Les comptes de bébés d’influenceurs n’ont jamais été aussi populaires qu’aujourd’hui. Ces jeunes enfants sont les coqueluches du web et sont très sollicités par les internautes toujours avides de mieux connaitre la vie de leurs personnalités favorites. Mais cette nouvelle tendance soulève quelques interrogations au regard des notions de vie privée et d’empreinte numérique des mineurs. La monétisation des contenus comportant des images ou vidéos de ces enfants peut également poser problème.
Le sharenting générateur d’empreinte numérique.
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Qu’est ce que le sharenting ?
Le sharenting est une notion qui touche l’ensemble des réseaux sociaux. Commençons par en expliquer la définition. Sharenting est un néologisme tiré de la contraction de « share », qui signifie partager, et « parenting », être parent. On a tous vu se développer ces pratiques à travers les différents réseaux sociaux. Qui n’est jamais tombé sur une photographie de parents accompagnés de leurs enfants ou des diaporamas pour résumer une année passée aux côtés d’un nouveau-né ? Cette pratique s’est développée sur les réseaux sociaux car elle permet de partager des nouvelles des parents et des enfants aux proches. Mais petit à petit, des comptes se sont spécialisés dans le partage de photos de familles ou d’enfants si bien que des contenus édités et travaillés uniquement à propos de nouveau-nés et d’enfants sont apparus générant un partage massif et international. Pour illustrer ce déploiement massif de comptes publiant des images de mineurs, quelques chiffres:
– Le Hashtag #Children a été utilisé dans plus de 28 millions de publications sur Instagram (il permet de répertorier les photographies et vidéos d’enfants sur le réseau)
– Le Hashtag #Kids cumule d’ailleurs à lui tout seul plus 84 millions de publications
– Les Français Néo et Swan (13 et 8 ans) sont suivis quotidiennement par plus de 600 000 abonnés sur la même plateforme, générant en moyenne plus de 20 000 « j’aime » et des centaines de commentaires sous les publications.
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Des empreintes numériques dès le plus jeune âge
Le phénomène du sharenting, qui paraît dans un premier temps innocent ou divertissant, entraîne pourtant différentes conséquences. À titre d’exemple, environ 36 % des parents ont déjà utilisé une photo de leur enfant en guise de photo de profil. Ici on ne parle pas de vidéos, de noms de famille ou de divulgation d’éléments de la vie privée. Toutefois, ces jeunes enfants existent déjà dans l’univers numérique, c’est ce qu’on appelle l’empreinte numérique. Elle désigne l’ensemble des traces laissées volontairement (ou non) par les usagers du Web (partage sur les réseaux sociaux, existence dans des moteurs de recherche ou des systèmes de messageries). Ce qui va poser problème c’est qu’une empreinte numérique est une donnée, et que les donnés des mineurs font l’objet d’un traitement particulier largement réglementé, que ce soit en Europe avec le RGPD ou aux États-Unis (par exemple la loi COPPA qui a fait l’objet d’un traitement particulier dans un autre article de l’IREDIC auquel je vous renvoie ici). Nous préciserons toutefois que les mineurs ne pouvant pas donner leur consentement sur le traitement de leurs données, ce sont leurs responsables légaux (les parents) qui s’en chargent à leur place. Ce qui pose souci n’est alors pas tant le problème du consentement à posséder une empreinte numérique dès le plus jeune âge mais plutôt la faculté des parents à conscientiser le fait qu’en publiant du contenu sur leurs enfants, ils prennent une décision impliquant plusieurs conséquences juridiques. Le choix de créer une existence numérique à leurs enfants, et donc d’autoriser plusieurs acteurs à traiter leurs données, n’est que très rarement parfaitement éclairé. Par exemple, un arrêt du 9 février 2017 de la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la mère et a “interdit à chacun des parents de diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent”. Il est certain qu’une empreinte numérique n’emporte pas toujours de conséquences très remarquables ; toutefois l’existence numérique des mineurs peut entraîner des fortes problématiques au regard de leur vie privée ou de la gestion de leur influence.
La problématique du sharenting pour les “enfants stars“
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Vie privée dévoilée à un large public.
La vie privée des célébrités intéresse de plus en plus le jeune public utilisateur massif des réseaux sociaux, notamment dans le cas des personnalités issues de la télé-réalité. Ces personnalités créent pour la plupart une entreprise leur permettant d’exploiter leur influence et de monétiser leurs contenus. Cette machine est depuis plusieurs années très bien huilée et bien encadrée par la loi.
Mais qu’en est-il de ces célébrités qui se mettent à partager la vie privée de leurs enfants ? C’est le cas par exemple du couple de la télé-réalité Les Marseillais Carla et Kevin qui ont créé un compte Instagram (suivi par plus de 600 mille internautes) à leur future fille et ont créé une émission de plusieurs épisodes au titre très soigné « Carla + Kevin = Bébé Ruby » filmant le couple lors de leur quotidien prénatal jusqu’aux moments entourant l’accouchement. Ces pratiques ont été très critiquées dans les médias et sur le Web comme étant dangereuses pour l’enfant (exemple d’une vidéo Youtube critiquant le phénomène comptabilisant plus d’1 million de vues).
Ce contenu dévoilé à l’insu des enfants pourrait potentiellement leur devenir préjudiciable à l’adolescence ou dans leur vie de jeunes adultes au regard du droit à la vie privée et du droit à l’image de ces enfants.
