Emmanuel Macron et le débat sur un label professionnel visant à distinguer médias d’information et plateformes publicitaires : enjeux et controverses

par Sie Makenzi Landry AMESSAN, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques

Face à la prolifération virale des fake news, l’exécutif cherche de nouveau à réguler l’espace numérique pour restaurer la confiance dans l’information. Pourtant, derrière l’intention louable d’assainir le débat public, cette initiative soulève de vives inquiétudes juridiques quant au respect de la liberté de la presse et du pluralisme.

« On doit distinguer les réseaux et les sites qui font de l’argent avec de la pub personnalisée et les réseaux et les sites d’information […] on va tout faire pour que soit mis en place un label […] une labellisation faite par des professionnels ». C’est en ces termes que le Président Emmanuel Macron s’est exprimé lors de l’échange « Face aux lecteurs » organisé par La Voix du Nord à Arras le 19 novembre 2025.

Cette déclaration a trouvé une résonance polémique immédiate. Alors que l’opposition dénonce une tentative d’instaurer une police de la pensée, l’Élysée et le gouvernement se sont évertués à démentir tout projet de label d’État. Le chef de l’État assure vouloir s’appuyer sur des certifications tierces, comme la Journalism Trust Initiative de Reporters sans frontières, pour inciter les plateformes à mettre en avant les contenus respectant la déontologie journalistique.

Mais la volonté politique de tracer une frontière entre bonne et mauvaise information ne doit pas faire oublier que la régulation des contenus se heurte désormais à un cadre juridique complexe, dominé par le droit européen et une exigence accrue de pluralisme.

I – La difficile mise en œuvre d’une certification professionnelle de l’information

L’objectif de cette proposition est de fournir aux plateformes un outil technique concret pour dépasser les simples discours politiques. Le chef de l’État sait parfaitement qu’il ne peut pas décider lui-même de la véracité d’une information. Il a d’ailleurs souligné qu’il ne revenait pas au gouvernement de trier les bonnes et les mauvaises informations car cela s’apparenterait trop à une dérive autoritaire. Pour écarter tout risque de censure étatique, le projet repose entièrement sur l’idée de confier cette certification à des tiers comme les professionnels eux-mêmes, en s’inspirant de l’initiative de Reporters sans frontières.

Cette méthode incitative chercherait à s’intégrer dans le cadre strict du règlement européen sur les services numériques, le Digital Services Act. Ce texte oblige les géants du numérique à agir contre la désinformation. Le label servirait alors de signal technique pour guider les algorithmes afin qu’ils mettent en avant les sources fiables. Cela permettrait de contourner l’opacité actuelle des systèmes de recommandation qui privilégient souvent l’émotion sur la vérité.

Cependant, l’application de ce filtre rencontre des obstacles majeurs. La frontière tracée par le Président reste floue car l’information ne vient plus seulement des rédactions traditionnelles. Une véritable information circule désormais via des créateurs indépendants ou des experts qui ne possèdent pas de carte de presse, mais qui sont pourtant essentiels au débat public.

Mais c’est surtout la question de la légitimité du certificateur qui fragilise l’édifice. L’exemple de Reporters sans frontières illustre cette limite. Bien que cette organisation soit citée en modèle, elle défend une vision spécifique du journalisme qui ne fait pas forcément l’unanimité, ce qui l’empêcherait d’être perçue par tous comme un arbitre parfaitement neutre. Le fait de confier le tri de l’information à un seul acteur ou à un organisme contesté risque de créer une barrière injuste pour la presse d’opinion ou indépendante. Une telle situation pourrait finalement menacer la libre communication des pensées garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

II – Les conséquences de la labellisation sur le pluralisme et la concurrence des médias

Le principal danger de ce projet de labellisation réside dans sa tendance à l’uniformité. Alors qu’il a été imaginé pour lutter contre les fausses nouvelles, ce dispositif risque en réalité d’imposer une norme unique de fiabilité et de mettre de côté les médias qui ne rentrent pas dans le moule habituel. En tendant à consacrer une seule bonne façon d’informer, on fragilise l’existence de journaux ou de sites qui ont une ligne éditoriale militante ou simplement différente des standards institutionnels.

Cette tendance à l’uniformisation contredit l’exigence actuelle de pluralisme telle que rappelée par la jurisprudence, notamment en matière audiovisuelle. Dans sa décision du 4 juillet 2025, rendue à la suite de son arrêt Reporters sans frontières du 13 février 2024 (CE, 4 juill. 2025, n° 494597 et a.), le Conseil d’État précise que la loi du 30 septembre 1986 impose à l’Arcom de porter une appréciation qui ne se limite pas au décompte du temps de parole des personnalités politiques, mais à vérifier, de façon globale, l’absence de déséquilibre manifeste et durable dans l’expression des courants de pensée et d’opinion. Un label qui figerait une seule définition de la « bonne déontologie » pourrait ainsi exclure de fait certains médias d’opinion et entrer en tension avec cette exigence de diversité des idées.

Enfin, le danger est à la fois économique et juridique. Dans un marché numérique dominé par quelques géants comme Google ou Meta, ce label pourrait devenir le sésame indispensable pour être visible ou accéder aux revenus publicitaires. Sans lui, un média risquerait l’asphyxie économique. Or, le droit de la concurrence interdit formellement aux acteurs en position dominante d’imposer des conditions discriminatoires à leurs partenaires. Si les plateformes utilisaient ce label pour trier leurs annonceurs, elles pourraient être accusées d’abus de position dominante, car elles écarteraient du marché des médias pourtant légaux uniquement faute de certification.

Vouloir étendre à la presse d’opinion un outil initialement pensé pour lutter contre la désinformation de masse apparaît donc périlleux. Cela reviendrait à sacrifier la liberté d’entreprendre et la diversité des idées au nom de la sécurité de l’information.

SOURCES:

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/11/19/face-aux-lecteurs-de-la-voix-du-nord-a-arras

https://www.tf1info.fr/culture/labellisation-des-medias

https://www.marianne.net/societe/medias/un-label-pour-lutter-contre-la-desinformation-la-vraie-mauvaise-idee-demmanuel-macron

https://www.conseil-etat.fr/actualites/pluralisme-a-la-television-et-a-la-radio-le-conseil-d-etat-precise-les-conditions-dans-lesquelles-ce-principe-doit-etre-controle-par-l-arcom

Article 11 Déclaration du 26 août 1789 des droits de l’homme et du citoyen.

CE, 5e-6e ch. réunies, 13 févr. 2024, Assoc. Reporters sans frontières, n° 463162, Rec. Lebon

CE, 5e-6e ch. réunies, 4 juill. 2025, Assoc. Cercle droit et liberté et autres, n° 494597, 494628, 494797, 498439, Rec. Lebon