Le Festival de Cannes vient cette année de connaître sa 59ème édition. Cette manifestation artistique, bientôt sexagénaire, a pourtant débuté il y a plus de 60 ans.
A la fin des années 30, choqué par l’ingérence des gouvernements fascistes allemand et italien, dans la sélection des films de la Mostra de Venise, Jean Zay, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, décide, sur la proposition de Philippe Erlanger, de créer, à Cannes, un festival cinématographique de niveau international. C’est ainsi que Louis Lumière, l’un des deux frères à l’origine du cinématographe, deviendra le premier président du festival qui devait se dérouler du 1er au 30 septembre 1939. Les préparatifs laissaient déjà présager à l’époque du glamour qu’allait revêtir ce festival. Dès le mois d’août les stars commencent à affluer et la Metro Goldwyn Mayer affrète un paquebot transatlantique pour amener son gratin d’Hollywood. Des fêtes sont organisés auxquelles participent des personnalités comme Gary Cooper, George Raft. L’invasion nazie de la Pologne le 1er septembre propulsera quelques jours plus tard la France dans la guerre, et mettra fin à cette manifestation mort-née.
Il faudra attendre 1946 pour que la cérémonie ait lieu, et dès lors Cannes devient tout doucement le rendez-vous du cinéma mondial. La cérémonie reste fragile à ses débuts, à l’image de l’édition de 1947 où le toit du Palais nouvellement construit s’est envolé le dernier jour. Le Festival de 1948 n’aura pas lieu.
La manifestation subit un certain nombre de pressions, qui la poussera en 1952 à ne pas ouvrir le Festival avec le film Quatre dans une jeep du Suisse Léopold Lindtberg que la délégation soviétique trouve dérangeant. Le début de la Guerre Froide n’est pas alors insensible à cette situation. En 1956, le film d’Alain Resnais Nuit et Brouillard sera retiré du Festival sur ordre du Quai d’Orsay, à la demande de l’Allemagne de l’Ouest. Il s’agit sans doute du plus grand scandale qu’ait connu le Festival de Cannes. On perçoit à travers cette affaire le manque d’engagement artistique de la manifestation, son corporatisme et son manque d’indépendance.
Frederico Fellini avec sa palme d’or de 1960 pour la Dolce Vita, mettra en scène un photographe du nom de Paparazzo qui deviendra un nom commun pour désigner des photographes avides de glamour, et qui restent indissociables du Festival de Cannes.
Claude Lelouch deviendra en 1966 le plus jeune réalisateur primé à seulement 28 ans pour Un homme et une femme, alors qu’Orson Welles recevra la même année un prix de consolation en homme à sa “contribution au cinéma mondial”.
L’année 1968 marquera le retour de la politique dans le monde du Festival. Certains réalisateurs font preuve d’un engagement très fort, à l’image de Jean-Luc Godard, Claude Lelouch, Roman Polanski, Louis Malle et François Truffaut, jurés démissionnaires de cette édition qui a été très marqué par les événements de mai 1968. Le 18, Carlos Saura et sa compagne Géraldine Chaplin iront même jusqu’à se suspendre au rideau pour empêcher la projection de leur film, Peppermint frappé. La séance est annulée.
En 1975, le Festival est en proie à des terroristes et un mystérieux “Comité de lutte populaire contre la perversion du peuple”. Une bombe explose la veille de l’ouverture sur le côté du Palais, brisant un grand nombre de vitres, une autre endommage la villa de Marcel Dassault. Deux autres bombes sont retrouvés, dont l’une a tué son poseur.
Cannes revêtira à nouveau une atmosphère politique lorsqu’en 1979 Francis Ford Coppola, après des mois de dur labeur, remportera la Palme d’Or pour son Apocalypse Now qui n’était pas encore totalement terminé dans sa version présenté au Festival.
1982, à l’instar de 1968, sera une année marqué par l’engagement des festivaliers en faveur de la bonne conscience de gauche. A l’image de la Passion de Jean-Luc Godard, certains films partant favoris se retrouvent dépassés par une double Palme d’Or attribuée à Yol de Yilmaz Güney (qui est recherché par la police turque, et dont le gouvernement d’Ankara a demandé l’extradition) et Missing de Costa-Gavras, engagé depuis longtemps dans les causes progressistes.
En 1984 un parfum hollywoodien plane sur la croisette, lorsque le Festival invitent les stars à déposer l’empreinte de leurs mains dans des plaques de glaise scellées en bas des marches. L’année 1985 sera elle marqué par la mort de François Truffaut à qui la manifestation rendra l’hommage le plus vibrant jamais donné à un cinéaste. Cannes est en deuil.
1987 sera une année phare mettant en lumière les différences de point de vue artistique pouvant exister entre les festivaliers. Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat remportera une Palme d’Or après des débats vifs entre les jurés. Des injures, des sifflements et des hurlements feront suite à l’annonce. Le réalisateur y répondra, levant le point, et en déclarant “ Je suis content pour tous les sifflets que vous m’adressez. Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus.”
Deux ans plus tard un jeune cinéaste alors inconnu reçoit la Palme d’Or pour son premier film, Sexe, mensonges et vidéo. Steven Soderbergh marque l’histoire du cinéma par son engagement en faveur des films indépendants.
En 1994 un autre jeune réalisateur recevra la Palme d’Or pour un Pulp Fiction qui dévoile l’éclectisme du choix des jurés à travers les années. Après un détonnant Reservoir Dogs, Quentin Tarantino s’impose alors comme un des réalisateurs majeurs de sa génération.
