Grokipédia ou l’information selon Elon Musk

par Manon, VILLANOVA, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques

Le 28 octobre 2022, Elon Musk et la société Twitter Inc. finalisaient le rachat de cette dernière par le milliardaire. Trois ans plus tard, le lundi 27 octobre 2025, Elon Musk mettait en ligne son encyclopédie entièrement rédigée et vérifiée par son chatbot Grok intégré au réseau social X : Grokipédia. Présentée comme une alternative à Wikipédia et composée de plus de 885 000 articles disponibles, cette nouvelle encyclopédie fait déjà parler d’elle pour plusieurs raisons : entre critiques acerbes de Wikipédia et manipulation de l’information, l’encyclopédie Muskienne inquiète à bien des égards.

L’arrivée de Grokipédia s’inscrit dans un paysage médiatique marqué par la concentration croissante des sources d’information entre les mains d’acteurs privés, et pose une question majeure : que signifie l’émergence d’une encyclopédie gérée entièrement par une intelligence artificielle pour l’accès à des connaissances fiables et neutres ?

Le fonctionnement de Grokipédia et de Wikipédia

Wikipédia, créée en 2001, est une encyclopédie participative, c’est-à-dire que chaque internaute peut participer à la rédaction d’une de ses pages sans que son expertise ou sa crédibilité ne soient remises en cause. L’encyclopédie repose sur plusieurs piliers : la neutralité, la vérifiabilité et l’existence de sources fiables. Chaque fait relaté doit pouvoir être vérifié par le biais d’une source fiable et le débat entre les contributeurs participe à la neutralité des propos. Plusieurs milliers de contributeurs actifs répartis dans le monde permettent de faire vivre Wikipédia, épaulés par des équipes de modération qui corrigent notamment les potentielles erreurs. De plus, il existe un historique des pages permettant une totale transparence vis-à-vis des utilisateurs. Enfin, Wikipédia est financé entièrement par des dons et ne tire aucun revenu publicitaire puisque l’encyclopédie en est vierge. Or, ce fonctionnement est régulièrement critiqué, notamment par le parti républicain, pour leur manque de partialité et est parfois même accusé d’être à l’origine d’une propagande idéologique de l’extrême gauche américaine, argument soulevé par Elon Musk en 2024 notamment.

Grokipédia, quant à elle, se fonde sur l’utilisation de l’intelligence artificielle Grok pour sa rédaction et pour la recherche des sources. Le but de l’utilisation de cette IA est de garantir l’accès à la vérité. C’est pour cela que cette encyclopédie est accessible gratuitement, tout comme Wikipédia. Chacun pourra alors avoir accès à un savoir qui ne serait pas entaché de wokisme. Cependant, l’origine des sources utilisées et la manière dont elles sont vérifiées peuvent interroger : quelles sont ces sources ? Comment l’IA les filtre-t-elle ? L’absence de vérification humaine peut alors faire défaut et contribue à l’émergence d’un système fermé : aucune contribution publique, pas d’historique des pages, pas de transparence sur les données d’entrainement.

En 2023, Grokipédia aurait pu ne pas voir le jour si le milliardaire avait pu racheter la société Wikimédia dont dépend Wikipédia. L’offre n’a pas été accepté pour plusieurs raisons dont l’exigence formulée de renommer l’encyclopédie « Dickipédia ». Cette demande de rachat nous révèle à quel point le milliardaire désire contrôler l’information en ayant la main mise sur l’encyclopédie la plus consultée à travers le monde.

L’accès à une information fiable et neutre

Bien que le but de Grokipédia soit sur le fond tout à fait louable, la question de la partialité des informations se pose néanmoins. En effet, étant un fervent partisan de l’extrême droite américaine, Elon Musk a pu par le passé critiquer des évènements, des personnes ou plus généralement des idées. Or, est-ce que son IA est neutre ? Fait-elle preuve d’un biais politique similaire à celui d’Elon Musk ? La créature s’est-elle détachée de son maitre ?

