C’était une promesse de campagne du président François Hollande : « Renforcer la loi sur la protection des sources des journalistes » qui vient de se concrétiser, d’une certaine manière, avec l’adoption définitive de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Censé apporter plus de garanties dans la protection du secret des sources des journalistes, ce texte marque plusieurs avancées notables par rapport au cadre légal jusque là en vigueur, celui de la loi Dati du 4 janvier 2010, dont le caractère flou et peu protecteur était critiqué par une grande partie de la doctrine.
Plusieurs de ses amendements visent à concilier le droit à la protection des sources avec d’autres objectifs légitimes dans notre société démocratique comme la sécurité nationale, le secret de l’enquête et de l’instruction ou encore la prévention et la répression des crimes et délits.
Cette proposition de loi ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de la profession compte tenu de la mise en œuvre de la procédure accélérée au Parlement sur initiative du Gouvernement à ce stade de la campagne présidentielle. S’il est vrai qu’elle éclaircit le régime de protection du secret des sources journalistiques, son manque d’ambition est d’ores et déjà pointé du doigt. Est-elle alors une réelle avancée dans l’exercice de la liberté d’expression au pays des droits de l’Homme qui, rappelons-le, ne se situe qu’à la 45ème place du classement mondial de la liberté de la presse selon « Reporter sans frontières » ?
Ce texte, baptisée par certains « loi anti Bolloré », élargit en outre les pouvoirs du CSA en matière de contrôle du pluralisme et de l’indépendance de l’information à l’attention des intérêts économiques des chaînes de télévision et des actionnaires.
L’élargissement des bénéficiaires du droit au secret des sources : une avancée notable mais peu téméraire.
Il n’existe point de démocratie sans une liberté de la presse, pas plus qu’il ne se conçoit une presse libre sans sources d’informations, secrètes ou officielles. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a de nombreuses fois soutenu que l’article 10 de la convention protège tant la substance et le contenu des idées et des informations que les moyens par lesquels elles sont diffusées. Elle admet une large protection de l’exercice de la profession journalistique, notamment en ce qui concerne la notion de secret des sources. Dans son arrêt Goodwin c. Royaume-Uni, du 27 mars 1996, la cour fait de cette notion « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». Elle considère même sur ce point que l’absence de protection « pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général ». Sans une telle protection, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle de « chien de garde » de notre société démocratique.
Le présent texte a la volonté d’aller plus avant dans la protection du travail des journalistes en élargissant le champ des destinataires du droit au secret des sources en lien avec la vision protectrice de la Cour européenne. « Il élargit la protection des sources aux collaborateurs de la rédaction et au directeur de la publication, afin d’englober la chaîne de production de l’information dans son intégralité » se réjouit la ministre de la culture et de la communication Audrey Azoulay. Les pigistes sont directement visés par cette disposition qui a le mérite de se substituer au régime de la loi Dati jusqu’alors en vigueur qui ne prenait en compte que les journalistes professionnels. Il est vrai qu’en France, cette extension est à saluer car elle envisage maintenant tous les membres d’une rédaction. En revanche, on peut regretter un certain manque d’ambition de ce texte qui est encore loin d’une réelle protection du droit au secret des sources, ouverte au plus grand nombre, comme il peut en être le cas pas si loin, en Belgique. En effet, la loi belge du 7 avril 2005 accorde le bénéfice de la protection à « toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public ». Cette rédaction ouvre ainsi la protection à certaines personnes qui jouent un rôle indéniable dans l’information du public comme les blogueurs, scientifiques, ou autres non professionnels de l’information.
Une précision des limites légitimes au droit à la protection du secret des sources.
Le droit français encore aujourd’hui en vigueur, en attendant la promulgation de cette proposition de loi, repose sur la très contestée loi Dati de 2010. Cette loi est jugée trop floue notamment en raison du fait qu’elle dispose que la protection des sources peut-être remise en cause « si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but poursuivi ». Ce texte apporte plus de clarifications tant au niveau de la définition de l’atteinte au secret des sources qu’au niveau de la délimitation des cas où une telle atteinte est possible.
Dans un premier temps, il définit la notion d’atteinte au secret des sources des journalistes comme le fait de « chercher à découvrir une source au moyen d’investigations » portant sur la personne du journaliste. Il fait naître également la notion d’atteinte indirecte au secret des sources, constituée par le fait de chercher à découvrir une source au moyen d’investigations portant sur les archives de l’enquête d’un journaliste ou sur toute personne qui, en raison de ses relations avec lui, peut « détenir des renseignements permettant de découvrir cette source ». Ce texte renforce de facto les sanctions à l’encontre des personnes se livrant à ces atteintes, directes ou indirectes. Elles encourent en l’occurrence une amende fixée à 75 000 euros et pouvant aller jusqu’à 100 000 euros d’amende selon les cas.
