par Pierre JACOULET, étudiant du Master 2 Droit des médias électroniques
Après X, Tiktok, Google ou encore Youtube, c’est au tour d’Amazon de devoir justifier l’application du DSA au sein de sa plateforme. Mercredi 15 novembre, la plateforme a officiellement reçu une demande d’information afin de vérifier les moyens qu’elle met en œuvre pour se conformer aux nouvelles règles du Digital Services Act européen.
Pour rappel, cette demande d’information avait déjà été envoyée notamment à X concernant notamment les moyens mise en œuvre pour la lutte contre les fausses informations et les contenus haineux.
Cette demande a finalement été envoyée à toutes les grandes plateformes d’Internet. Et Amazon n’y manque pas : étant considérée comme une « très grande plateforme » au sens du DSA, elle doit donc mettre en œuvre depuis le 25 août 2023 -date de l’entrée en vigueur de l’acte pour ces plateformes- les mesures nécessaires afin de respecter les différentes obligations du DSA.
Mais à la différence des autres plateformes mise en cause, ici, ce qui inquiète la Commission, c’est le respect des règles quant à la protection des consommateurs, notamment en ce qui concerne la lutte contre les produits illégaux. À noter que la Commission a aussi pu demander des éclaircissements sur ce point à la plateforme « Aliexpress ».
Amazon aura jusqu’au 6 décembre pour y répondre, auquel cas la Commission pourra entamer une procédure à l’encontre de la plateforme si les informations envoyées ne permettent pas de prouver la bonne application de l’acte européen.
Le DSA : Garant de la protection des consommateurs en ligne.
Si pour l’affaire concernant « X », il était question de contenus haineux et de fausses informations, la commission remet ici en cause les moyens mises en place par la plateforme pour la lutte contre les produits illicites et, plus généralement, pour la protection des consommateurs et des droits fondamentaux.
Pour rappel, en la matière, les « très grandes plateformes » ont pour obligation de supprimer dans un délai raisonnable tout contenu illicite. Il en va de même pour les produits illicites sur les marketplace. Par exemple, si un produit est issu d’une contrefaçon, violant ainsi le droit d’auteur du détenteur des droits sur le produit, la plateforme devra en suspendre l’annonce, après signalement par les utilisateurs.
La plateforme a aussi une obligation de transparence envers ses utilisateurs, c’est à dire qu’elle doit explicitement dire quels sont les contenus illicites.
Ces obligations sont communes à toutes les « très grandes plateformes ».
Pour ce qui est des obligations spécifiques aux marketplace, le DSA est venu renforcer la protection des consommateurs :
D’abord, ces plateformes doivent mettre en place une traçabilité des professionnels. C’est à dire qu’ils doivent pouvoir être retrouvés via une adresse, un nom, un numéro etc… par les consommateurs ou bien directement par la commission. Ces mêmes plateformes ont aussi le devoir de vérifier l’exactitude de ces informations (Article 30 DSA).
Ensuite, les Marketplace doivent vérifier que leur plateforme soit adaptée de telle sorte que les professionnels peuvent respecter leurs obligations pré-contractuelles notamment en ce qui concerne les informations de leurs produits. C’est le concept de conformité dès la protection prévu par l’article 31 du DSA.
Aussi, si la très grande plateforme est mise au courant d’un achat d’un produit illégal, elle doit informer le consommateur que le produit acheté est illégal, les coordonnées du professionnels et les moyens de recours possibles.
Finalement, le DSA prévoit aussi plusieurs autres modes de protection du consommateur comme la possibilité de refuser la publicité ciblée ou encore, l’obligation de tenir un« registre publicitaire » : Il doit contenir le contenu de la publicité (nom du produit, service, objet), la personne physique ou morale pour le compte de laquelle la publicité est présentée, la période au cours de laquelle la publicité a été présentée et le fait que la publicité était ou non destinée à être présentée spécifiquement à un ou plusieurs groupes particuliers.
La request for information prévu par l’article 67 du DSA envoyée par la Commission à Amazon repose dès lors sur la recherche de la conformité de la plateforme envers les obligations citées au dessus. Amazon devra répondre à cette demande au plus tard le 6 décembre 2023 : elle devra fournir toute information nécessaire permettant à la Commission de vérifier si la plateforme respecte bel et bien ses obligations envers le DSA.
Si les informations données par la plateforme ne permettent pas d’établir clairement l’application légale du DSA par la plateforme, la Commission pourra engager une procédure permettant de punir la plateforme : à la clé, une amende pouvant aller jusqu’à 6% du chiffre d’affaire mondiale annuel de l’entreprise, c’est à dire une amende de presque 28 milliards d’euros pour Amazon. (Article 74 DSA).
Le DSA : la nouvelle pierre angulaire européenne, une pierre « bancale » pour le moment.
Cette affaire concernant Amazon prouve encore une fois l’importance que l’Union européenne porte envers le DSA.
Thierry Breton affirmait dans un tweet que « Les choses ont changé en Europe. Il y a une loi. Elle doit être respectée ». Et c’est ce que la Commission fait : faire respecter le DSA par les plateformes. Après X , Tiktok, Aliexpress etc… où en est-on dans la lutte pour le respect du DSA ?
En réalité, peu de chose ont pu être faites pour le moment. En effet, pour infliger des sanctions, il faut une enquête. Or pour pouvoir mener cette enquête, le DSA exige la création d’un Comité européen des services numériques (article 61 DSA). Pourtant, la création du Comité tarde, alors que la date butoir est fixée pour le 17 février 2024. Thierry Breton disait vouloir accélérer, mais il semble que l’on soit encore au point mort.
Ainsi, la situation risque d’être la même pour encore quelques temps. Les informations données par les différentes sociétés seront conservées jusqu’à ouverture des enquêtes, lorsque le Comité sera opérationnel.
Amazon : le « bon élève » des grandes plateformes ?
Amazon a finalement annoncé qu’elle coopéra avec la Commission pour l’application du DSA et pour toute enquête nécessaire. Elle vient ainsi grandement faciliter le travail des futurs enquêteurs et ainsi la question de savoir si elle enverra les informations nécessaires à la Commission ne se pose pas.
C’est pourtant une position étonnante de la plateforme. Effectivement, cette dernière persiste à expliquer qu’elle n’est pas visée par le DSA car elle ne serait pas une « très grande plateforme ».
Elle expliquait que l’obligation du DSA demandant aux Marketplaces de mettre en place un « registre publicitaire » lui forcerait à révéler des informations confidentielles qui causeraient « un préjudice grave et irréparable à ses activités publicitaires et, par extension, à l’ensemble de ses activités ».
Et la plateforme a obtenu gain de cause, tout du moins, provisoirement. Le 27 septembre 2023, le tribunal de l’Union européenne a suspendu sa désignation de “très grande plateforme en ligne” au sens du DSA. Zalando avait aussi pu contester cette désignation, sans succès. Quelle conséquence pour Amazon ? Pour le moment, la plateforme n’a pas à appliquer les obligations du DSA. Mais la situation de la plateforme reste floue : aucune réponse n’est apportée s’agissant de savoir si oui ou non la plateforme devra respecter le DSA dès maintenant, ou en même temps que les autres plateformes plus petites, en 2024.