par Fanny PARAZINES, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques

“Les doubleurs devront se reconvertir dans autre chose”, c’est la recommandation choc de Christian Clavier dans une interview réalisé par le média Konbini, publiée dans une vidéo Youtube le 20 septembre 2025.
La position de l’acteur, pionnier du cinéma français, notamment grâce à ses rôles dans Les Visiteurs ou Les Bronzés, a fait trembler tout le secteur du cinéma français. Cette déclaration va totalement à contre-courant des autres professionnels du secteur tentant de préserver, depuis le début de l’année 2025, la protection de leur travail. En effet, la montée en puissance de l’intelligence artificielle chez les doubleurs a provoqué une vague de protestation donnant naissance au mouvement ‘Touche pas à ma VF’. Selon une étude du Datalab du groupe Audiens, 15 000 emplois directs de comédien de doublage sont ainsi menacés en France.
Les doubleurs seront un dommage collatéral de l’innovation, mais un espoir demeure dans un nouveau cadre juridique, protégeant la personnalité du doublage actuel.
Le contexte de la prise de position de C. Clavier
La réalité est rude pour le doublage français, car les Intelligences Artificielles (IA) génératives permettent un doublage beaucoup plus rapide, et sont capables de traduire les voix dans plusieurs langues et de les synchroniser avec les lèvres (lypsinc). Cette pratique est déjà adoptée par de nombreuses plateformes de streaming comme Amazon Prime.
Pour comprendre la colère des doubleurs, il faut s’intéresser au fonctionnement d’une IA générative. Elle trouve ses informations dans des bases de données afin de s’entraîner, d’en extraire des bribes d’informations pour les analyser et rendre des résultats satisfaisants. Seulement, pour les principales IA génératives de voix comme HeyGen, Eleven Labs ou Deepbub, cette base de données n’a pas de limite, et même les voix des doubleurs font office de données d’entraînement.
Comment le droit protège les comédiens de doublage ?
Le Code de Propriété Intellectuelle reconnaît des droits voisins aux artistes interprètes, dont bénéficient les doubleurs. Ils sont alors protégés contre toute utilisation de leur interprétation. Mais une directive européenne de 2019, a créé une exception dite de fouille (TDM – Text and Data Mining) permettant l’analyse et le recueil automatique des données sous forme numérique, même sans l’accord de son auteur ou de son interprète. Seulement en 2019, l’IA générative n’avait pas l’étoffe qu’elle a aujourd’hui, et cette exception fait aujourd’hui bénéficier les fournisseurs d’IA générative d’un cadre juridique ambigu, leur permettant de s’entraîner sur des contenus protégés.
Cette directive permet aux auteurs de retirer leurs œuvres des bases de données, appelé l’opt-out, une initiative qui doit venir des artistes eux-mêmes. La pratique est très difficile pour les doubleurs, comme l’a dénoncé Brigitte Lecordier, voix française iconique de Sangoku : “En fait, on risque de complètement disparaître […] nos voix, nos data se baladent partout. On ne sait pas où et il y a aucune traçabilité.” La comédienne n’a pas tort, le traitement de données existait avant la création des textes de loi et aucun moyen technique ne permettrait de retracer tout ce qui compose aujourd’hui leur base d’entraînement.
Quelle suite pour l’avenir ?
En 2025, un règlement européen sur l’intelligence artificielle (RIA) est entré en vigueur pour réguler l’entièreté des usages de l’IA, sans se concentrer sur la protection des auteurs. Le RIA appuie tout de même, sur l’obligation de transparence, matérialisée par un marquage de tous les contenus générés par IA.
Pour le moment, la France affirme vouloir protéger efficacement les droits des auteurs et des artistes interprètes. A terme, l’objectif serait que les fournisseurs d’IA communiquent la liste des contenus et sources composant leur base de données. Mais pour le moment rien ne les oblige, seul un résumé suffisamment détaillé de leur base de données leur sera demandé dès août 2026.
En somme, la protection des comédiens de doublage semble secondaire pour le droit européen. Il est important de rappeler que tous les systèmes d’IA sont dépendants de ces contenus protégés pour continuer à répondre efficacement à la demande, mais le droit peine encore à encadrer ces pratiques. Comme l’a dit Christian Clavier, à court terme, les risques pour les comédiens de doublage s’agrandissent face aux économies que permet l’IA générative. Les doubleurs sont en danger, et pour le moment le droit semble impuissant.