Le scandale provoqué par l’utilisation d’un logiciel de vidéosurveillance algorithmique par les forces de l’ordre françaises
par Margaux CHAUVIN, étudiante du Master 2 Droit des médias électroniques
Des révélations du site Disclose quant à l’utilisation par les forces de police françaises d’un logiciel de vidéosurveillance et de reconnaissance faciale ont poussé la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) à lancer, le 15 novembre 2023, un contrôle du ministère de l’intérieur.
Ce logiciel, nommé Briefcam, a été fourni à la France en 2015 par la société israélienne éponyme et permet entre autres la reconnaissance faciale des individus.
Il est déjà possible de noter que le 22 novembre dernier la CNIL avait ordonné de supprimer des données Briefcam récoltées dans un village français car elles portaient, selon elle, « une atteinte grave et manifestement illégale au respect de la vie privée ».
Cette polémique a fait réagir au niveau européen. En effet, 45 députés européens s’opposent à la présence du logiciel de vidéosurveillance algorithmique Briefcam au sein de la police française et ont donc envoyé une lettre ouverte à la France.
Cette lettre ouverte s’adresse à Emmanuel Macron, Elisabeth Borne et Gérald Darmanin.
Ainsi, les députés rappellent que quelques mois plus tôt, lors des discussions autour de la loi sur les jeux olympiques, Gérald Darmanin avait déclaré à plusieurs reprises être opposé à l’utilisation de la reconnaissance faciale dans l’espace public français. Ces déclarations perdent évidemment de leur éclat lorsque la police française, dont M Darmanin est responsable, utilise depuis 8 ans le logiciel Briefcam.
Toutefois, les députés européens ne pointent pas uniquement cette ironie du doigt, mais en profitent pour mettre en avant leur projet de loi sur l’intelligence artificielle au niveau européen, et surtout pour faire évoluer la vision de la France sur cette question.
Une position française prudente, face à une régulation exhaustive de l’intelligence artificielle en Europe
En effet, depuis quelques temps, la peur de se retrouver avec une loi trop restrictive semble avoir saisi le pays. Plusieurs personnalités telles que Arthur Mensch, le PDG de Mistral AI, ont évoqué leur inquiétude quant au frein à l’innovation des start-up en Europe que l’AI act peut représenter. La direction que semble vouloir prendre le gouvernement français est de favoriser l’innovation et le développement de l’IA en Europe avant de réglementer. Cette position est extrêmement critiquée par le commissaire européen Thierry Breton, qui estime que ce sont des paroles qui ne défendent pas l’intérêt général, et que l’AI act est par ailleurs totalement compatible avec une approche « pro-business ».
Toutefois, concernant la question de la reconnaissance faciale dans l’espace public, si l’AI act l’interdit, certaines exceptions, notamment pour les forces de l’ordre, sont reconnues, évidemment « sous réserve d’une autorisation judiciaire préalable et pour des listes d’infractions strictement définies ». Elle concernera « la recherche ciblée d’une personne condamnée ou soupçonnée d’avoir commis un crime grave ».
La France, quant à elle, a toujours été favorable à cette exemption en faveur des forces de l’ordre. Toutefois, cette position a été relevée et critiquée par les députés européens, qui écrivent dans leur lettre : « Comme nous constatons que les garanties déjà en place sont contournées, nous nous attendons à ce qu’il en aille de même pour toute exception inclue dans la loi sur l’IA, c’est pourquoi nous avons besoin d’une interdiction totale ».
Ainsi, les députés européens ont la volonté d’offrir une solution aux hésitations françaises et estiment que l’unique réponse possible à une telle polémique est de soutenir leur projet de régulation. « Nous appelons les autorités françaises à soutenir le Parlement européen dans sa demande d’interdiction stricte et complète de l’utilisation des technologies de surveillance biométrique dans les espaces publics accessibles ».
Avec cette lettre, les députés européens tentent de mettre la France dos au mur, grâce aux révélations du site Disclose, tout en vantant les mérites et les bienfaits de leur projet de loi sur l’intelligence artificielle, qui en l’occurrence régulerait son utilisation, mais aussi offrirait une meilleure protection aux citoyens européens.
Sources :
Vidéosurveillance algorithmique : la CNIL va contrôler le ministère de l’intérieur (lemonde.fr)