par Florian MESTRES, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques
Et s’il suffisait d’un évènement à portée internationale pour contredire l’antienne particulièrement répandue en matière d’intelligence artificielle (IA) : « les États-Unis innovent, la Chine copie, l’Europe régule » ? C’est dans tous les cas la volonté impulsée par la France en organisant le Sommet pour l’action sur l’IA les 10 et 11 février 2025.
Après Bletchley Park (Royaume-Uni) en 2023 et Séoul (Corée du Sud) en 2024, c’est au Grand Palais, à Paris, que se déroulera la troisième édition de ce rendez-vous mondial. Au programme : des ateliers, des conférences, des démonstrations et de la négociation commerciale entre responsables politiques. Une centaine de chefs d’États et de gouvernement seront ainsi conviés.
L’IA conçue comme une opportunité
Le nouveau président américain Donald Trump est notamment attendu à Paris, tout comme le premier ministre de l’Inde (pays qui copréside le Sommet avec la France), Narendra Modi, ainsi que des officiels chinois. Sont également invités plus de 600 entrepreneurs et cadres du secteur de la tech – dont le patron de Tesla et du réseau social X, Elon Musk – ainsi que des représentants du secteur de la recherche, d’organisations non gouvernementales (ONG) et de la société civile.
Pour Anne Bouverot, chargée par l’Élysée de l’organisation de l’évènement, ce Sommet vise en outre à transmettre une vision plus positive de l’intelligence artificielle, au service de l’humain. « L’IA, comme toutes les technologies, comporte des risques, mais aussi des opportunités. L’ambition de notre Sommet ‘‘pour l’action’’ sur l’IA, c’est d’agir contre les risques et surtout d’agir pour maximiser les bénéfices partagés », souligne cette ingénieure de formation dans un entretien réalisé pour Le Monde.
Il est vrai que les deux premières éditions de l’évènement avaient déjà mis l’accent sur les failles de sécurité de cette technologie. Celle de Paris ne les éludera semble-t-il pas au regard des thématiques au programme. Des conférences et ateliers traiteront en effet des risques de l’IA afférents aux cyberattaques ou encore à la manipulation de l’information.
Cependant, la tonalité générale de ce rendez-vous entend moins considérer l’IA comme vectrice de défis plutôt que comme une solution. Les titres des sujets abordés au cours de plusieurs tables rondes donnent d’ailleurs le tempo : « Mettre l’IA au service de l’avenir du travail », « Créer un cercle vertueux entre l’IA, la création et l’information » ou encore « Orienter l’IA vers l’intérêt général : vers un écosystème d’IA résilient et ouvert ».
Une règlementation européenne décriée
Cette vision axée sur les bénéfices de l’IA et l’innovation se situe dans la continuité des déclarations du président de la République, Emmanuel Macron, sur le sujet. À la suite de l’annonce d’un accord politique trouvé sur ce qui allait devenir le règlement européen sur l’intelligence artificielle (RIA), en décembre 2023, le chef de l’État avait alors considéré qu’il n’était « pas une bonne idée » de vouloir « beaucoup plus réguler que les autres [pays] ». Et d’ajouter : « Je demande à ce qu’on évalue de manière régulière cette réglementation. Et si on perd des leaders ou des pionniers à cause de ça, il faudra y revenir ».
Même si ce règlement européen pose bien entendu des règles, la prise en compte de l’innovation et de la recherche constitue une préoccupation notable du RIA. Dès le considérant 1er, le texte mentionne en effet que « l’objectif du présent règlement est […] » notamment de « de soutenir l’innovation. »
Dans la même lignée, le considérant 25 affirme que « le présent règlement devrait soutenir l’innovation et respecter la liberté scientifique et ne devrait pas compromettre les activités de recherche et de développement. Il est donc nécessaire d’exclure de son champ d’application les systèmes et modèles d’IA spécifiquement développés et mis en service aux seules fins de la recherche et du développement scientifiques ».
Les États-Unis et la Chine font cavaliers seuls
Dans le contexte d’une concurrence mondiale s’agissant de la conception de systèmes d’intelligence artificielle (SIA) toujours plus entraînés et performants, il n’est néanmoins pas hors de propos de s’interroger sur l’impact de la régulation de l’Union européenne quant à l’innovation au sein de ce secteur.
L’observation de la provenance des GAFAM (Alphabet, maison-mère de Google ; Apple ; Meta, maison-mère de Facebook ; Amazon ; Microsoft), toutes des firmes américaines utilisant l’IA, auxquelles on peut également ajouter le sud-coréen Samsung et le chinois ByteDance (qui a pour filiale TikTok), permet de se faire une idée de l’effacement des Européens en la matière.
Les États-Unis quant à eux entendent bien consolider leur avance. Dès le lendemain de son investiture, le président américain a annoncé un plan d’investissement massif dans l’IA. Baptisé « Stargate », ce projet vise à financer la filière à hauteur de 500 milliards de dollars (480 milliards d’euros) sur quatre années. Ces fonds seront principalement alloués à la construction d’imposants centres de données ainsi qu’à leur alimentation en électricité.
De son côté, la Chine parvient à rivaliser avec les États-Unis en mettant en service des IA à moindre coût. Le lancement, le 20 janvier 2025, par la jeune pouce chinoise DeepSeek d’un robot conversationnel capable de raisonner en est une illustration marquante. Cette dernière société déclare ainsi avoir conçu son modèle d’IA générative pour seulement 6 millions de dollars quand la firme américaine OpenAI aurait dépensé 3 milliards de dollars en 2024 dans l’entraînement de ses SIA.
L’appel à un sursaut européen du rapport Draghi
Face à cette double concurrence, l’Europe peine pour l’heure à rendre audible sa partition. Cette prévalence pour la régulation plutôt que pour l’esprit d’innovation constitue l’un des enjeux majeurs posé par le rapport Draghi, du nom de l’ex-président de la Banque centrale européenne. Publié le 9 septembre 2024, ce document exhorte les Européens à investir massivement dans l’IA et à moins réguler.
« Nous prétendons favoriser l’innovation, mais nous continuons d’imposer aux entreprises européennes des charges réglementaires particulièrement coûteuses pour les PME et autodestructrices pour celles du secteur numérique », fustigeait dans son rapport l’ancien président du Conseil des ministres italien.
Nombreux sont pourtant les atouts qui pourraient permettre à la France d’asseoir enfin sa position dans la course mondiale à l’entraînement des SIA : plus d’une dizaine de licornes (entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars et qui ont moins de dix ans d’existence), premier pays européen d’investissements étrangers en matière d’IA, plus de 1000 jeunes pousses dans le secteur en 2024.
Surtout, la France dispose d’une électricité en très grande partie décarbonée grâce au nucléaire, un avantage de taille au regard de l’empreinte carbone des IA, en particulier celles dites « génératives », particulièrement voraces en énergie. Ce Sommet à Paris sera ainsi l’occasion de revenir sur ces vents français et européens favorables à l’innovation dans le domaine. Lorsque les savoir-faire existent, il reste encore à les faire savoir.
Sources :
–Règlement – UE – 2024/1689 – EN – EUR-Lex
–The future of European competitiveness – A competitiveness strategy for Europe | European Commission
–Mario Draghi remet son rapport sur la compétitivité européenne à Ursula von der Leyen – SGAE
–Présentation | Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle
–« Le sommet de Paris vise à agir contre les risques et surtout pour les bénéfices de l’IA »
–La Chine talonne les Américains dans la course à l’intelligence artificielle