Comme nous l’avons vu plus haut, les décisions qui emportent des effets juridiques pour les enfants sont prises au titre de l’autorité parentale. Ce sont donc les parents qui gèrent la vie privée des mineurs à leur charge jusqu’à l’âge de 16 ans. Une fois cet âge atteint, les enfants deviennent seuls maîtres de leur droit à l’image et pourront demander la suppression des contenus les concernant. On peut toutefois s’interroger sur les dommages que peut poser la surexposition médiatique des enfants pendant le laps de temps ou ils ne sont pas encore les garants de leur vie privée. Certains cas de comportements pouvant porter atteinte à la dignité de l’enfant ont pu notamment être relevés, comme le cas d’une célébrité qui a partagé au grand public des images de son bébé intubé qui ne seront pas dévoilées ici par respect pour le petit enfant. Il sera donc intéressant de regarder du côté des litiges à venir sur le sujet et des études sur les conséquences d’une exposition sur internet dès le plus jeune âge. Certains parents pourraient être accusés de manquements à leurs devoirs parentaux si cette médiatisation s’avère préjudiciable pour ces jeunes mineurs. En effet, le fait, pour le père ou la mère de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur, sans motifs légitimes peut leur faire encourir jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
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Vie privée génératrice de profit
Commençons par un fait simple : les enfants ont une force commerciale de choix sur le web. Tout d’abord, les parents vont utiliser les recommandations d’autres parents pour faire leurs achats. Ensuite, les enfants vont vouloir posséder les mêmes objets utilisés dans la vidéo de tel ou tel enfant star qu’ils regardent. En matière de chiffres, près d’ 1 parent sur 3 suivrait un influenceur ou un blogueur parental et 90% d’entre eux ont déjà acheté un produit sur son conseil. Ils sont donc une cible potentielle pour les annonceurs qui souhaiteraient influencer leurs décisions d’achat par le biais des créateurs de contenus en ligne. C’est l’intérêt des marques pour le marché de l’influence qui va pousser certains parents détenant un compte dédié à leur enfant à développer des opérations commerciales. Les enfants vont essayer des produits, donner leurs avis dessus et même donner des codes promotionnels qui leurs sont affiliés (exemple dans le montage ci-contre de screenshots pris sur un de ces comptes Instagram). En matière de publicité, L’ARPP recommande l’autodiscipline des célébrités sur internet. Le problème, c’est qu’Instagram n’est pas soumis à l’ARPP est n’est pas obligé de censurer ce genre de contenus publicitaires, laissant totalement libres les parents de fournir leurs services aux marques. Cela peut paraître tout à fait anodin voir “mignon” et pourtant, quelques interrogations juridiques peuvent être soulevées.
Premièrement, au regard de la loi, il faut voir si ces contenus représentent un travail pour l’enfant ou non car les deux situations auront des conséquences bien différentes. Pour cela, on peut chercher les trois éléments du contrat de travail : une prestation, un lien de subordination et une rémunération (si l’enfant fait une prestation artistique ou de mannequin, le contrat de travail est présumé). S’il s’avère que l’activité sur Internet de l’enfant peut être qualifiée comme du travail, aucune publication ne sera jamais anodine et il faudra pour les parents absolument se conformer au droit du travail, ce dernier étant très strict au niveau du temps travaillé par l’enfant. Il ajoute l’obligation d’assurer une scolarité saine et des temps de repos. Il y a même des cas particuliers pour la vidéo et l’audio. Dans le cadre de ces activités, il est effectivement nécessaire d’obtenir une autorisation administrative pour faire travailler des enfants (article L.7124-1, 2° du Code du travail). On se doute bien alors que beaucoup de parents qui font faire des placements de produits à leurs enfants n’ont demandé pour ce faire aucune autorisation. Pour l’instant, le Code du travail ne précise pas les modalités applicables aux enfants sur Internet. Les parents doivent cependant rester extrêmement vigilants car en cas de litige le juge pourrait opérer une interprétation extensive de la loi. Il pourrait également leur appliquer les dispositions relatives aux enfants mannequins. Les parents pourraient alors être poursuivis pour travail dissimulé et encourir une amende et même de la prison (article L.8221-1 du Code du travail : « l’emploi dissimulé d’un mineur soumis à l’obligation scolaire est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 75 000 euros »). Ils ont également l’obligation de placer l’argent généré par l’apparition de leurs enfants sur des comptes bloqués de la Caisse des dépôts et consignation, qui gérera cette somme jusqu’à leurs 18 ans.
Pour conclure, ne vous habituez pas au type de contenus partagés par certains parents célèbres à propos de leurs enfants. Il peut parfois y avoir un objectif financier et faire encourir des risques à leur jeune progéniture. Même si pour le moment la situation semble légale, grand nombre de ces publications pourraient avoir des conséquences juridiques plus ou moins importantes. Il est donc nécessaire pour tous de garder un œil sur la législation à venir afin de savoir quel choix le législateur va opérer en matière de protection des mineurs sur les réseaux sociaux. On peut toutefois regarder ce qui est fait outre-Manche où les Anglais ont adopté une loi disposant que « les enfants ne peuvent pas être utilisés pour présenter des produits ou des services qu’ils ne pourraient pas acheter eux-mêmes ».