Avec la création du délit autonome d’atteinte au secret des sources et par la mise en place de sanctions, cette proposition de loi semble apporter des garanties nécessaires pour le travail journalistique, garanties qui n’étaient pas envisagées par loi Dati.
Dans un second temps, il substitue à la notion de « motif prépondérant d’intérêt public » une énumération plus précise des cas exceptionnels justifiant de porter atteinte au secret des sources. Dès lors, il peut être porté atteinte au secret des sources si « cette atteinte est justifiée soit par la prévention ou la répression d’un crime, soit par la prévention d’un délit constituant une atteinte à la personne humaine puni d’au moins sept ans d’emprisonnement ou d’un délit prévu aux titres I ou II du livre IV du code pénal puni d’au moins sept ans d’emprisonnement ». Si elle a le mérite d’être claire, cette rédaction ne fait pas l’unanimité. Pour le Syndicat National des Journalistes (SNJ), « sous prétexte de le protéger, la loi élargit considérablement les cas dans lesquels pourra être porté atteinte au secret des sources ». Notons que dans le même temps, le Gouvernement a porté de 5 à 7 ans d’emprisonnement le piratage d’un fichier comportant un secret de la défense nationale ainsi que la révélation d’un agent infiltré, faisant entrer ces délits dans le champ des atteintes légitimes à la protection des sources.
Une autre mesure mérite notre attention celle qui fait obligation aux enquêteurs d’obtenir l’autorisation préalable du juge de la liberté et de la détention avant toute action pouvant porter atteinte au secret des sources. Ce contrôle se faisait a postériori dans la loi de 2010 ce qui est une avancée importante pour la ministre de la culture et de la communication.
Exit le délit de recel pour les professionnels de l’information.
Un amendement de la proposition de loi indique que la détention de documents « provenant du délit de violation du secret professionnel ou du secret de l’enquête ou de l’instruction ou du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée ne peut constituer le délit de recel » à partir du moment où ces documents « contiennent des informations dont la diffusion au public constitue un but légitime dans une société démocratique ». Par là, une personne poursuivie pour diffamation peut prouver sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires en produisant des pièces couvertes par le secret de l’enquête ou le secret de l’instruction sans courir le risque d’une poursuite pour recel de violation du secret de l’instruction, à la condition bien sûr que la diffusion des informations contenues dans ces documents soit de nature à constituer un but légitime dans une société démocratique.
Cet amendement est le bienvenu après plusieurs condamnations de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme concernant la question de la répression du recel du secret professionnel ou du secret de l’instruction. La Cour estimait en l’espèce que la menace d’une telle condamnation remettait en cause la nature et la précision de l’information ainsi que la possibilité faite aux journalistes de pouvoir justifier d’une base factuelle solide lors de la publication d’une information. Exit donc le délit de recel pour les documents d’enquête ce qui est, pour Audrey Azoulay, un des bénéfices importants de cette proposition. On peut néanmoins appréhender le risque que cet amendement affaiblisse le secret professionnel ou le secret de l’instruction. Le délit de recel du secret des sources avait pour avantage de responsabiliser les journalistes quant à la publication de pièces protégées par le secret de l’instruction.
Nous l’avons vu, cette proposition de loi reflète un consensus législatif en faveur d’un renforcement de la liberté des journalistes même si elle semble peu ambitieuse et teintée d’enjeux politiques. Il faudra donc porter attention à l’application de cette loi, si elle passe le filtre du conseil constitutionnel qui en a été saisi le 10 octobre dernier.
SOURCES :
HERVE (E.), « Indépendance des médias : que contient le texte adopté », lcp.fr, mis en ligne le 9 mars 2016, consulté le 25 octobre 2016, < http://www.lcp.fr/actualites/independance-des-medias-que-contient-le-texte-adopte>
ANONYME, « Renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias : adoption définitive à l’AN », juridiconline.com, mis en ligne le 7 octobre 2016, consulté le 25 octobre 2016, < http://www.juridiconline.com/actualites-juridiques/propriete-intellectuelle-a-nouvelles-technologies/107-medias/19931-renforcer-la-liberte-lindependance-et-le-pluralisme-des-medias-adoption-au-senat-en-1ere-lecture.html>
WIELS (J.), « Que faut-il retenir de la loi sur l’indépendance des médias », lcp.fr, mis en ligne le 6 octobre 2016, consulté le 27 octobre 2016, < http://www.lcp.fr/la-politique-en-video/que-faut-il-retenir-de-la-loi-sur-lindependance-des-medias>
ANONYME, « Loi Bloche : RSF salue des avancées sur l’indépendance des médias et le secret des sources », rsf.org, mis en ligne le 6 octobre 2016, consulté le 27 octobre 2016, < https://rsf.org/fr/actualites/loi-bloche-rsf-salue-des-avancees-sur-lindependance-des-medias-et-le-secret-des-sources>