Depuis quelques années, le développement des imprimantes 3D, utilisées par des entreprises dénommées judicieusement FabLab, prend de l’importance. Au point de créer la polémique dans les milieux industriels, pour des questions évidentes de droits d’auteur. Et, en ce mois de juin, l’Union Européenne veut passer un cap. A tel point que l’on commence à parler de « disruptive technology » ou technologie de rupture.
Au cœur de l’Union Européenne, les premiers débats entourant le sujet commencent à pointer. La directive Intellectual Property Rights Enforcement Directive (IPRED) de 2004 va être ainsi sujette à modification : « le débat pourrait être évoqué à l’occasion de la très probable révision de la directive IPRED, notamment autour de la notion d’échelle commerciale ». La Commission européenne a donc décidé de prendre les devants avec une feuille de route sur ce thème, affirmant « la nécessité de moderniser la directive pour en faire un outil juridique approprié contre les infractions commises sur internet ». Le débat tout de même assez tardivement, puisque les américains ont déjà pris en compte ce dossier via le Digital Millenium Copyright Act (DMCA), une loi votée en 1998 et qui serrer un peu plus la vis sur les droits d’auteur.
Le problème de ces FabLab, ou plus simplement des imprimantes 3D réside dans leur nature même. Ces imprimantes 3D offrent donc la possibilité de scanner et imprimer des objets, les reproduisant grâce à une matière plastique. Le souci étant que n’importe quelle entreprise puisse copier des éléments ou pièces d’un concurrent ! Et leur démocratisation approche à grand pas, car bientôt accessible au particuliers, des modèles étant déjà disponibles à moins de 400 euros. Cette innovation est apparue aux Etats-Unis à la fin des années 1990, notamment grâce aux travaux de recherche du Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.) sous l’impulsion de Neil Gershenfeld. Leur leitmotiv en leut temps était: “How to make almost anything?” (Comment fabriquer presque tout?). Désormais, n’importe quelle communauté de peu de moyens peut s’improviser FabLab. C’est pourquoi nombre d’entre ont commencé à apparaître un peu partout en France, notamment à Nancy, Brest, Grenoble, Toulouse ou encore Paris.
Cela remet donc clairement en cause le principe de l’obsolescence programmée, qui consistait pour les entreprises, parfois réunies en cartel, à sciemment limiter la durée de vie de leurs produits pour créer une demande constante chez les consommateurs (qui vient de dire Apple ?). Pour exemple, le fameux cartel Phoebus, qui au début du XXème siècle, a décidé de limiter la durée de vie des ampoules électriques aux alentour des 1000 heures pour créer un commerce quasi-permanent autour de ce produit. En effet, les premières ampoules étaient créées pour une durée de vie exceptionnellement longue, notamment avec ce cas d’une caserne de pompiers de la ville de Paris dont la lumière est assurée par la même ampoule depuis… 1901. Ce principe d’obsolescence programmée avait été théorisé de manière économique et concrète en mettant en avant le fait que si les produits avaient une durée de vie plus courte, cela favoriserait l’innovation technologique et donc la qualité intrinsèque des produits. Voilà pourquoi l’on finit par parler ici de technologie de rupture, c’est-à-dire celle qui finit par remplacer la technologie dominante d’un marché. Savourons tous ensemble la douce ironie du sort, qui voit cette innovation mettre un point d’orgue au principe qui lui a donné naissance.
Car si les particuliers pourront reproduire par eux-mêmes les produits grâce à des patrons ou des exemplaires déjà achetés, ils pourront les reproduire eux-mêmes à moindre coût. Et la question des atteintes aux droits d’auteur de se poser. Car si la résistance s’organise autour des cartels ou lobbys du côté des entreprises, les Fab Lab s’organisent eux-aussi en lobbys. Car les premières demandes de retrait de fichiers 3D sont arrivées au début du mois, ce qui annonce l’inflation à venir dans le domaine.
Un cas illustre plutôt bien la problématique de l’affaire. Le site de partage de fichiers Thingiverse, lancé par MakerBot (entreprise fabriquant un modèle d’imprimante 3D), a dû retirer le modèle du triangle de Penrose, figure géométrique réputée impossible à reproduire physiquement. Un designer, Ulrich Schwanitz, s’était lancé dans ce challenge mais son plan s’est retrouvé en ligne sans son accord. Il a donc invoqué le DMCA de 1998 afin de mettre un terme à l’atteinte. C’était en hiver 2011. Plus récemment cette année, le fabricant de jeux Games Workshop a envoyé une demande similaire à Thingiverse car un particulier avait réussi à reproduire deux figurines.
