Au début des années 1950, la Corée du Sud figurait parmi les pays les plus pauvres au monde. En moins d’un demi-siècle et malgré l’absence de ressources naturelles, elle s’est hissée au rang des États les plus influents sur la scène économique et culturelle mondiale. Ce-ci notamment grâce au cinéma sud-coréen qui a su s’imposer comme un acteur incontournable sur la scène internationale grâce à des réalisateurs emblématiques comme Bong Joon-ho et Park Chan-wook. Cette évolution a culminé avec le triomphe historique de Parasite, lauréat de la Palme d’or en 2019 et de l’Oscar du meilleur film en 2020, marquant une première pour une production non-anglophone. Ce succès, bien au-delà de sa dimension artistique, érige le cinéma sud-coréen en véritable vecteur culturel mondial.
De plus, aujourd’hui, les productions cinématographiques coréennes s’ouvrent davantage aux partenariats internationaux notamment via des services à la demande tels que Netflix. Toutefois, même si ces derniers apportent des avantages indéniables, ces partenariats suscitent des interrogations. Face à ces défis, la Corée du Sud doit trouver un juste équilibre entre son intégration au marché mondial et la préservation de l’identité unique de son cinéma.
I. Les enjeux juridiques des coproductions internationales
Il est vrai que les coproductions internationales offrent une chance unique d’obtenir des financements supplémentaires et de s’ouvrir à un public mondial bien plus large. Cependant, ces partenariats s’accompagnent souvent de défis complexes et exigeants, que ce soit sur le plan artistique, juridique ou financier. Parmi les principaux défis figurent la difficulté de négocier les droits d’auteur, la recherche d’un équilibre juste dans la répartition des revenus, ainsi que les contraintes imposées par certaines clauses de distribution. Ces dernières peuvent parfois compromettre l’intégrité culturelle des œuvres, les obligeant à s’adapter davantage aux attentes des marchés internationaux qu’à la vision artistique initiale de leurs créateurs. Par exemple, les studios étrangers peuvent chercher à imposer des modifications pour rendre les films plus accessibles et satisfaire à un plus grand nombre, souvent néanmoins, au détriment de l’essence culturelle originale de l’œuvre. À titre illustratif, récemment un accord entre Warner Bros. et CJ ENM, le studio sud-coréen derrière Parasite et Oldboy a été conclu. Les deux sociétés ont convenu de coproduire des remakes de leurs films respectifs. Warner Bros. se chargera de la distribution internationale, à l’exception de la Corée du Sud, du Vietnam, de la Turquie et de l’Indonésie, où CJ ENM conservera son rôle. Un tel accord soulève des interrogations notamment concernant la préservation de l’esprit et de l’intégrité des oeuvres originales par les remakes (comme Parasite) et également l’impact qu’il pourra entraîner sur la répartition des recettes, notamment pour les producteurs locaux face aux géants de l’industrie.
En ce qui concerne les plateformes de streaming, celles-ci sont venues complétement transformer la distribution des oeuvres, permettant à chacune d’atteindre un public mondial beaucoup plus large. Néanmoins, la gestion des droits numériques soulève des problématiques complexes, notamment en raison des clauses contractuelles imposées par les plateformes de distribution, lesquelles intègrent fréquemment des restrictions géographiques ainsi que des conditions d’exclusivité. Ces dispositions contractuelles engendrent des inégalités notables dans la répartition des revenus, affectant particulièrement les producteurs locaux face à la position dominante des plateformes. Ces enjeux incitent à s’interroger sur l’équité du partage des bénéfices dans un écosystème numérique largement contrôlé par des acteurs majeurs, au détriment de la diversité et de la juste valorisation des créateurs locaux. L’exemple de la série Squid Game illustre parfaitement cela : le nombre de recettes dont a bénéficié Netflix du succès de cette série est 40 fois supérieur au coût de production (21,4 millions de dollars) tandis que son créateur, Hwang Dong-hyeok, a cédé l’intégralité de ses droits de propriété intellectuelle et n’a reçu aucun bonus lié au succès phénoménal de la série. Cette situation soulève donc des sérieuses interrogations quant à l’équité des pratiques contractuelles et la rémunération des artistes dans un contexte dominé par des acteurs mondiaux, caractérisant ainsi la nécessité d’un cadre juridique renforcé pour protéger les intérêts des créateurs locaux face aux exigences de partenaires étrangers placés en position dominante.
