Mark Zuckerberg annonce la fin du fact-checking aux États-Unis : quelles conséquences pour les européens ?

par Agathe LAMY, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques

Dans une vidéo publiée le mardi 7 janvier dernier, Mark Zuckerberg, PDG du groupe META (Facebook, Instagram, WhatsApp et Threads), a annoncé la fin du fact-checking sur ses plateformes et un remaniement de leur politique de contenu. L’objectif affiché est de revenir aux “fondements de la liberté d’expression” et de mettre un terme à ce qu’il considère comme de la “censure”. Ces changements concernent des applications rassemblant, selon une étude de Were Are Social, un nombre impressionnant d’utilisateurs en 2024 : 3 milliards pour Facebook, 2 milliards pour Instagram et 300 millions pour Threads.

Dans son annonce, M. Zuckerberg déroule un plan en 6 étapes afin de parvenir à son objectif de rétablir la liberté d’expression dans sa conception américaine. Il propose plusieurs changements majeurs : d’abord, supprimer les fact-checkers et les remplacer par des notes communautaires comme sur X. Ensuite, simplifier les politiques de contenu sur des sujets comme le genre ou l’immigration, avec une modération a posteriori plutôt qu’une “censure” préventive. Il prévoit aussi de réintroduire le contenu politique sur Facebook, auparavant limité pour se conformer aux règles européennes. Par ailleurs, il veut déplacer le service de modération de Californie au Texas, un État dans lequel il y aura “moins de préoccupations quant aux biais des équipes”. Enfin, il souhaite collaborer avec le gouvernement Trump pour riposter contre les gouvernements d’Europe, d’Amérique latine et de Chine, qui “institutionnalisent la censure” et freinent l’innovation des entreprises américaines.

Si, en apparence, les motivations de Mark Zuckerberg semblent légitimes, puisqu’elles invoquent la liberté d’expression, pourquoi ses déclarations, notamment sur la modification du fact-checking, suscitent-elles des inquiétudes, notamment chez les européens ?


En effet, ces décisions soulèvent des craintes quant à une possible amplification de la désinformation et des discours haineux sur les plateformes de Meta. Le fact-checking sur les réseaux sociaux a pour objectif de lutter contre la désinformation, les rumeurs et les fake news, tout en garantissant un accès à des informations fiables.

Pour beaucoup, la position de Mark Zuckerberg est empreinte d’opportunisme, s’inscrivant dans une tendance parmi les dirigeants des grandes entreprises numériques américaines. Ces derniers comptent sur le soutien de l’administration Trump pour défendre leurs intérêts économiques face aux législations étrangères.  

La combinaison de plusieurs mesures, telles que l’abandon du fact-checking, le retour des contenus politiques sur les plateformes et les modifications des techniques de modération, fait craindre une instrumentalisation des réseaux sociaux accompagnée d’une augmentation de la haine en ligne.

Le mathématicien et directeur de recherche au CNRS,David Chavalarias, spécialiste des mécanismes algorithmiques des réseaux sociaux, exprime ses préoccupations concernant la manipulation de l’opinion publique et l’atteinte aux principes fondamentaux de la démocratie. Selon lui, « il est impensable de confier l’opinion publique à des réseaux sociaux dépourvus d’éthique, qui revendiquent ouvertement l’utilisation des données à des fins idéologiques. »

Un nouveau fact-checking assuré par les utilisateurs finaux

Les techniques de désinformation, largement répandues sur les réseaux sociaux, représentent un danger pour nos sociétés, et en particulier pour la démocratie. L’Europe a légiféré dans ce sens avec le Digital Services Act (DSA) en 2022, afin de “renforcer le contrôle démocratique et la surveillance des très grandes plateformes et atténuer leurs risques systémiques (manipulation de l’information)”.