Selon le magazine américain Wired, l’industrie, représentée par la Chambre américaine du commerce, « est le plus gros lobby du Capitol Hill, avec un budget annuel de 60 millions de dollars », à côté de laquelle les labels musicaux, poursuivant les pirates partageant les fichiers sur les réseaux peer-to-peer (avec Napster notamment), ne pèsent rien. La bataille qui s’annonce va donc être énorme. Michael Weinberg, auteur du livre blanc de Public Knowledge (association américaine de défense des libertés numériques), souligne le risque lié à l’abus de droit : « il faut faire attention à la qualité des notifications. Le statut copyright de beaucoup d’objets physiques peut être plus compliqué que d’autres choses comme les films ou les images. Si les entreprises et les particuliers y recouraient de façon illégitime, cela commencerait à susciter des inquiétudes ». Inutile de préciser que les cadors du secteur industriel ne goûtent guère cette innovation qui leur échappe. L’histoire se répète une nouvelle fois, sauf que dans ce cas, les retombées risquent d’être énormes.
Le site Chilling Effect liste d’ailleurs l’ensemble des notifications de retrait de contenus faites au nom du respect du droit d’auteur en jouant sur l’ignorance des éditeurs de sites internet, ce sur une initiative de l’Electric Frontier Foundation (EFF : la plus ancienne et puissante association américaine de défense des libertés numériques, partenaire des départements juridiques de plusieurs universités américaines. Ainsi, le « chilling effect » est un effet inhibiteur grâce à ces notifications impressionnantes pour les novices en droit. Sur le cas du triangle de Penrose, l’EFF s’était prononcé en ces termes : « Copyright de quoi, pourriez-vous demander, de l’image originale ? Si quelqu’un d’autre avait créé avant l’illustration de ce triangle, M. Schwanitz ne peut revendiquer le copyright de l’image, à moins qu’il l’ait en quelque sorte acquis ou ait un droit exclusif, de son propriétaire. Il ne peut pas non plus revendiquer le copyright du procédé de conversion de l’image en un objet 3D ; c’est une astuce mais le procédé n’est pas protégé par le copyright. Le rendu en 3D ne rajoute pas assez de créativité dans le modèle pour que M. Schwanitz réclame le copyright, séparément de l’image en 2D. Apparemment, nous sommes en présence d’une autre notification DMCA sans fondement ».
Anticipant sur ce maelstrom juridique, la communauté 3D a organisé son lobbying, eu égard de ce qui s’est passé lors de la bataille de l’industrie musicale. Le livre blanc de Public Knowledge fait partie intégrante de ce travail de défense juridique. En ce sens, un forum 3D/DC (« la 3D à Washington DC ») s’est tenu par exemple le printemps dernier afin que les plus gros FabLab puissent rencontrer les représentants du pouvoir législatif américain, et ainsi plaider leur cause. Selon Michael Weinberg, la démarche est claire : « Nous tirons partiellement les leçons du copyright numérique. Nous voulons être certains que l’impression 3D est présentée aux législateurs dans un contexte positif. Ainsi, si quelqu’un veut réguler l’impression 3D, ces derniers comprendront la valeur qu’elle produit ».
Effectivement, au lieu d’être considérée comme une atteinte (évidente au premier abord) aux droits d’auteur, ces outils d’impression 3D pourront également devenir l’inverse : protéger les créations de l’esprit. Si l’on peut désormais créer le patron d’une nouvelle pièce, d’un nouveau produit, on pourra le réaliser physiquement dans l’instant qui suit, ce qui pourrait s’apparenter à la divulgation du produit. Tout du moins, il pourra faire office de preuve dans le cadre d’un éventuel litige. La propriété intellectuelle en sera à coup sûr révolutionnée, mais aussi l’économie telle que nous l’avons toujours connue avec ces produits qui nous lâchent au bout de 5 ans et qui doivent de nouveau être remplacés, et toujours au prix fort. La loi de l’offre et de la demande qui se mélange à la propriété intellectuelle : et dire que vous ne portez pas de lunettes 3D…
Sources:
Sabine BLANC, Owni.fr, “L’impression 3D fabrique son lobbying”, 13 juin 2012, http://owni.fr/2012/06/13/les-imprimantes-3d-fabriquent-leur-lobbying/
Pascal MINGUET, Le Progès.fr, “Numérique: le premier FabLab rural est inauguré à Biarne”, 27 juin 2012, http://www.net-village.org/fablab/?p=785