PANNES DE RÉSEAUX TÉLÉPHONIQUES: RESPONSABILITÉ DES OPÉRATEURS ET DROITS DES CONSOMMATEURS

Toujours plus communiquer ! C’est ce qui nous est sans cesse répété dans un monde où le tout communication est roi. Cette devise aux odeurs publicitaires qui sonne trop fort dans nos oreilles se décline par exemple aujourd’hui avec les téléphones mobiles pour enfants…
De nos jours l’offre de téléphonie explose en se diversifiant de plus en plus. Le téléphone est un outil de communication qui concentre les technologies, un média édulcoré. Il est un enjeu économique et social majeur. Toujours plus communiquer rime bien évidemment avec économie de marché. Toujours plus communiquer c’est surtout toujours plus consommer.
Communiquer, téléphoner, c’est un acquis. Aujourd’hui notre société est hautement dépendante du téléphone. La société de communication exacerbée dans laquelle nous vivons, est en position de grande dépendance vis-à-vis de la téléphonie fixe et mobile. Elle est surtout en situation de grande vulnérabilité en cas de défaillance de sa part. C’est lorsque le système tombe en panne que l’on réalise l’envergure de notre addiction. La sécurité et l’ordre public reposent aujourd’hui en grande partie sur les systèmes informatisés de communication. La fiabilité des réseaux est donc un aspect majeur de la tranquilité sociale. Certes le risque zéro n’existe pas, surtout avec le développement des nouvelles technologies. Néanmoins, la fonction sociale du téléphone est telle que la panne se doit d’être évitée. Les récentes pannes des réseaux de téléphonie ont très largement mis en évidence l’impact du téléphone sur nos modes de vies : panique de l’usager privé de son portable, danger pour les secours et les urgences coupées du tissu social. Les réseaux sont le moteur, le cœur de la communication sans lequel la société toute entière basculeraient dans une forme de désorganisation dangereuse. Les récentes avaries ont montré la rapidité avec laquelle la société se désorganise lorsque la communication est coupée. Ainsi, la téléphonie au-delà d’être un business, est un régulateur de sociabilité. Le téléphone est par exemple aujourd’hui la raison d’être de certaines professions…
Les récentes pannes sur le réseau fixe de France Télécom et mobile de Bouygues, soulignent une certaine fragilité de ces réseaux, entraînant une animation de circonstance des pouvoirs publics (I). Plus généralement ce sont les systèmes de communication complexes qui sont remis en question au niveau de leur fiabilité. C’est alors corollairement la gestion des réseaux par les opérateurs qui est mise en balance. Parallèlement plusieurs interrogations s’inscrivent dans une logique de recherche des causes de tels dysfonctionnements. Mais la survenance de telles pannes, outre les réactions de tous bords qu’elles provoquent, découlent sur une inévitable responsabilité des opérateurs (II). Mais cette responsabilité, qui est une responsabilité contractuelle classique n’est pas sans poser plusieurs problèmes juridiques déterminants. A l’initiative d’associations de défense des consommateurs, la jurisprudence récemment rendue a mis de l’ordre dans les droits et obligations existants entre certains opérateurs et leurs clients. Les pannes ont eu en effet pour conséquence, d’évoquer d’inévitables questions d’argent…
I) Fragilité avérée des réseaux de communication téléphonique.

Les réseaux de téléphone ont connu des avaries particulièrement perturbantes fin 2004, remettant en cause leur fiabilité et obligeant les pouvoirs publics à réagir (A). Ce débat sur la fiabilité des réseaux permet en tout cas de s’interroger sur les causes de telles pannes (B).

A) La fiabilité des réseaux de téléphonie remise récemment en question.

1) La panne de France Télécom et celle de Bouygues.

a) La panne du réseau fixe de France Télécom.

