par Julien CHASSIBOUT, étudiant du Master 2 Doit des commnucations électroniques
Dans une vidéo publiée récemment sur ses différents réseaux, Jordan Bardella dénonce l’annulation par l’Union européenne des élections présidentielles en Roumanie, par crainte de la victoire d’un candidat « surprise » et sous prétexte de prétendues manipulations visant les réseaux sociaux notamment au travers de TikTok.
Il s’indigne également des propos de l’ancien commissaire européen français Thierry Breton qui reconnaît que l’Europe pourrait aussi faire annuler les prochaines élections allemandes face à la prétendue ingérence d’Elon Musk, utilisant son réseau afin de promouvoir certaines valeurs, voire certains candidats. Ingérence contre laquelle de nombreux officiels européens ou encore le ministre français des Affaires étrangères souhaitent lutter en interdisant la plateforme numérique X.
Annulation des élections, censure ou réglementation ? L’Europe contre les manipulations des très grandes plateformes
Tout d’abord, Jordan Bardella s’appuie sur un extrait de dix secondes déformé d’une interview de Thierry Breton avec Apolline de Malherbe sur le bras de fer entre Elon Musk, Donald Trump et l’Europe. Même si cet extrait a été repris par Elon Musk dans un tweet le 11 janvier 2025, Thierry Breton affirme que l’UE veille plutôt à la bonne application du DSA lors des élections roumaines ou allemandes afin de lutter contre une amplification artificielle par des algorithmes qui peuvent interférer dans les élections.
Ce fut le cas en Roumanie où la Cour constitutionnelle de Roumanie a dû annuler le processus électoral présidentiel suite à la suspicion d’une campagne russe menée sur TikTok en faveur du candidat Georgescu opposé à l’aide militaire en Ukraine. La Commission européenne, qui ne peut intervenir sur un processus électoral national, a quant à elle ouvert une enquête à l’encontre de ladite plateforme en vertu du DSA.
Enfin, le ministre Jean-Noël Barrot a démenti les propos à son encontre et a réaffirmé sa volonté de faire respecter la loi notamment le DSA et non d’interdire la plateforme X.
La nécessité d’encadrer les réseaux sociaux pour protéger notre démocratie n’est plus à démontrer après l’affaire Cambridge Analytica en 2016, l’invasion du Capitole de 2021, ou bien la volonté du législateur de prévenir les ingérences étrangères à travers la loi du 25 juillet 2024. Toutefois, si la suppression d’une plateforme ne semble pas être une décision efficace parce que comme le rappelle Bardella, « la liberté d’expression ne doit pas être entravée, car la controverse est toujours préférable à la censure ».
La solution se trouve peut-être dans une bonne application du DSA comme le soutiennent Thierry Breton et Jean-Noël Barrot, afin de remédier à ce que constatent Jean-Louis Missika et Henri Verdier dans « Le business de la haine : Internet, la démocratie et les réseaux sociaux », c’est-à-dire la transformation des réseaux sociaux conçus pour connecter les individus en outils de manipulation et de désinformation.
Alors le DSA peut-il être le rempart efficace face à ces nouvelles menaces numériques ?
LE DSA ou règlement 2022/2065 relatif à un marché unique des services numériques s’intéresse aux activités et aux contenus illicites pour ce qu’ils sont. Le professeur de droit Anastasia Iliopoulou-Penot dans un article pour le site le club des juristes affirme que le DSA ne constitue pas un instrument de censure et ne fait pas de la Commission le ministère européen de la vérité, décidant ce qui (ne) peut (pas) être dit en ligne. Ce qui est notamment problématique au regard du DSA c’est l’amplification de contenus d’une certaine couleur politique.
Le DSA impose des obligations sous le contrôle de la Commission aux plateformes et tout particulièrement aux très grandes plateformes. Des plateformes comme X ou TikTok se donc vu logiquement qualifiées de « très grande plateformes » en avril 2023, au sens de l’article 33 du DSA.
Parmi ces obligations, nous pouvons retenir celle de l’article 34 du DSA, imposant une évaluation des risques systémiques, c’est-à-dire d’un effet négatif réel ou prévisible sur notamment le discours civique, les processus électoraux ou encore le pluralisme découlant de la conception du service ou des systèmes algorithmiques. Cela afin d’éviter une mauvaise utilisation de la plateforme par la surdiffusion algorithmique de certaines opinions à l’instar d’autres, ce qui altérerait le débat public pourtant sine qua none de l’intégrité d’un processus électoral au sein d’une démocratie.
