Le commerce français fait front contre Shein

par Zélie VINDIMIAN, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques

Après l’affaire des poupées sexuelles, Shein est confronté à une offensive coordonnée du commerce français. 

Pour la première fois, l’ensemble du commerce français organise une riposte judiciaire coordonnée contre une grande plateforme de e-commerce étrangère. En visant Shein pour concurrence déloyale, une centaine de marques et de nombreuses fédérations professionnelles entendent dénoncer un modèle économique fondé sur le contournement massif des règles applicables en France et en Europe. 

Cette offensive est saluée par le ministre du Commerce, Serge Papin, qui a qualifié celle-ci comme une « très bonne nouvelle. Elle prouve que la filière ne se laissera plus faire ».

Au-delà des sanctions déjà prononcées pour des manquements au droit de la consommation, au RGPD et à la sécurité des produits, cette action marque un tournant : elle pose frontalement la question de la responsabilité juridique des géants du numérique, de l’effectivité des régulations européennes et de la capacité des États à préserver un jeu concurrentiel loyal à l’ère des plateformes numériques. 

Une action collective inédite en concurrence déloyale

L’initiative engagée par une centaine de marques et une douzaine de fédérations professionnelles françaises contre la plateforme Shein s’inscrit dans le cadre classique de la responsabilité civile pour concurrence déloyale, mais appliqué à une échelle inédite. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-10.414), le non-respect d’une réglementation applicable à une activité économique constitue un acte de concurrence déloyale dès lors qu’il confère à son auteur un avantage concurrentiel. 

Les acteurs du commerce français reprochent ainsi à Shein d’avoir bâti son modèle économique sur une violation systémique des règles applicables aux entreprises opérant sur le marché français : les obligations en matière de protection des consommateurs, de loyauté des pratiques commerciales, de conformité et de sécurité des produits, ainsi que de respect du droit des données personnelles. 

La multiplication des manquements réglementaires et des sanctions administratives

Les griefs formulés à l’encontre de Shein s’appuient sur une accumulation de sanctions et de décisions administratives récentes. La plateforme a notamment été sanctionnée par la CNIL à hauteur de 150 millions d’euros pour non-respect des règles relatives aux cookies et, plus largement, du RGPD, ainsi que par la DGCCRF à hauteur de 40 millions d’euros pour pratiques commerciales trompeuses concernant les promotions et les allégations environnementales.

À ces manquements s’ajoutent des défaillances graves en matière de conformité et de sécurité des produits, mises en lumière par la présence sur la marketplace d’objets dangereux, d’armes prohibées et de contenus pédopornographiques. Ces éléments renforcent l’argument selon lequel Shein tirerait un avantage concurrentiel direct d’un « contournement massif » des obligations réglementaires, au détriment des opérateurs respectueux du droit. 

Sur le plan contentieux, la question de la propriété intellectuelle est également soulevée : Shein tente de se prévaloir du statut d’hébergeur pour limiter sa responsabilité. Cependant, son caractère de marché hybride – vendant à la fois des produits de tiers et des produits sous sa propre marque – fragilise cet argument de défense et expose la plateforme aux règles de la contrefaçon pour ses produits propres.

Les impacts juridiques et la gouvernance européenne des plateformes

Au-delà du contentieux national, l’affaire Shein soulève des enjeux majeurs de droit du numérique mais également d’articulation entre le droit national et le droit de l’Union européenne. En effet, Shein est classée comme une très grande plateforme en ligne (VLOP), au sens du Digital Services Act (règlement UE 2022/2065) et est ainsi soumise aux obligations renforcées de ce dit règlement. La surveillance de ces plateformes relève en principe exclusivement de la Commission européenne. 

La perspective d’une éventuelle sanction devrait relever du cadre européen du DSA, et non d’une initiative nationale. Les juges devront donc trancher entre impératifs de sécurité publique et primauté du droit européen… 

Cette affaire pourrait ainsi constituer un cas d’école : elle pourrait consolider une gouvernance numérique européenne cohérente et efficace face aux géants du commerce en ligne, ou bien révéler les limites pratiques de l’articulation entre la régulation européenne et les actions judiciaires nationales. Plus largement, elle illustre les tensions actuelles entre la rapidité des modèles numériques et le temps, plus long, de la régulation juridique.

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