En France, plus de 7 millions de personnes déclarent être tatouées. Cette pratique devenue presque anodine n’est pourtant pas sans risques. Risques d’infections, d’allergies pouvant survenir jusqu’à plusieurs années après le tatouage, ou encore dégâts provoqués à l’environnement par la production de déchets spécifiques sont tant de problématiques auxquelles les législateurs français et européens ont dû se confronter pour encadrer une industrie en plein essor.
I/ Industrie du tatouage et enjeux de santé publique, la nécessité d’un cadre sanitaire strict à l’exercice de la profession de tatoueur :
Les techniques de tatouage par effraction cutanée, expression incluant tant le tatouage permanent que le maquillage permanent et certaines formes de perçage corporel (article R1311-1 du Code de la santé publique), sont des formes de modifications corporelles relativement intrusives pour l’épiderme. Le tatouage permanent notamment consiste à faire pénétrer dans la peau ou les muqueuses un certain nombre de substances colorantes afin de créer sur celles-ci une marque indélébile.
Cette pratique soulève donc naturellement de multiples questions relatives à la protection de la santé publique, questions rarement posées au sujet d’autres industries créatives hors des arts corporels. De quelle nature sont les produits injectés ? De quelle manière doivent être conditionnés le matériel utilisé par le tatoueur et son environnement de travail ? Par quels moyens assurer le consentement libre et éclairé du client et encadrer la pratique du tatouage sur les mineurs ?
On constate qu’en droit français, grâce à un travail législatif minutieux, la plupart des risques potentiels posés à la santé des personnes tatouées sont encadrés par le Code de la santé publique. Ce Code prévoit en effet de nombreuses obligations et interdictions pour les professionnels du secteur : parmi les plus importantes, on peut citer une obligation de formation aux mesures d’hygiène décrites en ses articles R.1311-3 et R.1311-4, une obligation d’éliminer les déchets générés, considérés comme étant à risque infectieux, de la même manière que s’il s’agissait de déchets issus d’activités médicales (prévue à l’article R.1311-5 du même Code selon les conditions des articles R.1335-1 et suivants), ou encore une interdiction formelle d’exercer une activité de tatouage sur la personne d’un mineur sans trace écrite du consentement du titulaire de l’autorité parentale ou de son tuteur codifiée à l’article R.1311-11.
Est également central le sujet du consentement libre et éclairé des parties au contrat, qui revêt une importance d’autant moins négligeable que cette forme d’expression touche à l’intégrité physique de l’une des deux parties en présence. L’article L.1311-12 du Code de la santé publique et un arrêté du 3 décembre 2008 du ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative d’alors énoncent tous les éléments dont le tatoueur a le devoir d’informer son client, à savoir les risques encourus et les précautions à respecter. Cela peut aller du lieu commun le plus évident (le caractère douloureux de l’acte, celui irréversible du tatouage…) jusqu’à certains risques auxquels le primo-tatoué pourrait ne pas avoir pensé en amont de son rendez-vous (le risque allergique par exemple, pouvant se déclencher parfois plusieurs années après le tatouage, ou celui d’infection). Il est également du devoir du professionnel d’informer son client des précautions qu’il devra lui-même prendre a posteriori de la réalisation des techniques, soit le respect d’un certain niveau d’hygiène corporelle et l’application éventuelle de soins locaux nécessaires à une cicatrisation rapide et saine. Cette disposition pourrait également être interprétée comme une forme de responsabilisation du tatoué, qui doit alors assumer sa part afin que le processus se passe au mieux et sans danger pour sa santé.
II/ Substances nocives, principe de précaution et réactions syndicales, étude d’une réponse législative européenne controversée :
Outre ces questions de responsabilité du tatoueur et du tatoué, l’autre principal sujet d’inquiétude des autorités sanitaires est celui de la nature des substances injectées. Est entré en vigueur en 2022 le règlement européen n°2020/2081 qui vient modifier le règlement n°1907/2006 dit « REACH » (pour Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals), entré originellement en vigueur en 2007 et visant à améliorer la protection de la santé humaine et de l’environnement contre les risques potentiels liés à certaines substances chimiques, pour interdire 27 pigments et imposer une utilisation réduite en proportion de près de 4000 substances chimiques. Selon les membres de la Commission ayant œuvré à cet effet, « Plusieurs produits peuvent être cancérigènes, entraîner des mutations génétiques, affecter les capacités reproductrices, causer des allergies cutanées ou d’autres effets nocifs pour la santé ».
Cette décision est fortement contestée au sein de la profession. D’après le Syndicat national des tatoueurs, il ne serait pas établi avec suffisamment de certitude que les encres utilisées pour remplacer les substances interdites soient véritablement plus sûres, en plus d’être bien plus chères en raison de leur composition. Cette dernière raison pousserait par ailleurs de nombreux tatoueurs à utiliser des stocks non conformes, au mépris de la législation et des risques de contrôles et de sanctions.
Le recul manque encore pour affirmer que cette décision de grande ampleur était la meilleure à prendre pour l’industrie ; mais si le Syndicat national des tatoueurs recommande plutôt la mise en œuvre d’études toxicologiques de grande ampleur afin de s’assurer de la sécurité des produits concernés, on ne peut nier l’intérêt d’appliquer un principe de précaution strict lorsque l’on touche à des sujets aussi sensibles que ceux de la santé publique des populations françaises et européennes. Seuls le temps et l’expérience permettront de dire si cette prudence était justifiée et efficace à préserver l’intégrité corporels des consommateurs face aux métaux lourds et substances chimiques controversées, ou si elle aura plutôt tendance à orienter les tatoueurs, légaux comme clandestins, vers des substances et des stocks non contrôlés moins chers.
SOURCES :
- Règlement (CE) N° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit « REACH ».
- Règlement (UE) n°2020/2081 de la Commission du 14 décembre 2020 modifiant l’annexe XVII du règlement (CE) n°1907/2006 (…).
- Code de la santé publique : articles R.1311-1 à R.1311-5, article R.1311-11 et R.1311-12, articles R.1335-1 à R.1335-8, R.1335-13 et R.1335-14, article L.1312-1.
- Arrêté du 3 décembre 2008 relatif à l’information préalable à la mise en œuvre des techniques de tatouage par effraction cutanée, de maquillage permanent et de perçage corporel.
- Arrêté du 11 mars 2009 relatif aux bonnes pratiques d’hygiène et de salubrité.
- Arrêté du 5 mars 2024 relatif à la formation des personnes mettant en œuvre les techniques de tatouage par effraction cutanée, y compris la technique du maquillage permanent, et de perçage corporel.
- CJUE, 20-04-2023, aff. C-144/21, Parlement européen c/ Commission européenne.
- Philippe Bonneville, Christian Gänser, Anne Iljic ; Règlement REACH – Substances chimiques extrêmement préoccupantes, Actualité Juridique Droit Administratif (AJDA) du 5 juin 2023, n°19, pages 1000 – 1001.
- Sébastien Roset, REACH, Europe du 1er mars 2023, n°3, page 31 – 32.
- Denys Simon, Application du règlement REACH, Europe du 1er juin 2023, n°6, pages 40 – 41.
- Les français et le tatouage, sondage IFOP effectué pour le Syndicat national des tatoueurs, novembre 2016.
- Bilan d’action 2023 de la DGCCRF.
Nathan VEYRAT
Master 2 Droit des Industries Culturelles et Créatives
AIX-MARSEILLE UNIVERSITE, LID2MS-IREDIC 2025