidemment, sans dépôt préalable auprès de la SACEM par le créateur de l’œuvre musicale, la société ne peut revendiquer quelconque droit d’auteur ou droit d’opt-out.
Qu’est-ce que le concept du data-mining ?
Le « data-mining », autrement appelé en français la fouille de texte ou de données, est défini à l’article 2 de la Directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique du 17 Avril 2019 comme « toute technique d’analyse automatisée visant à analyser des textes et des données sous une forme numérique afin d’en dégager des informations, ce qui comprend, à titre non exhaustif, des constantes, des tendances et des corrélations ».
Cette action est l’outil principal des SIA, afin qu’ils proposent une multitude de choix (d’œuvres musicales, artistiques) aux utilisateurs, pour permettre à ceux-ci de générer un maximum d’œuvres, qu’ils se voient offrir un champ de proposition conséquent quant à leurs envies. Mais le data-mining est accessoirement lié à un droit d’opt-out.
Une revendication de la SACEM basée sur l’article L122-5-3 CPI
Cet article se penche sur les droits patrimoniaux de l’auteur. Il dispose que « Sans préjudice des dispositions du II, des copies ou reproductions numériques d’œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées en vue de fouilles de textes et de données menées à bien par toute personne, quelle que soit la finalité de la fouille, sauf si l’auteur s’y est opposé de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne. »
Il est intéressant de se concentrer sur la fin de l’article où il est mentionné que l’auteur peut s’opposer à la fouille de son œuvre. Alors, comment la SACEM peut-elle se prévaloir de ce droit en n’étant pas l’auteur même des œuvres ?
Les œuvres répertoriées à la SACEM ont été déclarées préalablement auprès de cette dernière dans l’année suivant la première diffusion de son œuvre musicale. Le rôle de cette société dans les droits d’auteur est de les collecter, puis de les répartir.
De fait, en adhérant à la SACEM, l’auteur de l’œuvre musicale confie la gestion exclusive des droits à la société. Seule elle, autorise l’utilisation des œuvres sur les plateformes.
Cependant, la SACEM ne s’occupe pas du droit moral des œuvres. C’est alors aux auteurs de s’en prévaloir
Une ambition de la SACEM bien accueillie
Dans ce cas de figure, les éditeurs des SIA devront négocier, préalablement, avec la SACEM l’exploitation des œuvres musicales des artistes. Logiquement, les conditions d’exploitation seront négociées.
Dorénavant, la règle de l’opt-out s’appliquera également à l’ensemble des plateformes qui exploitent les œuvres de la SACEM (comme YouTube, Tik Tok ou encore Netflix). Le directeur général adjoint de la SACEM, David El Sayegh l’a explicité par « les plateformes de streaming qui diffusent les œuvres du répertoire de la SACEM doivent maintenant intégrer dans leurs conditions générales et leurs métadonnées cet ‘opt-out’ ». Le but est simple et seulement de bloquer les fouilles réalisées par IA.
On y note l’ambition de la SACEM de protéger ses artistes plutôt que de favoriser le numérique en général, qui occupe une place prépondérante dans notre vie actuelle.
La préoccupation principale de cette société d’artistes est de « collecter et répartir » les droits d’auteur mais aussi de « promouvoir et soutenir » les œuvres d’artistes. On y voit un semblant de lien avec la proposition de loi du 12 septembre 2023 visant à encadrer l’IA par le droit d’auteur, qui est fondée sur la volonté de garantir une juste rémunération des auteurs, et au-delà d’encadrer toute utilisation de l’IA dans le monde artistique.
Finalement, tous veulent assurer la juste rémunération des auteurs lorsque les œuvres sont utilisées dans le cadre de l’IA, afin que le droit d’auteur ne soit pas bafoué.
La SACEM constate aussi que les SIA ont une base de données astronomique où de nombreuses œuvres protégées par le droit d’auteur se retrouvent. Généralement, les productions générées par IA sont conceptualisées sur la base d’échantillons d’œuvres existantes. Il est alors légitime de réclamer une sorte d’indemnité. Cette demande se multiplie que ce soit pour les labels ou encore les sociétés comme la SACEM.
En revanche, cette société n’impose pas une interdiction de l’utilisation des IA, bien au contraire, mais un encadrement de l’utilisation de l’IA dans le monde musical. En ce moment même, les œuvres musicales générées par IA éclatent sur la toile, comme par exemple, la chanteuse belge Angèle, qui « interprète » la chanson “Voyage, Voyage” de Desireless.
En définitive, la SACEM ne s’oppose évidemment pas au développement de l’IA, mais souhaite imposer un régime de protection et d’encadrement pour les différentes créations des artistes, ce qui rejoint les projets de loi actuels d’encadrement juridique de l’utilisation de l’IA.
Elle admet que l’IA est un outil très utile pour les artistes actuels ou à en devenir, qui favorise la création et l’innovation tout en se basant sur des données déjà existantes.
La SACEM encourage vivement le Parlement européen à encadrer urgemment l’utilisation de l’IA dans le monde artistique actuel et que les artistes ne soient délaissés au profit des outils numériques.