En 2012, ce sont au total 7,3 milliards d’euros qui ont été investis par les opérateurs français dans leurs réseaux fixes et mobiles (notamment pour assurer l’entretien des infrastructures), auxquels s’ajoutent la baisse de prix, la crise économique, les licenciements en masse et le ralentissement de la croissance des abonnements. De ce fait, les opérateurs ont dû trouver de nouvelles solutions pour réaliser de nouveaux investissements.
Entre SFR et Bouygues Telecom, les négociations ont commencé le 22 juillet 2013. A l’époque les opérateurs parlaient d’un « accord stratégique » afin de mieux supporter l’arrivée de Free Mobile. L’idée est de mettre en commun une partie de leurs réseaux mobiles pour la 2G, la 3G et la 4G. Ce type d’accord est clairement apparu comme une première en France, puisque les opérateurs ont toujours été obligés de développer leur propre réseau mobile.
Un tel accord de mutualisation de réseaux exclu par nature les « zones blanches » du projet car celles-ci sont déjà concernée par un accord de mutualisation entre tous les opérateurs ; Mais il exclut également les « zones denses » que sont les grandes agglomérations de plus 200 000 habitants, qui justifient aux yeux de l’Autorité de la Concurrence, d’une situation de concurrence entre les opérateurs.
Suite à cela le gouvernement a saisi l’Autorité de la Concurrence qui a rendu un avis favorable le 11 mars 2013 sur la mutualisation des réseaux, tout en précisant que celle-ci devait répondre à certaines conditions afin d’être encadré. L’idée étant que, les opérateurs n’ayant plus assez de moyens pour développer leur réseau ils devaient songer à les mutualiser afin de pouvoir continuer à les développer.
Finalement un accord de mutualisation a été signé entre les deux opérateurs le 31 janvier 2014 et annoncé dès le lundi 3 février lors d’une conférence par les deux nouveaux partenaires. Cette mutualisation aura donc lieu sur 80% territoire afin de couvrir 57% de la population et a pour objectif d’être achevée en 2017.
Un objectif clair : l’amélioration de la couverture réseau en limitant les coûts d’investissements.
Pour permettre la mise en commun de leurs infrastructures, les deux opérateurs ont tout d’abord fait le choix de créer une société ad hoc afin d’exploiter et de gérer ce patrimoine d’antennes partagées. L’idée est que le territoire a été découpé en deux zones et sur chacune d’elles un opérateur gérera les opérations pour le compte de l’autre. Ainsi Bouygues Telecom s’est vu attribué la zone Ouest et Sud-Est de la France, et SFR le reste du territoire concerné par cet accord.
Bouygues et SFR mettent en avant deux grands objectifs par la conclusion de cet accord de mutualisation. D’une part, ils souhaitent ainsi faire face aux nouveaux défis que représentent les nouveaux usages en Internet mobile, et d’autre part investir dans les réseaux à très haut débit.
Concernant le premier objectif, il faut noter que les deux opérateurs ont aujourd’hui à eux deux 18 500 antennes. L’idée est que chaque opérateur va privilégier à chaque endroit ses infrastructures étant les meilleures et les mieux placées, et démonter les précédentes. Ainsi, les opérateurs considèrent que 7 000 antennes seront démontées d’ici 2017 sur les zones concernées (celles-ci seront revendues ou utilisées ailleurs). En optimisant le maillage de ce réseau partagé, les opérateurs assurent offrir une meilleure couverture aux clients « à l’intérieur comme à l’extérieur des bâtiments », une meilleure qualité de service et une diminution sensible de l’exposition aux ondes (dû à la suppression de certaines infrastructures).
Concernant le second objectif, les opérateurs estiment qu’ils devraient, à terme, économiser grâce à cet accord entre 20% et 25% des frais d’exploitation du réseau notamment grâce aux économies d’équipement et de maintenance. Bouygues Telecom espère notamment dégager à terme environ 100 millions d’euros d’économie. Ces économies apparaissent donc comme des nouveaux moyens d’investissement pour les opérateurs. Cependant, il faut noter que le démontage des infrastructures prévu par les opérateurs a un coût non-négligeable de plusieurs dizaines de millions d’euros, il faut considérer que les réelles économies n’apparaîtront qu’après les investissements supplémentaires réalisés à ces fins : c’est-à-dire pas avant 2017.