Dans la mesure où désormais les plateformes dépassent le cadre des médias, et que le pluralisme tant externe qu’interne n’arrive plus à s’appliquer, la bonne application du DSA semble donc primordiale.
Toutefois les professeurs K. Favro et C. Zolynski dans un article « DSA, DMA : L’Europe encore au milieu du gué» de Dalloz IP/IT, 2021, p.217, sont d’avis que le DSA qui prend les traits d’une lex generalis, sera confronté aux difficultés de mise en œuvre dans des législations sectorielles et aussi d’articulation avec certaines plateformes qui par leur rôle de contrôle d’accès (Gatekeepers), entravent et dominent durablement le marché en fixant leurs propres règles au mépris de la souveraineté des États. C’est là tout l’enjeu du DMA qui vise à agir sur ces acteurs afin d’ouvrir leurs écosystèmes verrouillés pour rendre plus interopérables et contestables les marchés numériques.
L’Union européenne fait-elle le poids face aux géants du numérique et à leurs écosystèmes ?
Un autre enjeu majeur sera bien sur la coopération des écosystèmes américains à appliquer cette législation européenne car très contraignant. En effet, les réseaux apparaissent désormais davantage comme des champs de lutte entre les acteurs étatiques, avec le développement des campagnes de désinformation en ligne orchestrées par des États.
Toutefois, la stratégie législative de l’Union européenne arrive désormais à mettre en difficulté ces géants du numérique américains basés sur l’exploitation du monopole de l’attention. Par le changement de paradigme de l’approche utilisée par l’Union européenne à travers ses derniers textes comme le RGPD, le DSA ou le DMA instituant une véritable approche fine des points névralgiques de ces écosystèmes. Mais aussi par l’intensification de la production législative pour construire brique par brique le marché unique, dite stratégie des « petits pas », pour prendre la compétence des États membres qui n’étaient que peu efficace, afin de réguler, réglementer voire de créer un socle quasi-constitutionnel européen en matière de numérique
Alors s’est mis en place un véritable bras de fer entre les États-Unis et l’Europe autour de la question de la régulation desdites plateformes. Bras de fer déjà marqué par la décision d’Elon Musk, Twitter de quitter la liste des signataires du code de bonnes pratiques contre la désinformation de l’Union européenne. Mais bras de fer qui va s’accentuer avec la déclaration de Mark Zuckerberg d’un changement de politique visant à « restaurer la liberté d’expression » sur ses plateformes, avec notamment la cession du programme de vérification des informations, ou par le remplacement des fact-checkers par un système de notes des utilisateurs. Le professeur de droit Anastasia Iliopoulou-Penot dans un article pour le site le club des juristes pense que ce bras de fer sera une réelle épreuve pour l’efficacité de la régulation européenne des géants du numérique, pour la résilience de nos démocraties et pour la qualité de l’éducation et de l’esprit critique des citoyens.
C’est pourquoi J. Bardella définit comme un véritable enjeu pour les nations d’Europe d’encourager l’émergence de géants européens du numérique et de pouvoir être souverain face aux entreprises numériques américaines. Ce dernier donne comme solution un changement de notre approche qui ne doit plus être punitive ou normative. Ce qui est déjà le cas avec les outils méthodologiques posés par le RGPD, le DSA ou le DMA avec l’abandon d’une logique de police administrative d’application de la norme vers une logique d’accompagnement dans une mise en conformité où la sanction est synonyme d’échec.
Enfin si l’ambition de J. Bardella que l’Europe dispose de ses propres réseaux sociaux avec des règles de transparence et d’éthique et des critères de respect de la démocratie et de la vie privée est souhaitable afin de renforcer la concurrence vis-à-vis des autres acteurs internationaux, cela ne semble pas régler ce problème de souveraineté numérique de l’Europe et d’impuissance voire de dépendances des États membres vis-à-vis des géants américains.
C’est pour cela qu’a été mise en place la stratégie « Façonner l’avenir numérique de l’Europe » afin de créer une souveraineté numérique, condition de l’émancipation à l’égard des plateformes et des Big Tech. Stratégie qui doit obligatoirement se concentrer sur la donnée afin de faire face au manque d’un cloud souverain européen.
Il existe une dernière solution mise en avant par K. Favro dans son article dans la revue européenne des médias et du numérique, éduquer et responsabiliser l’utilisateur afin qu’il sache ce qu’il regarde et ce qu’il peut partager afin qu’il soit lui-même responsable de la viralité des contenus.