Le week-end des 30 et 31 octobre 2004, certains abonnés de France Télécom n’ont pas pu utiliser leur téléphone fixe normalement. Une anomalie de fonctionnement des logiciels des centraux téléphoniques, occasionna des problèmes de ligne entre samedi 18 heures et dimanche 21 heures. Les commutateurs, qui font la connexion entre les lignes, se sont retrouvés envahis de messages d’erreur qui les empêchaient de traiter les appels normalement, entraînant un ralentissement dans l’acheminement du trafic téléphonique en ce week-end de la Toussaint. Pour l’opérateur historique, il était question de « se protéger en ralentissant l’écoulement du trafic pour éviter une panne ».
A l’origine du problème, un bug informatique qui a affecté certains des 600 commutateurs de France Télécom. De nombreux foyers ont été touchés en région parisienne et dans le Nord, mais aussi à Nice, Marseille, Caen, Rouen, Tours, Strasbourg. Concrètement, pour certains clients, il était impossible de joindre son correspondant, le téléphone sonnait souvent « occupé » alors que la ligne n’était pas réellement « en dérangement ». Aussi, la ligne fonctionnait parfois correctement un moment, puis se remettait à sonner dans le vide. Le particulier devait donc renouveler plusieurs fois son appel pour qu’il aboutisse. Mais surtout, les perturbations du réseau n’ont pas épargné les numéros d’urgence : police, Samu, pompiers, mettant en danger la santé de la population.

b) Le bug de Bouygues Télécom.

Après France Télécom et son « anomalie logicielle » qui priva de téléphone fixe plusieurs milliers d’abonnés, mais surtout nous l’avons vu le Samu et les pompiers en octobre dernier, ce fut au tour de Bouygues le 17 novembre de connaître une panne simultanée de deux de ses serveurs informatiques. Orange avait aussi connu ce type de panne en mars 2004 dernier . Cependant, le bug d’Orange fut moins médiatisé que celui de Bouygues dans la mesure où il était de moindre importance. Si les abonnés d’Orange ne pouvaient plus recevoir d’appel, ils pouvaient toutefois en émettre. En outre, la panne aurait été déclenchée par la propre intervention de l’opérateur sur son réseau et la durée de la panne était plus courte que celle subie par Bouygues.
Les deux opérateurs mobiles utilisent des serveurs informatiques achetés à l’américain Tekelec. Ces serveurs ou HLR pour « home location register », sont des bases de données contenant la localisation des abonnés. Ils ont alors été accusés comme étant à l’origine des dysfonctionnements du réseau.

2) Réactions des pouvoirs publics.

A la suite de ces incidents qui ont touché France Télécom et Bouygues Télécom en 2004, le ministre délégué à l’Industrie Patrick Devedjian le 17 novembre dernier, diligenta une mission d’enquête. C’est Jean-Michel Hubert, Vice-Président du Conseil Général des Technologies de l’Information et ancien président de l’ART, qui ainsi mandaté par le ministre, présenta le 11 février dernier avec deux mois de retard tout de même sur l’échéance fixée, les conclusions de la mission d’enquête sur les dysfonctionnements ayant touché de grands réseaux de télécommunications au cours du second semestre 2004 . Les conclusions rendues ce jour blanchissent les opérateurs. Il n’y aurait « ni faute, ni négligence caractérisée » de leur part. La « mission Hubert » indique qu’il n’y a pas eu d’attaques malveillantes à l’origine des dysfonctionnements, ce que l’on pouvait présager. En revanche le rapport fait référence à des dysfonctionnements ayant « eu comme origine des défauts dus à des interventions humaines ou automatiques sur les équipements techniques des réseaux ». Les équipes techniques qui jusqu’alors n’étaient pas en cause sont maintenant montrées du doigt au même titre que la technologie. Mais le point le plus notable est celui qui précise que « les pouvoirs publics ne sont pas suffisamment bien organisés pour anticiper et faire face à ces pannes ». Réagissant à ce constat, Patrick Devedjian a demandé au CGTI de lui proposer avant le 27 mai 2005 prochain « un plan d’action permettant d’accroître le niveau des précautions à prendre pour la sécurité des réseaux et d’améliorer l’organisation de l’Etat pour mieux anticiper et faire face à ce type de pannes ». Ce plan d’action sera élaboré en concertation avec le Haut Fonctionnaire de défense , le Secrétariat général de la défense nationale, et le ministère de l’Intérieur.
Il reste à voir maintenant si cette action des pouvoirs publics pourra limiter, voire annihiler, de façon effective la survenance de pannes des grands réseaux de télécommunications et leur impact sur la vie économique et sociale du pays.
Notons aussi les remarques plutôt intéressantes faites par le syndicat Sud PTT, réagissant vivement à la panne de France Télécom .

B) Les causes discutables des dysfonctionnements de réseaux.

Les problèmes rencontrés par les opérateurs au niveau du fonctionnement de leurs réseaux ont des causes multiples. La nature même des systèmes complexes de communication est une cause matérielle, inhérente au développement des nouvelles technologies (1). En revanche, la façon dont les opérateurs gèrent leurs réseaux est déjà plus discutable (2).