La 4G apparaît comme l’élément central de cet accord. En effet, même si chaque opérateur exploite ses propres fréquences, la mutualisation va pouvoir leur permettre d’améliorer le déploiement de leur réseau très haut débit en jouant sur leur complémentarité géographique. SFR et Bouygues Telecom pourraient donc prendre une longueur d’avance sur leurs concurrents, Orange et Free Mobile.
Cet accord va donc bouleverser un marché jusqu’ici gouverné par la concurrence sur les infrastructures, cependant pour ne pas être contraire au droit de la concurrence, l’Autorité de la Concurrence a imposé un cadre à respecter.
Le respect du droit de la concurrence : un réel obstacle à la consolidation du secteur des télécommunications ?
Les Autorités, que ce soit l’Autorité de la Concurrence ou l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP), rappellent ne pas être opposées au principe du co-investissement (comme il a déjà été mis en place dans les zones blanches) mais imposent cependant que cela se limite aux infrastructures sans englober le partage d’information ou de fréquences.
En effet, dans son avis du 11 mars 2013, l’Autorité de la Concurrence a considéré que de manière générale une mise en commun des ressources par les opérateurs pouvait se comprendre face aux réalités économiques. Cependant, pour respecter le droit de la concurrence elle impose de distinguer d’une part, le partage des infrastructures passives (notamment les antennes) qui peuvent être mutualisées ; et d’autre part les équipements actifs (c’est-à-dire les cœurs de réseaux dans lesquels on trouve toutes les informations commerciales) où une telle mutualisation reste formellement interdite.
A cela, Bouygues Telecom et SFR ont fermement rappelé que dans le cadre de leur accord « chaque opérateur conservera une capacité d’innovation autonome ainsi qu’une indépendance commerciale et tarifaire totale, et continuera de proposer des services différenciés grâce à la maîtrise de son cœur de réseau et de ses fréquences ». L’idée est qu’il n’y ait aucun changement visible pour le consommateur. Ainsi, les opérateurs vont utiliser les dernières innovations concernant le RAN-sharing en permettant de faire fonctionner les deux réseaux sur la même infrastructure et donc de garder leur indépendance technique. L’ARCEP a donc favorablement accueilli la conclusion de cet accord, mais a pour mission de vérifier que l’autonomie stratégique et commerciale des deux opérateurs soit préservée.
Cependant, on pourrait se demander si de tels accords ne laisseraient pas apparaître une volonté de consolidation du marché des télécommunications. En effet, si sous le gouvernement précédent une telle consolidation n’était pas envisageable, il semble aujourd’hui qu’il y soit plus favorable notamment en ce qu’il concerne cet accord de mutualisation.
Face à cela, Orange et Free ont laissé entendre une action en justice face à cet accord. La filiale d’Iliad va devoir d’autant plus faire face à cet accord que son contrat d’itinérance avec Orange va prendre fin et que l’opérateur va se retrouver obliger de développer de façon importante son réseau (afin de répondre aux obligations imposées par sa licence). C’est pourquoi, craignant de se retrouver dans une position de faiblesse ayant un impact trop important, l’opérateur a demandé publiquement à la fin de l’année à pouvoir rejoindre cet accord de mutualisation. Mais Bouygues et SFR ne semblent pas favorables à l’arrivée d’un nouvel acteur dans leur accord de mutualisation et mettent en avant les nombreux mois de négociations ayant été nécessaire pour se mettre en place à deux.
Ainsi, si une possible offensive venant d’Orange et de Free pourrait limiter l’ambition de l’accord de mutualisation, à défaut de sanction par la justice ils pourront alors mettre en place un accord semblable pour faire face à leurs concurrents.
Sources :
S. BELOUEZZANE « SFR et Bouygues Télécom détaillent la fusion de leurs réseaux mobiles », www.lemonde.fr, mis en ligne le 03.02.2014 consulté le 13.02.2014 ; disponible sur < http://www.lemonde.fr/technologies/article/2014/02/03/sfr-et-bouygues-telecom-detaillent-la-fusion-de-leurs-reseaux-mobiles_4358935_651865.html>
E. BEMBARON « SFR et Bouygues Télécom mutualisent leur réseau », www.lefigaro.fr, mis en ligne le 31.01.2014 consulté le 21.02.2014 ; disponible sur < http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/01/31/01007-20140131ARTFIG00297-sfr-et-bouygues-telecom-mutualisent-leur-reseau.php >