Anne Deysine, juriste et professeure à l’université Paris-Nanterre, souligne que la liberté d’expression, telle qu’ instrumentalisée comme aux États-Unis, représente un risque pour la stabilité démocratique.
Ce risque n’est pas nouveau. En 2016, lors de la première élection de Donald Trump, Facebook avait mis en place un vaste programme de fact-checking, en interne et externe, en collaborant avec 199 journalistes et experts indépendants à travers le monde. À l’époque, ce système permettait de réduire fortement la diffusion des contenus identifiés comme faux, d’ajouter un avertissement visible et d’informer les utilisateurs souhaitant partager ces contenus.


Aujourd’hui Meta ne se satisfait plus de ce système et accuse les fact-checkers d’être trop politisés et partiaux. Pour éviter toute “censure”, Mark Zuckerberg propose de remplacer ce système par des “community notes” : une modération assurée par les utilisateurs eux-mêmes. Ces derniers pourraient corriger ou compléter les informations publiées, et une note d’avertissement serait affichée à côté des contenus concernés.
Meta indique qu’elle n’interviendra “ni dans la rédaction ni dans l’affichage des Community Notes”, qui seront entièrement « écrites et évaluées par les utilisateurs ». Si le fact-checking n’est pas parfait, cette décision suscite des interrogations quant aux capacités des utilisateurs d’analyser et modérer les informations de manière aussi objective et rigoureuse que des professionnels tenus par des règles déontologiques.

Cette décision est d’autant plus regrettable que le dernier  rapport de transparence de Meta, rendu conformément au DSA, montre que Facebook parvenait à réduire la portée des fake news de 90 %, tout en limitant les erreurs de modération injustifiées à seulement 3,75 % des plaintes.


L’arrêt du fact-checking : quelles conséquences pour l’Europe ?

La suppression du fact-checking annoncée par Meta ne s’appliquera qu’aux utilisateurs américains. En théorie, Mark Zuckerberg ne pourra pas appliquer ces nouvelles fonctionnalités aux utilisateurs européens en raison de l’application du DSA. Ce règlement oblige les très grandes plateformes à mettre en place des mécanismes de réduction de diffusion des contenus de désinformation. Le non-respect des obligations du DSA pourrait entraîner pour Meta des sanctions pécuniaires et un éventuel blocage des services dans les États membres de l’Union. En effet, la Commission européenne peut ordonner des restrictions d’accès aux très grandes plateformes d’après l’article 82, mais uniquement après avoir épuisé tous les autres moyens disponibles pour mettre fin à une infraction. De plus, cette solution n’est envisageable que si l’infraction persiste et cause un préjudice grave qui ne peut être évité par d’autres mesures prévues par le droit de l’Union ou national, rendant ainsi l’hypothèse de blocage peu probable.

Si les sanctions institutionnelles, autres que pécuniaires, semble difficile à mettre en œuvre, la pression pourrait venir des utilisateurs eux-mêmes. Le poids politique de l’Europe repose sur le fait que le marché des utilisateurs européens représente des millions de personnes. Une prise de conscience collective et une perte de confiance envers les réseaux sociaux pourraient inciter les utilisateurs à se tourner vers des plateformes alternatives, plus respectueuses du pluralisme et des normes européennes. Des initiatives comme “Hello Quit X” ou des réseaux tels que Mastodon et Bluesky en sont l’exemple. Par ailleurs, au niveau économique, un réseau social rendu moins agréable par un manque de régulation risque de voir les annonceurs le déserter, ce qui pourrait avoir un impact significatif sur son modèle économique.

Finalement, les annonces de Mark Zuckerberg soulèvent des questions fondamentales sur l’avenir de la régulation des réseaux sociaux, entre la vision américaine et les préoccupations européennes. Cette divergence met en lumière un l’enjeu de la souveraineté numérique, beaucoup attendent des alternatives européennes. Face à la pression des géants de la tech soutenus par leur gouvernement, l’Europe devra faire preuve de fermeté.