par Laura Villars, étudiante du Master 2 Droit des médias électroniques
La loi du 26 mars 2011 relative au prix du livre numérique est venue garantir les droits de l’éditeur, en instituant un mécanisme de prix fixe. Autrement dit, le prix fixé par l’éditeur doit être le même pour tous les clients (lecteur) et le même quelle que soit la personne qui commercialise le livre. Par conséquent, une personne telle qu’un intermédiaire proposant une offre de livres numériques à un acheteur (lecteur) situé en France doit respecter le prix de vente fixé par l’éditeur.
Avec le développement des livres numériques et l’augmentation de la lecture en ligne, nous avons vu apparaître de nouveaux acteurs – les plateformes de livres et de mangas numériques. Ces dernières jouent un rôle important visant principalement les adolescents et les jeunes adultes entre 18 et 25 ans.
La notion de manga numérique et de webtoon
Le manga est « une bande dessiné japonaise »[1] (Larousse), que l’on retrouve en plusieurs tomes en version papier et sous forme de « scan » en version numérique. Le « webtoon » quant à lui, est « un contenu dessiné conçu pour l’écran de smartphone, [c’est] une histoire séquencée en épisodes que l’on fait défiler verticalement sur son écran de téléphone »[2], que l’on retrouve des plateformes – telles les plateformes Webtoon, Verytoon ou encore Piccoma (plus pour le manga).
Ainsi la forme la plus connue pour lire un webtoon (ou un manga) sont les plateformes spécialisées qui propose de multiples œuvres en tout genre. Leur fonctionnement est simple : elles donnent d’abord un accès gratuit au premier chapitre de toutes les histoires, quand l’intrigue prend place, puis les chapitres suivants sont bloqués. Ainsi, le lecteur doit attendre en moyenne une semaine pour pouvoir lire le chapitre suivant. Les plateformes propose dès lors deux modèles « d’achat » :
- Soit un abonnement par semaine, par mois ou à l’année.
- Soit le déblocage des chapitres suivants via l’achat de jetons numériques dit « coins », ce qui est actuellement la forme la plus connue.
La plupart des plateformes offrent quelques jetons lors de l’inscription sur la plateforme, permettant de débloquer en moyenne 2 ou 3 chapitres. Puis si l’on veut poursuivre sa lecture, sans attendre un délai plus ou moins long, il faut acheter des jetons (ou coins).
Les jetons numériques dit « coins » ou « tokens »
Les jetons numériques sont des monnaies virtuelles propres à chaque plateforme, et qui, comme précisé précédemment, peuvent faire l’objet de distribution gratuite ou être vendus à des prix dits dégressifs selon la quantité achetée.
Or, il existe énormément d’offres d’achat pour les jetons : cela peut d’aller de 1 euro pour 12 jetons à 50 euros pour 500 jetons. Par ailleurs, chaque plateforme a son propre système de jetons, autrement dit, une plateforme peut débloquer un chapitre pour 5 jetons et une autre pour 10. Ainsi, l’achat d’un nombre de jetons sur les plateformes ne sera pas de la même équivalence.
Le système d’économie spécifique de chaque plateforme entraîne par conséquent des questions délicates au titre du respect de la loi du 26 mars 2011 relative au prix unique des livres numériques. Le médiateur du livre dans son rapport de 2022-2023 est venu apporter une réponse : « La loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique s’applique à la vente en ligne des mangas numériques, voire des webtoon (s’ils peuvent être publiés sous forme papier sans adaptation trop importante) ».
Les enjeux de l’application de la loi de 2011 aux modèles économiques des plateformes.
Tout d’abord, se pose la question de la compatibilité du système de jetons numérique avec la loi sur le prix du livre numérique. Cette dernière pose un principe de transparence du prix entre le prix d’achat à l’éditeur et le prix de vente au lecteur.
En l’espèce, il y a un important problème de transparence du prix auquel la plateforme « vend réellement » le livre. D’une part, du fait que l’achat de jetons permette de débloquer des chapitres et non pas le livre en entier. D’autre part, du fait que l’achat se fasse via des jetons rendant de ce fait plus flou le prix pour le lecteur.
Pour répondre au problème, le médiateur du livre dans le rapport d’activité de 2022-2023, a pris dix recommandations professionnelles ; cinq visant à apporter des solutions immédiates et cinq structurelles visant à s’inscrire dans la durée. Il a notamment recommandé de :
- Donner toute maîtrise du prix à l’éditeur. — Le prix du livre fixé par l’éditeur doit encadrer la distribution gratuite de jetons par la plateforme ; de même, la gratuité des premiers chapitres relève des prérogatives de l’éditeur, elle ne peut faire l’objet d’une stratégie commerciale des plateformes.
- Éviter les pratiques d’exploitation exclusive par les plateformes
- garantir le principe de diversité des canaux de diffusion
- Assurer la transparence du prix pour le lecteur. — Pour cela, les plateformes doivent indiquer au lecteur le prix effectif en euros et non pas seulement le prix en jeton (du chapitre ou du livre).
Par ailleurs, le médiateur du livre vient également jouer un rôle important face à l’émergence de pratique de lecture en ligne. Ce dernier accompagnera les acteurs du livre, et cela notamment en encadrant les nouvelles pratiques, telles que celles impliquant des jetons numériques, dans un objectif de préservation de l’équilibre concurrentiel prévu par la loi du 26 mars 2011.
Le concept de Webtoon et la pertinence de la loi du 26 mars 2011
Enfin, il reste une dernière interrogation quant aux cas des webtoon. En effet, la loi du 26 mars 2011 relative au prix unique des livres numériques prévoit d’être applicable uniquement si les livres ou mangas « peuvent être publiés sous format papier sans adaptation trop importante ». Or dans le cas du webtoon ce dernier est principalement numérique, le format étant conçue pour les smartphones.
Le médiateur du livre a également apporté une réponse dans une interview, soutenant qu’il serait très difficile de ne pas considérer les webtoon comme des livres, et que cela amène plutôt à se questionner sur la pertinence de la loi du 26 mars 2011. Une modification de la loi, ne devrait-elle pas être à envisager, pour que cette dernière puisse faire face aux nouvelles pratiques numériques de la lecture ?
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Sources :
http://mediateurdulivre.fr/accueil-2/les-actualites/
Le Médiateur du livre – Rapport d’activité 2022-2023
https://journals-openedition-org.lama.univ-amu.fr/rbnu/6351
[1]https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/manga/49098#:~:text=Bande dessinée japonaise.-,manga n.m.,Ancien Monde, au…
[2]https://centrenationaldulivre.fr/actualites/retour-sur-la-table-ronde-3-nouvelles-pratiques-de-lecture-en-ligne-vraie-ou-fausse