Vente de poupées pédopornographiques : Shein doit-il être suspendu de France ?

par Jean JARDINE, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques

Ce lundi 3 novembre, Rachida Dati, la ministre de la Culture a réagi à la polémique de la vente de poupées à caractère pédopornographique sur Shein en dénonçant un scandale et souhaite “s’attaquer très sévèrement” aux sites qui vendent ce genre de produits. Elle appelle sur RTL le patron du BHV à “ne pas être complice de cela”

Malgré cette demande en direct de la ministre de la Culture, le patron du BHV a su profiter de ce “Bad Buzz” en accueillant les clients avec un grand sourire pour l’ouverture de la première boutique Shein en France, à Paris, ce mercredi 5 novembre.

Le groupe Shein a récemment été sanctionné par la CNIL à une amende de 150 millions d’euros pour le non-respect des règles applicables en matière de traceurs (cookies), déposés sur le terminal des utilisateurs se rendant sur le site « shein.com ».

Quelle sanction sera suffisante pour que Shein respecte la loi ? 

Il faudrait d’abord que le groupe Shein assume un rôle plus important que celui de simple hébergeur. 

Responsabilité de Shein et des acteurs tiers 

Le site Shein a récemment fait évoluer son modèle historique de vente directe vers un modèle de Marketplace. Elle permet à des vendeurs externes et professionnels d’y proposer et d’y vendre leurs propres produits, en concurrence avec ceux vendus directement par Shein ou ses filiales.

En tant que marketplace, Shein a le statut de fournisseur de services d’hébergement ainsi que de plateforme en ligne au sens du Digital Services Act.

Ce statut signifie qu’elle n’a pas une obligation générale de surveillance a priori de tous les produits mis en ligne. 

Cependant, elle a l’obligation de mettre en place un mécanisme de notification permettant aux utilisateurs de signaler les contenus illicites, suite aux signalements des utilisateurs, elle aura l’obligation de supprimer les contenus illicites dans les plus brefs délais. 

Ici, Shein a bien retiré les poupées gonflables suite à des signalements mais des clients ont pu commander les poupées gonflables à caractère pédopornographique. 

En effet, une poupée à caractère pédopornographique vendue sur la plateforme Shein a été interceptée dans un colis dans les Bouches-du-Rhône. Le destinataire du colis a été interpellé et placé en garde à vue.

L’homme interpellé et le vendeur risquent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende pour la détention, l’offre, l’échange, la diffusion ou la transmission d’images ou de représentations pédopornographiques. 

Sans oublier que la loi française impose aux hébergeurs de conserver des données permettant d’identifier les auteurs de contenus illicites, telles que l’adresse IP, afin d’assurer une traçabilité des publications. 

Ces données doivent être transmises aux autorités compétentes en cas de requête judiciaire, cela oblige Shein à coopérer avec les autorités françaises dans le cadre des investigations qui peuvent viser à identifier les vendeurs et les acheteurs de ces poupées. 

La difficulté pour Shein serait de contrôler le volume immense de références des vendeurs tiers qui est au cœur du scandale actuel.

Mais un contrôle à priori est tout à fait possible pour le groupe Shein, elle devrait alors endosser le rôle d’éditeur mais cela renforcerait ses obligations et ses responsabilités ; elle serait directement responsable du contenu ou des produits publiés sur sa plateforme. 

La Cour de Justice de l’Union européenne a rendu 2 arrêts en 2010 et 2011 où elle a estimé que si l’activité exercée par un hébergeur n’est pas exclusivement neutre et technique alors il ne peut se voir attribuer la qualification d’hébergeur mais d’éditeur. 

Elle a fait appel à ce critère du rôle actif joué par le prestataire vis-à-vis du contenu, de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données stockées.

Il est évident que le groupe Shein a les capacités d’assurer une obligation de surveillance et d’effectuer un contrôle à priori efficace grâce à des algorithmes et des équipes de modérateurs. 

La pédopornographie en ligne n’a pas sa place en France ni en Europe et le gouvernement a réagi rapidement pour bien le faire comprendre. 

La réaction importante du gouvernement 

Le gouvernement français a réagi avec une forte indignation, symbolisée par les déclarations des ministres et l’engagement d’une procédure inédite de suspension de la plateforme Shein engagée par le premier ministre.

Malgré la mise en vente d’armes de catégorie A sur sa plateforme, Shein échappe à une suspension en France, mais le gouvernement assure qu’elle reste sous surveillance rapprochée.

Dans un courrier adressé à Bruxelles, le gouvernement exhorte la Commission européenne à agir rapidement contre Shein en prenant des mesures provisoires le temps des investigations.

Cette double action atteste de la détermination des pouvoirs publics de faire de ce scandale un test décisif pour l’application effective de la régulation numérique, refusant de tolérer que des contenus aussi illégaux que dangereux persistent sur les plateformes.

Il revient maintenant aux institutions et autorités compétentes de poursuivre et condamner les responsables afin de dissuader les autres plateformes qui pourraient voir ce genre de produits publiés sur leurs sites.