Le 9 janvier dernier, l’ancien géant de la photographie Kodak a décidé de faire sienne la technologie blockchain. En effet, la célèbre entreprise, fondée en 1881 par George Eastman, a décidé de lancer une monnaie virtuelle, et ce en partenariat avec la start-up Wenn Digital, le KodakCoin, utilisable sur une plate-forme pour photographes, dans le but de créer un registre de droits de propriété qui seront numériques et chiffrés permettant alors aux photographes d’enregistrer leurs photographies, qu’ils pourront proposer sous licence. Ainsi, le système de la blockchain, dont la plupart des incidences pratiques, technologiques et juridiques ne sont pas encore connues, vient au soutien des auteurs de créations artistiques, qui doivent notamment, lors de procédures contentieuses, être en mesure de fournir la preuve de la titularité de leurs droits, et pour se faire, doivent être en mesure de fournir la date de réalisation de leur création, ce qui n’est pas toujours chose aisée. De plus, alors que le droit d’auteur, les savoir-faire ou les travaux concourants à l’élaboration d’un brevet ne sont soumis à aucune formalité administrative (de dépôt ou d’enregistrement), la blockchain pourrait constituer un nouveau moyen de preuve de l’appropriation d’un travail créatif, dont le juge pourrait tenir compte à l’occasion d’un contentieux.
La blockchain une notion récente bénéficiant d’une assise juridique en droit français :
Le système blockchain (ou suite de blocs de données) est une notion d’émergence récente. En effet, en 2008, une personne ou un groupe de personnes dont il était alors impossible d’obtenir l’identité, mais usant du pseudonyme « Satoshi Nakamoto », publie sur internet un article définissant la monnaie digitale cryptée et indépendante, Bitcoin, qui utilise le système de la blockchain pour sécuriser les transactions financières et ainsi venir rassurer les utilisateurs de ce système, qui est tout à fait transparent et qui permet entre autre de vérifier la solvabilité d’un débiteur et la bonne réception d’une somme par son créancier. La blockchain constitue ainsi la manifestation virtuelle d’une chaîne d’opérations, elles aussi virtuelles (dématérialisées). La blockchain permet d’obtenir une « chronologie claire et infalsifiable » de cette chaîne d’opérations comme le souligne Thomas Giraud, dans son article « La vie culturelle – La blockchain est-elle l’avenir de la culture ? » publié dans la revue Juris art etc, 2017, n°51, p.35. La blockchain est en réalité un réseau décentralisé, puisqu’il utilise le système du peer-to-peer, et également sécurisé puisqu’il permet de stocker, d’échanger un ensemble de données et de transactions entre ses utilisateurs sans avoir recours à des intermédiaires. On entend par le recours à un intermédiaire, le recours à une personne physique. Les informations ainsi stockées dans la blockchain doivent être authentifiées par une majorité (51%) de « mineurs » qui sont des individualités de calculs vérifiant si l’opération en présence de laquelle l’on se trouve est bien authentique et vérifiable. Une fois que les « mineurs » valident la dite opération, celle-ci revêt donc un caractère authentique et se voit inscrite de manière immuable, dans le « marbre virtuel » pourrait-on dire qu’est la blockchain.
La blockchain a récemment été codifiée en vertu de l’ordonnance n°2016-520 du 28 avril 2016, qui vient consacrer cette notion à l’article L. 223-12 du code monétaire et financier qui dispose qu’il est possible d’utiliser la blockchain en matière de « minibons » qui est en réalité « un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification » des opérations d’émission et de cession de ces minibons « dans des conditions de sécurité définies par décret en Conseil d’Etat ». Cependant, bien que le système de la blockchain soit ainsi codifié dans le code monétaire et financier, de manière restrictive puisqu’a priori on ne pourrait y avoir recours qu’en matière de minibons, force est de constater qu’il est désormais utilisé dans le domaine des droits d’auteur aux fins d’apporter la preuve de la paternité d’une œuvre, de pouvoir la dater, l’enregistrer, ce qui peut s’avérer utile notamment en matière de contrefaçon ainsi qu’en matière de de gestion collective.
La blockchain ou la preuve du droit moral de paternité de l’œuvre :
En matière de droit d’auteur, la preuve de la création n’est soumise à aucune formalité d’enregistrement. En effet, « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle et exclusif et opposable à tous » (article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle). Il s’agit du principe dit de « protection automatique », qui est un des principes fondamentaux de la Convention de Berne adoptée en 1886 relative à la protection des œuvres et des droits des auteurs. De plus, on sait aujourd’hui qu’avec l’avènement d’internet et des réseaux sociaux, la contrefaçon d’œuvres (telles que des musiques, des vidéos ou encore des photographies) qui est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende en vertu de l’article L. 335-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, est facilité tant leur diffusion est à ce jour incontrôlable. C’est dans ce contexte que le système de la blockchain intervient puisqu’il permet d’enregistrer de façon fiable et sécurisée les droits dont sont titulaires les créateurs sur leurs œuvres. C’est le pari qu’a voulu faire Kodak en janvier en créant sa plateforme de vente d’images qui permettra alors aux auteurs de suivre personnellement leurs œuvres et de vérifier si aucune atteinte n’a été portée à leurs droits d’auteur. On pense notamment au droit moral de paternité, qui est le plus souvent contesté en matière d’action en contrefaçon et qui est défini à l’article L. 121-4 du CPI comme étant le droit en vertu duquel « l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre ». Ainsi, la blockchain pourrait être comparée à un certificat d’authenticité en vertu duquel il sera possible de recenser toutes les images qui auront été mises sur le système, et de les mettre en lien avec leurs auteurs respectifs.
