Le 11 octobre dernier, Xavier Dupont de Ligonnès semblait avoir été retrouvé à l’aéroport de Glasgow par les autorités policières écossaises. En effet, cet homme était recherché depuis 2011 par les services de police française pour avoir orchestré le meurtre de sa femme et de ses enfants. Arrivés trop tard, les policiers français demandent à l’Écosse de procéder à l’interpellation du suspect, ainsi qu’aux premières comparaisons digitales.
Dans la soirée du même jour, Le Parisien publie un article dans lequel il explique comment les policiers ont retrouvé la trace du fugitif : un appel anonyme en provenance de Londres demeure la source de toute cette agitation. Dans le même temps, les policiers écossais annoncent que les empreintes digitales correspondent à celles de la fiche Interpol ; l’Agence France Presse (AFP) confirme l’information et précise que « les empreintes correspondent ».
Les médias en ligne embrayent immédiatement et diffusent l’information, elle-même relayée à grande échelle par des milliers d’utilisateurs sur les réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter.
Cependant, le lendemain, 12 septembre, les empreintes de la personne arrêtée ne correspondent pas, et le test ADN est négatif : la personne retrouvée à l’aéroport de Glasgow n’est pas le dénommé De Ligonnès, mais un citoyen français habitant les Yvelines, en région parisienne. L’erreur est colossale, du fait de la diffusion en masse depuis la veille des suppositions devenues, au fil des partages, une véritable information pour le public.
Si les autorités policières de France et d’Écosse se renvoient aujourd’hui la responsabilité de cette erreur, il convient de se demander s’il n’existe pas d’autres responsables d’un tel fiasco médiatique. Se pose ainsi d’emblée une première problématique : les journalistes n’auraient-ils pas dû attendre davantage de temps et d’éléments avant d’inscrire en gros titres que Xavier Dupont de Ligonnès avait été retrouvé ?
Dans un premier temps, il faut souligner qu’il s’agit un emballement collectif et que l’on ne peut imputer en totalité aux journalistes la responsabilité de cet engouement médiatique. En effet, Le Parisien était prudent en donnant l’information, puisqu’il précisait dans son article : « Selon nos sources et informations », ou BFM TV, qui titrait : « Selon la police écossaise »…
Mais alors, pourquoi la population a-t-elle clamé que Xavier Dupont de Ligonnès avait été retrouvé ?
Peu de temps après la parution des titres évoqués, d’autres journalistes ne prennent guère les précautions de rigueur et ne citent aucune des sources, pour glisser vers une vérité absolue : Xavier Dupont de Ligonnès a été retrouvé à l’aéroport de Glasgow, après onze années de recherche.
Si l’information a été rendue vraisemblable aux yeux du public, c’est aussi en partie parce qu’il s’agissait d’un soulagement collectif : le fugitif était retrouvé et serait puni pour les meurtres commis. C’est donc la force de la foule qui aura permis ce phénomène de répétition, ayant conduit, in fine, à accentuer les énonciations des journalistes et rendre vraie une information qui n’était réputée, au départ, que vraisemblable.
Dans un second temps, se pose la problématique des « fake news » (« fausses informations » ou « informations erronées »). En effet, celles-ci se définissent comme de fausses informations générées, pour la plupart, par des bots dans un temps réduit, diffusant des contenus plus ou moins erronés ou mensongers, additionnés à une circulation très accélérée via les réseaux sociaux. Il est vrai que de nos jours, les boutons « Partager » ou « Retweeter » permettent une large diffusion de l’information sur nos comptes personnels et/ou professionnels.
Dans ce cadre, se pose la question de savoir pourquoi partageons-nous de l’actualité sans en vérifier son contenu et ses sources ?
Une étude menée par Diego F. M. Oliveira (chercheur à l’Université d’Indiana et de Northwestern) a démontré que nous ne bénéficions que d’une capacité d’attention limitée, puisque l’on fait quotidiennement face à une masse d’informations toujours plus importante. Cette analyse a en effet permis de dégager que nous avons tendance à être moins regardant sur ce que nous partageons, grâce aux options proposées par les réseaux sociaux, notamment parce que la faible qualité d’un contenu n’a aucune conséquence négative sur notre partage.
Il convient également de soulever que le public s’informe en plus en plus via les réseaux sociaux, sur smartphones et particulièrement via Facebook (selon le Digital News Report 2017). Malheureusement, il est régulièrement rappelé que les réseaux sociaux sont l’un des vecteurs privilégiés par les auteurs de fake news, d’informations inexactes voire, parfois, totalement inventées.
Dans le même ordre d’idée, une seconde étude a été menée par le Media Insight Project pour déterminer l’information à laquelle nous serions le plus sensible. Dans ce cadre, il s’est dégagé que les personnes accordent une valeur importante à la personne qui partage l’information dont il est question, et non à la personne (le média) qui la produit. Ce serait donc la confiance que nous plaçons dans la personne qui partage l’information qui déterminerait notre volonté de la partager aussi, et ce sans aucune vérification préalable de notre part.
Notre activité sur les réseaux sociaux répond donc au phénomène de la mimétisation : dès lors qu’une information semble être officielle, à raison des critères du nombre de « Like » (« J’aime »), ou du nombre partages, cela suffit à l’intégrer dans notre processus de recherche perpétuelle d’information rapide et de masse, sans rechercher pour autant la véracité des propos allégués.
Alors, que doit-on conclure ?
Que l’envie frénétique d’information et la peur d’en manquer met les médias en haleine permanente ?
Que la vérification de l’information serait remise en question si des sources réputées, a fortiori fiables, ne le sont pas ?
Qu’une personne anonyme peut alerter le monde entier d’un événement faux pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours ?
En définitive, sommes-nous, en tant que consommateurs de l’information rapide, responsables de cette accélération médiatique extrême ?
Sources :
- “Discorde franco-écossaise dans l’affaire Dupont de Ligonnès”, Le Parisien
- “Affaire Dupont de Ligonnès : polices française et écossaise se renvoient la responsabilité”, Sarah-Lou Cohen, BFM TV
- “Affaire Dupont de Ligonnès : et si les émdias n’étaient pas seuls responsables du fiasco… médiatique ?”, Eric, PresseCitron.net
- “Fakes News”, Wikipédia
- Conférence “Ecosystème de l’information en ligne”, de Madame Dominique Augier
- “Fake news : Qui les partage et pourquoi ?” Maëlle Fouquenet, lesEclaireurs.com