Si l’on effectue des recherches sur des sujets sensibles, il est facile de trouver des contenus biaisés qui, contrairement à Wikipédia qui essaye de garder une approche neutre, tendent vers l’idéologie de l’extrême droite. Par exemple, si l’on consulte la page portant sur le mouvement « Black Lives Matter », il est écrit que les émeutes de 2020 ont été les plus chères de l’histoire pour les assurances alors que sur Wikipédia, il est précisé que ces émeutes violentes ne sont qu’une exception. De cette manière, il est indéniable que Grok est soumis aux biais politiques qui sont induits, plus ou moins expressément, par Elon Musk et par les contenus déjà existants sur lesquels l’IA s’entraine. En effet, il est à préciser que les intelligences artificielles ne peuvent pas être neutres dans la mesure où on sélectionne les contenus sur lesquels elles vont s’entrainer, s’imprégnant alors de leurs valeurs idéologiques. De plus, même la définition de certains termes peuvent revêtir une couleur politique selon qui les utilise.

Cependant, il est à souligner qu’Elon Musk n’est pas le seul milliardaire à racheter des sociétés proposant de l’information. En France, Bernard Arnault (1ère fortune de France) est à la tête des journaux “Les Echos” et du fameux “Le Parisien”, Rodolphe Saadé (CMA-CGM) possède notamment le journal “La Provence” ou BFM TV, enfin Vincent Bolloré détient Canal + ou Cnews. De cette façon, le contrôle de l’information n’est pas seulement une question américaine mais reste un enjeu qui concerne chaque pays. En présentant Grokipédia comme un outil factuel et neutre, Elon Musk introduit alors un biais invisible qui peut influencer les lecteurs sans que ces derniers ne s’en aperçoivent.

L’importance de la neutralité de l’information

En soit, l’information n’a pas à être neutre dans la mesure où l’être humain seul est difficilement exempté de tout biais. Lorsqu’on utilise tel ou tel média, on peut s’attendre à ce qu’un biais politique existe mais la consultation est volontaire et on ne recherche pas toujours un élément purement informationnel mais aussi des réflexions, des points de vue. Cependant, le principe même d’une encyclopédie est de partager du savoir au plus grand nombre, indépendamment des pensées politiques notamment. Or, c’est exactement la philosophie de Wikipédia dans la mesure où celle-ci permet à chacun de participer à ce partage, de débattre et de nuancer ses propres propos au regard des autres.

En ne permettant pas à d’autres personnes d’avoir accès à la fonction « édition », Grok se réserve l’entière rédaction des contenus présentés dans l’encyclopédie. De cette façon, Elon Musk tente de s’assurer une certaine primauté sur l’accès à l’information et ainsi contrôler les opinions concernant d’autres sources d’information, notamment des grands médias qu’il a lui-même critiqué par le passé. Or, ce n’est pas la neutralité totale qui doit primer mais la pluralité des opinions afin que l’on se forger notre propre manière de penser et d’appréhender le monde.

Quand on sait que Grokipédia devait être mise en ligne en septembre mais que cela a été repoussé pour « purger la propagande », on ne peut que s’interroger sur la réalité des informations mises en ligne et leur impact futur sur les utilisateurs de l’encyclopédie. En effet, en jouant sur le biais invisible transmis au fil des articles, il est possible d’imaginer une potentielle influence sur les votes des citoyens, la perception des conflits, ou encore la compréhension des enjeux sociaux. Or, sachant que les réseaux sociaux, et plus largement les sources en ligne, deviennent chaque jour de plus en plus puissantes, il est légitime de s’interroger sur la portée des informations relayées et sur l’avenir de l’esprit critique des utilisateurs.

Est-ce que Grokipédia va finir par s’imposer et faire de l’ombre à Wikipédia ? Est-ce que l’on aura finalement accès, lors de la sortie de la prochaine version, à la fonction « édition » pour nuancer tout cela ? Ou est-ce que cette encyclopédie marque le début d’une manipulation de l’information par les conservateurs américains ?