En 1995 La Haine de Kassovitz propose une vision subjective et critique de l’engrenage de la violence dans les cités. Cette “haine du flic” avoué par le réalisateur amène les policiers surveillant la montée des marches à tourner le dos au passage de l’équipe du film.
Alors que 1997 marque les 50 ans du Festival, les rumeurs et les intox autour de la Palme d’Or deviennent omniprésentes, si bien que les jurés se réunissent dans une villa aux abords de la ville aussi bien gardés que Fort Knox. Seul Gilles Jacob, président du Festival et présent avec les jurés, peut être en contact avec l’extérieur.
L’année 1998 marquera le record absolu de femmes parmi les jurés. Au nombre de 5 sur un total de 10 membres, celles-ci s’appelaient Chiara Mastroianni, Lena Olin, Winona Ryder, Zoé Valdés, et Sigourney Weaver. La moitié des éditions du prestigieux Festival avaient attribué qu’une seule place à une femme parmi les jurés.
En 2002, Cannes vibre pour Michael Moore et son Bowling for Columbine. Même si la Palme d’Or est attribué au Pianiste de Roman Polanski, c’est le film du protestataire américain, ainsi que son franc parler, qui font sensation sur la croisette. “ La violence des États-Unis, la façon dont le système américain est organisé. Si vous êtes malade aux États-Unis, allez vous faire foutre ! Si vous êtes pauvre aux États-Unis, allez vous faire foutre ! On en est à vous taper dessus quand vous êtes déjà désespérés. C’est l’éthique de notre société. Et pour moi, ce genre d’état amène au terrorisme. C’est un état violent contre les pauvres et contre ceux qui n’ont rien. La façon dont les différences raciales sont utilisées pour renforcer cette violence contre les pauvres.” Son film remportera le prix du 55ème anniversaire du Festival de Cannes. Deux ans plus tard, sa vision de la politique de George W. Bush remportera la Palme d’Or attribuée par un jury présidé par Quentin Tarantino. Le contenu hautement politique et protestataire de Fahrenheit 9/11 entraînera pourtant pour celui-ci de grandes difficultés de distribution sur le sol américain.
Le Festival de Cannes au fil des années est souvent critiqué de part et d’autre. Éloigné des réalités sociales, primant des films réalisés par d’obscures réalisateurs inconnus du grand public, etc. Pourtant, celui-ci arrive à suivre à la fois le développement du cinéma, de sa naissance avec la nomination en 1939 de Louis Lumière en président du jury à ses différentes transformations, à travers les récompenses attribués à des réalisateurs comme Fellini, Scorsese ou Tarantino. Le glamour indissociable du festival devient souvent secondaire face à l’engagement politique dont peut faire preuve certains films. En réussissant à concilier aspirations sociales, politiques, artistiques, et people, le Festival de Cannes continue à s’imposer année après année comme LA manifestation majeure dans le domaine du cinéma.
LA PALME D’OR AU FIL DES ANS
L’ensemble du palmarès du Festival de Cannes est disponible à cette adresse.
A noter que les distinctions ont évolué au fil des années, et la précieuse Palme d’Or n’a en fait été créé qu’en 1955.
1955 – Marty de Delbert Mann
1956 – Le monde du silence de Jacques-Yves Cousteau
1957 – La loi du seigneur de William Wyler
1958 – Quand passent les cigognes de Mikhail Kalatozov
1959 – Orfeu negro de Marcel Camus
1960 – La Dolce Vita de Frederico Fellini
1961 – Une aussi longue absence de Henri Colpi et Viridiana de Luis Bunuel
1962 – La parole donnée de Anselmo Duarte
1963 – Le guépard de Luchino Visconti
1975 – Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina
1976 – Taxi Driver de Martin Scorsese
1977 – Padre padrone de Vittorio Taviani et Paolo Taviani
1978 – L’arbre aux sabots de Ermanno Olmi
1979 – Apocalypse now (a work in progress) de Francis Ford Coppola et Le tambour de Völker Schlondorff
1980 – Que le spectacle commence de Bob Fosse et Kagemusha de Akira Kurosawa
1981 – L’homme de fer de Andrzej Wajda
1982 – Yol de Yilmaz Guney et Missing de Costa-Gavras
1983 – La ballade de Narayama de Shohei Imamura
1984 – Paris texas de Wim Wenders
1985 – Papa est en voyage d’affaires de Emir Kusturica
1986 – The mission de Roland Joffe
1987 – Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat
1988 – Pelle le conquérant de Bille August
1989 – Sexe, mensonges et vidéo de Steven Soderbergh
1990 – Sailor et Lula de David Lynch
1991 – Barton Fink de Joel Coen et Ethan Coen
1992 – Les meilleures intentions de Bille August
1993 – La leçon de piano de Jane Campion et Adieu ma concubine de Chen Kaige
1994 – Pulp fiction de Quentin Tarantino
1995 – Underground de Emir Kusturica
1996 – Secrets et mensonges de Mike Leigh
1997 – Le goût de la cerise de Abbas Kiarostami
1998 – L’anguille de Shohei Imamura et L’éternité et un jour de Theo Angelopoulos
1999 – Rosetta de Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne
2000 – Dancer in the dark de Lars Von Trier
2001 – La chambre du fils de Nanni Moretti
2002 – Le pianiste de Roman Polanski
2003 – Elephant de Gus Van Sant
2004 – Fahrenheit 9/11 de Michael Moore
2005 – L’enfant de Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne
2006 – Le vent se lève de Ken Loach
Sources :
Wikipedia Festival de Cannes
Archives Arte
Site officiel du Festival de Cannes