1) Une certaine fragilité des systèmes complexes de communication.

Les pannes de réseaux ont logiquement conduit les pouvoirs publics à réagir tant la communication est fondamentale dans une société comme la notre. Elle est un enjeu non seulement politique, mais également économique. Les médias se sont largement penchés sur ces avaries . La presse écrite s’est montrée particulièrement active sur le sujet et ses enjeux. Le journal Libération notamment, retraçait ces successions de pannes et semblait ainsi poser les bonnes questions . Le quotidien Les Echos mettait lui aussi en évidence cette actualité relative à la sûreté des réseaux de téléphonie .
L’enclenchement d’un débat remettant en question la fiabilité des réseaux est donc tout à fait de circonstance et implique l’avis de spécialistes. Ces derniers sont en effet sollicités par les médias pour expliquer les raisons de tels dysfonctionnements, qui ont paralysé la communication à l’échelle nationale. Ce qui est largement avoué c’est vraisemblablement cette difficulté de sécuriser les réseaux électroniques modernes. La question de la fiabilité des systèmes de communication est donc en liaison directe avec le développement des nouvelles technologies. Les nouveaux systèmes de communication étant largement informatisés, les anomalies logicielles restent forcément inhérentes à cette course à l’innovation. La sécurisation des systèmes de communication complexes est donc toujours plutôt aléatoire. Une part d’incertitude liée à la technique subsiste nécessairement. Pourtant il faut souligner les recherches poussées, menées en la matière et force est de constater que les pannes demeurent rares. L’industrie des télécoms affiche son ambition de devenir un secteur très en pointe au niveau de la sécurisation des systèmes informatiques au même titre que le nucléaire ou l’aéronautique. C’est un standard « zéro défaut » qui est ainsi recherché.
Pour la septième année consécutive, l’Autorité de régulation des télécommunications a mené, en concertation avec les opérateurs et les associations de consommateurs et d’utilisateurs, une enquête d’évaluation de la qualité de service des réseaux de téléphonie mobile en France métropolitaine, telle qu’elle peut être perçue au quotidien par les clients des trois opérateurs. Cette enquête, conduite par le cabinet « Directique », s’est déroulée sur une période de 6 mois, entre novembre 2003 et mai 2004 . Cependant, l’ART a beau contrôler la qualité des services, ou encore la couverture des réseaux, l’autorité ne se penche pas sur la vulnérabilité des systèmes alors qu’elle dispose de nombreux ingénieurs pour le faire.
Certes les pannes restent très exceptionnelles et il serait utopique de parvenir à les éviter de façon absolue. Cependant, si l’on met en parallèle les investissements faits par les opérateurs pour sécuriser leurs réseaux, avec les marges de profits qu’ils réalisent, il est possible de douter d’une impossibilité à sécuriser complètement ces réseaux. C’est pourquoi, leur gestion économique est discutable.

2) Une gestion des réseaux au moindre coût dangereuse.