II. La préservation de l’identité culturelle face aux défis juridiques et socio-économiques de la mondialisation
Consciente des enjeux que la mondialisation fait peser sur son industrie cinématographique, la Corée du Sud a mis en place plusieurs mesures législatives pour protéger ses productions nationales. Parmi ces dispositifs, on trouve l’instauration de quotas obligeant les exploitants de salles de cinéma à projeter un certain nombre de films locaux chaque année, assurant ainsi une visibilité importante aux productions sud-coréennes tout en préservant la diversité culturelle face à la domination des grandes industries mondiales. Néanmoins, l’efficacité de cette mesure reste douteuse dès lors que rien n’oblige le public coréen à regarder ces films au cinéma même s’ils y sont. Aussi, dès les années 80, le gouvernement a mis en place un quota pour limiter l’importation de films étrangers – également une mesure pas très efficace – qui a fait la fortune des seules entreprises coréennes habilitées à importer ces films étrangers.
En parallèle, l’État a également prévu des incitations fiscales et des subventions publiques venant soutenir la création de films profondément ancrés dans la culture locale. Ces aides permettent aux producteurs coréens de maintenir leur indépendance artistique et répondre tout de même aux attentes d’un public international. Enfin, sur la scène mondiale, la Corée est signataire de la Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle et a conclu de nombreux accords de coproduction bilatéraux qui facilitent la circulation de ses films tout en protégeant les intérêts des producteurs locaux.
Malgré les avantages dont peuvent bénéficier les professionnels du secteur par les coproductions internationales, la sauvegarde de l’identité culturelle reste un facteur important à prendre en compte lors de la conclusion des contrats. En effet, afin de rentrer dans les standards globaux, les coproducteurs étrangers tendent à demander des ajustements qui consistent à gommer des éléments esthétiques et narratifs constituant l’essence même de l’œuvre. Cela montre donc le déséquilibre des relations contractuelles qui fait très souvent primer les intérêts économiques des coproducteurs internationaux au détriment de l’identité culturelle et créative de l’œuvre. Cela étant, pour y remédier, il faudrait insérer dans les contrats des clauses prévoyant le maintien des éléments culturels essentiels lors des coproductions.
C’est pourquoi le succès durable de l’industrie cinématographique coréenne dépendra donc de sa capacité à concilier l’ouverture à l’international et le respect de ses racines culturelles.
Sources :
• Article « Une rétrospective des politiques coréennes du cinéma, Le retour du Jedi », par Jimmyn Parc, publié en juillet 2014, https://www.europarl.europa.eu/cmsdata/84085/A-JParc-Brussels-vDec-FRPE.pdf
• Le protectionnisme sud-coréen, étude menée par Joseph PESME, Bénédicte DAVID, Cassandra TIKOUZOU et Mayeul JARRIAND, élèves de la SIE 22 de L’Ecole de Guerre Economique, sous la direction de Christian Harbulot, publié le 12/11/2018, https://www.epge.fr/wp-content/uploads/2019/01/Le-protectionnisme-sud-coréen-1.pdf
• Article « Sur le succès du cinéma coréen », par Jimmyn Parc et Patrick Messerlin, Revue Commentaire, n°179, Automne 2022
• Article « Warner Bros & CJ ENM Ink Production Pact For Remakes Of English- & Korean-Language Pics » par Anthony D’Alessandro, Directeur éditorial, Journal Deadline Hollywood, 19 novembre 2024,