La blockchain ou la preuve de la date de la création d’une œuvre :
En matière de contrefaçon d’une œuvre, la date de sa création et de son intégrité peuvent être établies par tous moyens. Ainsi, il est nécessaire lors d’un contentieux en contrefaçon de droits d’auteur de démontrer la preuve de la création, de son contenu ainsi que la date certaine de la création. Il revient au demandeur d’une action en contrefaçon de se constituer la preuve de la date de la création, au préalable, afin de se prémunir contre l’éventualité d’un contentieux. On peut citer au titre des moyens permettant de se procurer une telle preuve, l’enveloppe Soleau de l’INPI (papier ou électronique), le constat d’huissier ou dépôt notarial, le dépôt auprès d’une société d’auteurs. Il est aussi possible d’utiliser des documents usuels de la vie des affaires afin de se procurer une telle preuve tels que des dessins et croquis qui doivent être datés, des échanges de mails, des factures etc.). Cependant il est à noter que la constitution d’une telle preuve est difficile à rapporter puisque résultant de faisceau d’indices et étant donc imprécise. Ainsi la blockchain, du fait de son caractère immuable, infalsifiable et permettant un enregistrement de la chronologie exacte de transactions et opérations, pourrait revêtir les mêmes garanties en termes de certifications et pourrait venir remplacer toutes les méthodes de preuves citées précédemment qui sont finalement peu précises. La blockchain confère alors un caractère bien plus clair et précis à la date de création d’une œuvre. Ainsi, grâce à la blockchain pourront être évitées des actions en contrefaçon qui pourraient bénéficier d’un manque d’éléments matériels pour requérir de manière abusive le versement de droits d’auteur.
A côté de Kodak, un autre acteur de la photographie a également décidé de recourir à la blockchain pour les fonctions qu’elle revêt en matière de certification et d’enregistrement. La start-up Binded propose aux photographes et artistes la possibilité d’associer à chacune de leur création un certification d’authenticité. Depuis le mois de juin 2017, elle offre également la possibilité aux auteurs d’enregistrer leurs œuvres auprès de l’US Copyright Office Registration qui est l’organisme gouvernemental américain chargé de garantir aux auteurs la défense de leurs droits. Ce qui montre que désormais de plus en plus d’acteurs du monde de la culture veulent avoir recours à la blockchain pour parvenir à mieux protéger les auteurs.
La blockchain un système utilisé en matière de gestion collective des droits d’auteur :
La blockchain du fait de sa nature, permet de satisfaire à des exigences de transparence et d’efficience qui n’étaient jusqu’alors pas garanties en matière de gestion des droits des auteurs par les sociétés de gestion collective du fait du nombre croissants de droits qu’elles ont à gérer. Désormais, les sociétés de gestion collectives, conscientes des nombreux avantages que revêt la blockchain décident d’y avoir recours. Le 11 avril 2017, la SACEM (Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique) et ses homologues américains ASCAP (American society for composer authors and publishers) et anglais PRS (Performing right society for music), décident de collaborer avec IMB dans le but de mettre au point un prototype de gestion partagée des informations relatives aux droits d’auteurs qui « permettra aux sociétés de créer et de s’appuyer sur une base de métadonnées d’œuvres musicales partagée et décentralisée, avec des capacités de suivi et d’actualisation en temps réel ». Le but de ce projet a finalement pour but de permettre l’identification des ayants droit, la réduction des risques d’erreurs et des coûts et permettre à terme l’octroi de licence. Ainsi, la blockchain permettrait de contribuer à une plus grande efficacité dans la gestion des droits d’auteur et ce au profit des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.
Bien que l’utilité de la blockchain en matière de droits d’auteur semble incontestable, force est de constater qu’aujourd’hui, il n’existe encore aucun cadre juridique précisant de manière exhaustive les utilisations possibles qui peuvent être faites de la blockchain. Ainsi, on peut se demander quelle valeur accordera un juge à une preuve issue d’une technologie non agréée par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.
SOURCES :
GIRAUD (T), « Vie culturelle – La blockchain est-elle l’avenir de la culture ? », Juris art etc. 2017, n°51, p.35
COHEN-HADRIA (Y), « Blockchain : révolution ou évolution ? », Dalloz IP/IT, 2016, p.537
HIELLE (O), « La technologie Blockchain : une révolution aux nombreux problèmes juridiques », Dalloz actualité, 3 mai 2016
MEKKI (M), « Les mystères de la blockchain », Recueil Dalloz, 2017, p.2160
FAHCHOUX (V), « En matière de propriété intellectuelle, la blockchain présente l’avantage de couvrir toute la zone de l’avant-brevet », Revue Lamy droit de l’immatériel, décembre 2017, p.49 à p.52.