par Léane SIMON-DUCERF, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques

Le 18 novembre 2025, les députés macronistes ont déposé une proposition de loi rédigée par Laure Miller. Ce texte fait suite au rapport du 11 septembre 2021 de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs. Ce rapport alerte sur l’exposition des enfants à des contenus extrêmement dangereux pour leur santé mentale.
La proposition de loi entend mettre en place, à l’échelle nationale, des mesures réalistes, applicables et compatibles avec le droit européen. Cela passe par la sensibilisation, la prévention et la limitation de la place des écrans dans la vie des mineurs. La proposition de loi vise principalement, à interdire pour les moins de 15 ans l’accès aux réseaux sociaux et par cohérence suspendre les comptes existants. Elle prévoit également un couvre-feu numérique pour les 15-18 ans.
Si les objectifs affichés sont louables, la question d’une avancée ou d’une illusion demeure. En effet, les moyens techniques de contrôle de l’âge restent aujourd’hui largement insuffisants. On peut donc s’interroger sur la capacité réelle de cette loi à garantir un contrôle strict de l’âge par les plateformes de réseaux sociaux.

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Une base légale existante, mais insuffisante
Le Digital Services Act (DSA) impose déjà des obligations destinées à protéger les mineurs en ligne. Il exige des plateformes qu’elles mettent en place des mesures afin d’assurer un haut niveau de sécurité, de confidentialité et de sûreté pour les mineurs utilisant leurs services. Toutefois, il n’impose pas aux plateformes de traiter des données personnelles supplémentaires pour obtenir la certitude que la personne présente derrière un compte est mineure.
Le rapport de la commission d’enquête prend l’exemple de TikTok : une simple date de naissance purement déclarative suffit à l’inscription. Il est donc très facile pour un mineur de contourner le dispositif. Lorsque la plateforme soupçonne un âge en dessous de celui déclaré, un contrôle peut être effectué, mais ces vérifications restent rares et facilement contournables. Un selfie peut être demandé, mais rien n’empêche le mineur de solliciter n’importe quel adulte.
La loi actuelle n’offre donc pas une protection suffisante des mineurs, faute d’exiger des moyens techniques robustes et fiables pour la vérification d’âge.
Une évolution majeure ouvrant la voie à une législation nationale
Le 14 juillet 2025, la Commission européenne a publié des lignes directrices renforçant la protection des mineurs. Trois catégories de méthodes de contrôle sont distinguées. En premier, l’autodéclaration, où l’utilisateur indique lui-même son âge. En deuxième, l’estimation de l’âge, via des technologies de reconnaissance du vivant permettant d’établir l’âge ou la tranche d’âge que l’utilisateur est susceptible d’avoir. En troisième, la vérification de l’âge, méthode plus stricte reposant sur des moyens techniques permettant de vérifier que le document présenté est réel et qu’il appartient à l’utilisateur concerné. Si les méthodes d’estimation de l’âge et de vérification de l’âge sont considérées comme assurant un niveau élevé de protection de la vie privée, de la sécurité et de la sûreté des mineurs tout en respectant les exigences du DSA, ce n’est pas le cas de l’autodéclaration, catégorisée comme peu fiable.
La vérification de l’âge est le système le plus strict et, pour autant, ce n’est pas forcément celui qui traite le plus de données personnelles. Afin de garantir la protection de ces données, les plateformes sont encouragées à adopter des méthodes de vérification d’âge en double anonymat. La plateforme reçoit la preuve de l’âge de l’utilisateur sans connaître son identité, tandis que le prestataire de contrôle de l’âge dispose des documents d’identité officiels de l’utilisateur sans savoir quel service il consulte. Pour lutter contre la fraude et les détournements, il est également précisé que ces systèmes doivent intégrer des solutions robustes de détection du vivant et de comparaison faciale.
Un texte pouvant constituer une vraie avancée
Les lignes directrices de la Commission Européenne permettent désormais de fonder juridiquement une législation nationale plus stricte, notamment l’interdiction pour les moins de 15 ans. Ainsi, pour que la proposition de loi constitue un véritable progrès, les dispositifs techniques doivent rendre le contournement de l’âge difficile pour les mineurs. Le texte prévoit que les plateformes devront respecter le référentiel de l’ARCOM sur la vérification de l’âge élaboré pour la lutte contre l’accès des mineurs à la pornographie.
Le référentiel de l’ARCOM prévoit plusieurs méthodes de vérification : estimation de l’âge, vérification de l’âge et portefeuille d’identité numérique. Ce dernier, disponible d’ici fin 2026 dans l’Union européenne, permettra aux citoyens de confirmer électroniquement leur majorité. Cela pourrait constituer un moyen solide pour limiter le contournement… à condition que les mineurs n’utilisent pas le compte d’un adulte de leur entourage.
Grâce à ce cadre européen et à l’encadrement technique imposé aux plateformes par le référentiel de l’ARCOM, la proposition de loi apparaît compatible avec le droit européen et susceptible de réellement améliorer la protection des mineurs face aux dangers des réseaux sociaux. Si aucune solution ne peut garantir l’absence totale de fraude, cette initiative semble constituer un pas important vers un environnement numérique plus sûr. Les sanctions prévues devraient également inciter les plateformes à se conformer plus efficacement à la réglementation et à éviter tout contournement volontaire.