La fonction sociale du téléphone est telle que la panne n’est plus envisageable. Elle est bien trop perturbante, bien trop coûteuse. Les pannes successives entraînent alors une remise en cause de la gestion même des réseaux par les opérateurs.
Bouygues Télécom estime faire un chiffre d’affaire quotidien de 8 millions d’euros. Après son bug qui dura deux jours, l’opérateur estimait donc le coût de la panne et son dédommagement à 16 millions d’euros. Il est alors légitime de se demander s’il n’aurait pas été préférable pour l’opérateur d’investir en amont afin de s’éviter de telles pertes ! Le plus fâcheux, c’est que les opérateurs semblent avoir les moyens de le faire. Leurs bénéfices sont tels qu’ils seraient capable de sur-sécuriser leurs réseaux. Au lieu de cela, les opérateurs se contentent de doubler la sécurité là où ils pourraient facilement la tripler. Leur démarche reste purement mercantile et cette attitude leur est largement reprochée par les associations de consommateurs.
Car au bout de la chaîne, c’est bien le consommateur qui subit les inconvénients majeurs causés par les pannes. Pourtant il serait en droit de réclamer une fiabilité absolue du service qu’il paye. Aujourd’hui, dans la mesure où les questions de couverture et de qualité de réception des réseaux ne conditionnent plus vraiment le choix d’un opérateur plutôt qu’un autre, une garantie et une fiabilité maximale des réseaux devrait être un argument de vente, un motif discriminant de souscription au service de tel opérateur plutôt qu’un autre. C’est donc la question des investissements faits par les opérateurs qui se pose. Visiblement, les investissements réalisés s’inscrivent dans la course à l’innovation technologique. Les opérateurs ont une attitude capitalistique qui s’avère être dangereuse pour leur activité même. Ils tentent vraisemblablement de faire des économies sur tout, allant jusqu’à mettre en danger la base, le cœur de leur activité : les réseaux. C’est le serpent qui se mord la queue…
Les investissements réalisés dans la sécurisation des réseaux ne sont pas à la hauteur de la responsabilité sociale qui aujourd’hui pèse d’une certaine façon sur les opérateurs. C’est une politique du tout au moindre coût obéissant évidemment à la logique du marché qui est sans cesse mise en avant. Plus haut, nous avons vu qu’après enquête, les équipes techniques des opérateurs ont été aussi remises en cause, au même titre que la technologie. Peut être qu’il existe un problème d’effectif, peut être que les opérateurs ne payent pas suffisamment de gens pour assurer le fonctionnement, la sécurité des réseaux…
Les systèmes informatisés imprègnent tout le tissu économique et social. Leurs dysfonctionnements ont donc un impact économique et humain. Les abonnés professionnels ont sans conteste un intérêt à aller en justice pour réclamer des dommages et intérêts supplémentaires qui compenseraient leurs pertes économiques, ce que nous envisagerons en (II – B). Mais il est parfois difficile de quantifier la perte en argent d’une opportunité par exemple. L’argent ne compense pas nécessairement tout, et la défaillance dans la transmission des communications révèle toute l’importance de l’activité assurée par les opérateurs.
En tout cas l’attitude des opérateurs est condamnable, mais pas seulement dans leur gestion des réseaux. D’autres domaines illustrent leur avarice plus qu’abusive. Par exemple concernant la baisse des tarifs des appels fixes vers mobiles. Les opérateurs ont longtemps appliqué des tarifs excessifs qui aujourd’hui n’ont plus aucune justification, parce que le développement du réseau mobile est depuis longtemps achevé. A l’origine la surfacturation de l’interconnexion était justifiée pour compenser les lourds investissements effectués pour le réseau mobile . Mais les opérateurs ont continué à profiter de ce bénéfice illégitime pendant trop longtemps, s’attirant les foudres des associations de défense des consommateurs et celles du Conseil de la concurrence. De son côté l’ART aura laborieusement œuvré pour faire baisser ce prix des appels fixes vers mobiles ; la faute à des opérateurs bien inquiets de voir leurs marges être un peu moins faramineuses. On peut se demander pour quelles raisons l’ART a eu tant de mal à faire appliquer la réglementation européenne qui interdit aux opérateurs mobiles de faire du bénéfice lorsqu’ils acheminent un appel en provenance d’un poste fixe. La réponse paraît pourtant simple : les enjeux économiques sont tels que les opérateurs ont mis une pression énorme sur les épaules du gendarme des télécoms. Mais d’autres exemples illustrent parfaitement cette attitude abusive des opérateurs. Le cas des SMS en 2003 faisait gronder une fois de plus l’UFC Que Choisir. L’association estimait que les opérateurs surtaxaient beaucoup trop ce service et s’entendaient même entre eux pour maintenir des tarifs élevés, ouvrant la voie à d’exorbitantes marges…
Bref les contentieux mettant en cause des opérateurs de téléphonie sont nombreux et il n’est pas question ici de les détailler, cela ferait l’objet d’autres commentaires détaillés. En tout cas, il est bien évident que les opérateurs ont une logique de marché qui a des répercussions certaines sur le consommateur. Opérateurs de télécoms, pouvoirs publics, autorités de contrôle et consommateurs, délimitent en quelque sorte un carré ; terrain dans lequel une logique pénible de conflit et de bras de fer continu s’est installée.

Les pannes ont un impact direct sur le consommateur. Le client subit un préjudice et ce dernier est d’autant plus important lorsque que le consommateur s’avère être un professionnel… Comment s’engage la responsabilité de l’opérateur lorsqu’il n’évite pas la panne ? Lorsqu’elle survient, quel va être l’équilibre entre les droits et obligations de l’opérateur et ceux de ses clients ?
II) Responsabilité des opérateurs et droits des abonnés.

