Au sortir de la deuxième Guerre Mondiale et de toutes les horreurs que nous lui connaissons, Robert Bichet s’est senti investi d’une mission devenue essentielle en France : la liberté de la presse, et notamment de la presse écrite.
C’est le 2 avril 1947, que sera promulguée la loi dite « Bichet » concernant la distribution de la presse écrite et assurant la liberté de choix de l’éditeur, l’égalité des éditeurs face à la distribution ainsi que la solidarité entre éditeurs et coopérateurs.
Le 18 novembre 2010, 63 ans après la promulgation de la loi qui l’a instituée, l’Assemblée Générale du Conseil Supérieur des Messageries de Presse (CSMP), dont l’objectif principal est de garantir le pluralisme de la presse à travers l’impartialité de sa distribution, a voté la mise en œuvre d’une nouvelle norme dite “d’assortiment”.
Cette réforme conduira-t-elle à l’abrogation de la loi Bichet ? La réponse est encore très floue.
La réforme envisagée par le CSMP prévoit que pourraient être retirés de la vente, tous titres de presse qui ne réaliserait pas, au moins, 3% du chiffre d’affaires du diffuseur. Ce dernier pourra les supprimer par période de 6 mois et dans la limite de 20% des titres proposés (hors presse d’opinion et quotidiens), sans avoir à motiver sa décision.
Les conséquences seront doubles : les petits et moyens éditeurs verront leurs journaux passer aux oubliettes, et les lecteurs n’auront plus réellement le choix de leur lecture car une « présélection » aura été faite en amont.
Certains pensent que cela porte atteinte aux principes de pluralisme et de diversité, d’autres, dont les intérêts économiques sont en jeu, ne s’en préoccupent pas.
Bien entendu le syndicat de l’Association des Editeurs de Presse et les Messageries Lyonnaises de Presse se dressent contre cette réforme. En effet, elle conduirait de façon irrémédiable à la mort des petites publications jusqu’ici protégés par la loi Bichet.
Visant le Conseil Supérieur, ce syndicat affirme qu’il « s’apprête en effet à faire voler en éclats la loi (Bichet) qui l’a instituée et à renier sa mission première, garantir le pluralisme de la presse à travers l’impartialité de sa distribution ».
Les diffuseurs de presse sont bien évidemment de fervents supporters de cette réforme et ce pour des raisons économiques. Gérard Proust, président de l’Union Nationale des Diffuseurs de Presse explique qu’une trop grande quantité de journaux en kiosque, par exemple, réduit de façon considérable le chiffre d’affaires des distributeurs : « le diffuseur reçoit des fournitures qui se traduisent par 50% d’invendus, […] un diffuseur expose, en moyenne, 18 à 21 titres au mètre, ce qui anéantit toute visibilité des titres, […] un client sur cinq repart du magasin sans avoir trouvé le titre qu’il était venu chercher, […] 15 à 18% des références servies ne réalisent aucune vente sur nos points de vente ».
La loi Bichet pose le double principe de liberté et d’égalité de traitement entre les éditeurs. Cette réforme envisagée par le CSMP allant à l’encontre de ces principes, si elle est adoptée, entrainera un nécessaire amendement, voire une abrogation de ladite loi.
A la suite des Etats Généraux de la presse de 2008, un « livre vert » a été remis au ministre de la Culture. Il contenait, entre autre, une demande adressée au Président de la République.
Ce dernier était chargé de demander aux éditeurs de presse « d’instituer un système de plafonnement afin de limiter les quantités servies par parution en fonction de l’historique des ventes du titre constatées dans le point de vente […] et de « Diminuer le taux d’occupation des linéaires, […] une réforme du “bon titre au bon endroit” qui serait une réponse pertinente au taux de rupture élevé en permettant une meilleure adaptation de l’offre à la clientèle et d’augmenter ainsi les ventes ».
La demande n’ayant pas été écoutée, Richard Mallié, député UMP des Bouches-du-Rhône dépose, le 1er avril 2010, devant l’Assemblée Nationale, une proposition de loi visant à abroger la loi Bichet. Cette proposition dont le seul article dispose que « La loi n°47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques est abrogée » a le mérite d’être claire.
Cette réforme et cette abrogation, si elles ont lieu, modifieraient de façon considérable la vie des petits et moyens éditeurs et favoriseraient d’autant plus les grandes maisons d’édition.
Les professionnels du secteur ne sont que peu convaincus de la viabilité de cette proposition de loi mais rien n’est encore joué.
Cette réforme concerne tout le monde, de l’éditeur au lecteur en passant par le diffuseur, et pourtant… elle est discutée « en catimini » au sein du CSMP et de sa “Commission des normes et bonnes pratiques”.
Marie S.
Sources :
http://www.electronlibre.info/Presse-l-exclusion-des,01007
http://www.liberation.fr/medias/0101629040-un-depute-ump-veut-abroger-la-loi-bichet
http://www.erwanngaucher.com/07/04/2010/Supprimer-la-loi-Bichet–pourquoi-,1.media?a=88
http://presseedition.fr/front/action.php?page=actu_art&id_art=3296