Le procès des réseaux sociaux : entre e-réputation entachée et cyberharcèlement 

par Alicia SEUANES PEREIRA, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques

« J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice, il fallait donner sa vie pour la combattre », Albert Camus.

#MeToo, mouvement féministe qui encourage à dénoncer les agressions sexuelles dont les femmes sont victimes, devient un support unique et inébranlable grâce aux réseaux sociaux. C’est en 2017 que le mouvement explose et obtient une visibilité inégalée. Au-delà d’une simple dénonciation publique, le mouvement interpelle et alerte sur les agressions sexuelles subies par les femmes au quotidien, rappelant ainsi que les réseaux sociaux perpétuent une image biaisée et entachée par l’ignorance commune menant à la banalisation d’agressions faites aux femmes. 

À l’ère des nouvelles technologies, le procès public se transforme désormais en procès des réseaux sociaux. Les internautes tendent à rechercher la victime parfaite, comme le montre le cas de violences conjugales liant la streameuse Helydia à son ancien partenaire Fugu. Dans les faits, la streameuse publie sur ses réseaux sociaux une déclaration dénonçant les violences conjugales subies durant sa relation avec Fugu et affirme avoir déposé une plainte à son encontre. Si ces révélations ont d’abord recueilli un soutien massif, elles ont rapidement pris un nouveau tournant : le harcèlement en ligne. N’étant pas une victime parfaite pour les internautes malgré la reconnaissance des faits graves par l’auteur, elle subit alors une double peine : une e-réputation entachée et un harcèlement en ligne. 

Qu’est-ce que le procès des réseaux sociaux ? 

Le Président de la République française a pu, par le passé, exprimer son désarroi face à une « forme d’ordre moral autoproclamé » et de « l’esprit de lapidation » qui sévit sur les réseaux sociaux. Ce constat décrit la nouvelle tendance : le procès des réseaux sociaux. Ce dernier peut être défini comme une forme de justice créée et perpétuée en ligne par des internautes anonymes n’ayant aucune qualification juridique pour traiter de telles affaires. 

La dénonciation publique, fléau de l’e-réputation 

La CNIL définit l’e-réputation comme « la réputation en ligne ou l’identité numérique d’une personne sur Internet ». Cette e-réputation est entretenue par tout ce qui concerne cette personne et qui est mis en ligne sur les réseaux sociaux, les blogs ou les plateformes de partage de vidéos. Ainsi la maîtrise de l’e-réputation se fait d’une part d’après les publications faites et encadrées par des choix personnels et d’autre part d’après ce que d’autres publient, ne dépendant alors pas de notre volonté propre, constituant ainsi un danger. 

La dénonciation publique, soit le fait de faire connaître publiquement une chose de manière à la faire condamner par l’opinion, comporte un danger pour l’e-réputation. La streameuse Helydia voit son e-réputation ternie depuis sa déclaration : supposée victime, elle est maintenant perçue comme « menteuse » suite à la banalisation des actes de violences conjugales par l’agresseur même. L’e-réputation dépend en grande partie des internautes qui jugent sur des éléments biaisés comme l’apparence, la popularité, le sexe… Le témoignage de Fugu reconnaissant avoir giflé sa partenaire ne constitue pas pour l’opinion des réseaux sociaux un fait grave, banalisant ainsi les violences conjugales subies par la victime. 

L’e-réputation ne dépend donc pas de la volonté du dénoncé mais bien de l’opinion publique des réseaux sociaux menant souvent à une condamnation lourde : le cyberharcèlement. 

Le cyberharcèlement comme condamnation du procès des réseaux sociaux 

Fugu, accusé de violences conjugales, cherche à « décrédibiliser » la victime par la « diffusion d’extraits tronqués de conversations privées » afin de « détourner l’attention de ce qui lui est reproché », d’après les avocats de la streameuse. Cette banalisation des violences conjugales accompagnée d’un portrait biaisé de la victime dépeinte comme « jalouse » ou « manipulatrice » mènent à un cyberharcèlement de masse. 

En France, le harcèlement en ligne s’inscrit à l’article 222-33-2-2 du Code pénal, caractérisant principalement le harcèlement moral. Ce délit vise « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Il est une limite à la liberté d’expression, principe constitutionnel prévu par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le danger du procès des réseaux sociaux : une justice inégalitaire 

Le danger du procès des réseaux sociaux : une justice inégalitaire 

« Il n’est pas facile de faire entrer les femmes dans une structure bâtie sur des codes masculins ; c’est la structure qu’il faut repenser. »

Le procès des réseaux sociaux ne fait que perpétuer une vision sexiste et stéréotypée des femmes, condamnant ainsi Helydia à une double peine : les violences en ligne et le cyberharcèlement. Le sexisme n’est pas explicitement déclaré mais se manifeste de manière insidieuse à travers des propos ou des contenus diffusés en ligne. Les challenges et les défis extrêmes encouragés sur les plateformes de streaming contribuent à la propagation de ce climat de violence et à la valorisation des masculinités toxiques : Le Haut Conseil de l’égalité a recensé 48 % de violences verbales contre 39 % de violences physiques dans 100 vidéos confondues.  

N’ayant aucun arbitrage, le procès des réseaux sociaux condamne en réalité deux personnes : l’accusé et la victime présumée. Les protagonistes sont alors accablés par les internautes et se retrouvent dans une posture difficile à endosser, les poussant parfois à abandonner leur statut de streamer en ligne. Ils sont en réalité perçus comme l’adage commun de la peste et du choléra, qui peut avoir de lourdes conséquences professionnelles : la perte de followers, l’abandon de marques ou de sponsors etc. 

In fine, le procès des réseaux sociaux ne doit pas être considéré comme une nouvelle forme de justice mais bien comme un moyen douteux de punir les protagonistes d’une dénonciation publique. L’importance des réseaux sociaux est indéniable mais il faut garder à l’esprit que ces derniers peuvent amener à de lourdes conséquences, démontrant leur dangerosité croissante. 

Sources :

https://shs.cairn.info/atlas-mondial-des-sexualites-libertes-plaisirs-et-interdits–9782746763098-page-76?lang=fr

« La Justice mise à l’épreuve par les réseaux sociaux », Anne-Laure Maduraud

https://www.cnil.fr/fr/la-reputation-en-ligne

https://www.leparisien.fr/faits-divers/il-reconnait-des-claques-les-avocats-de-la-streameuse-helydia-pointent-les-aveux-de-son-ex-fugu-dans-une-video-22-10-2025-VMTNMAAGJFBZZFTASWZEZLTXAI.php

https://www.cnil.fr/fr/cyberviolences-et-cyberharcelement-que-faire

https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce-parster-rapport-la_femme_invisible_dans_le_numerique-vdef.pdf