Nous avons vu que la fragilité des réseaux est due en partie à leur complexité. Mais nous avons constaté par ailleurs que l’attitude des opérateurs joue pour beaucoup dans ce défaut de fiabilité des systèmes de communication. Ainsi, il est intéressant de voir dans quelle mesure les opérateurs sont responsables des dysfonctionnements affectant directement leurs abonnés.
Les dysfonctionnements de réseaux ont en effet pour première conséquence de priver l’abonné de l’utilisation normale de son téléphone. Les pannes causent divers préjudices aux abonnés, privés de communication et donc de l’utilisation normale du service qu’il payent. Les défaillances successives ont entraîné de vives réactions de la population privée de téléphone. Le simple utilisateur de portable comme la grande entreprise en ont été tributaires. On imagine non sans mal les conséquences que de telles pannes peuvent avoir sur l’activité d’une entreprise. Les professions largement dépendantes de la téléphonie mobile peuvent être exposées à de graves difficultés en cas de panne prolongée…
Les opérateurs sont responsables des dysfonctionnements de leurs réseaux (A). Cependant l’étendue de cette responsabilité, qui est une responsabilité contractuelle classique, sera plus ou moins difficile à mettre en cause pour le client parce qu’elle va dépendre de la force contraignante des obligations contenues dans les conditions générales d’abonnement des opérateurs. La responsabilité de l’opérateur une fois engagée, débouche sur un droit à réparation du préjudice causé au client (B).

A) La responsabilité des opérateurs en cas de panne.

D’emblée précisons qu’ici ce sera la téléphonie mobile qui retiendra particulièrement notre attention, avec essentiellement en ligne de mire la panne de Bouygues Télécom.
Quels sont les engagements contractuels pris par un opérateur par rapport au service qu’il fournit ? Que prévoit un opérateur dans ses contrats en cas de panne ? Comment s’engage la responsabilité d’un opérateur dans l’éventualité d’une panne ? La mise en œuvre de la responsabilité contractuelle d’un opérateur suppose une inexécution totale ou partielle d’une obligation prévue au contrat, ainsi que la preuve du dommage subi par le cocontractant. Il faut alors se pencher en premier lieu sur les obligations qui pèsent sur un opérateur pour entrevoir quelle sera l’étendue de sa responsabilité dans le cas où il ne les respecterait pas (1). Les conditions générales d’abonnement précisent qu’il doit assurer la continuité et la qualité du service de radiocommunication. Cependant la rédaction de cet engagement contractuel dans les contrats d’abonnements est source de litiges (2). La jurisprudence a récemment clarifié les choses heureusement.

1) Assurer la continuité et la qualité du service de radiocommunication est l’obligation principale de tout opérateur.

Les clients sont liés à leur opérateur par un contrat. A ces contrats, sont annexées des conditions générales d’abonnement qui sont source de litiges. Les opérateurs s’engagent à assurer la continuité et la qualité du service de radiocommunication. Cet engagement se retrouve dans les contrats d’abonnements que l’on soit chez Bouygues, SFR ou Orange. Cette obligation contractuelle générale implique que le client est en droit de pouvoir utiliser à tout moment son téléphone portable. Une panne lorsque elle se produit revient pour un opérateur à ne pas assurer la continuité et la qualité du service de radiocommunication.
Lorsque l’on regarde les conditions générales d’abonnement de Bouygues Télécom, on retrouve à l’article 10 l’engagement contractuel suivant : « Bouygues Télécom s’engage à tout mettre en œuvre pour assurer la permanence, la continuité et la qualité du service ». Rédigée ainsi, « tout mettre en œuvre », cette disposition contractuelle laisse entendre que l’opérateur est soumis à une obligation de moyens, rendant plus difficile le déclenchement de sa responsabilité. Dans sa rédaction cette clause limite alors la responsabilité de l’opérateurs parce qu’elle sous entend qu’il n’a qu’une obligation de moyens quant à la maintenance de la continuité et de la qualité du service de radiocommunication.
Les dispositions contractuelles qui règlent les questions de maintenance du service de téléphonie sont donc sujette à controverses. Les tribunaux pourront être amenés à les interpréter en cas de litige. C’est la rédaction même des clauses traitant de l’obligation de maintien du service par un opérateur qui sera déterminante. Cette obligation d’assurer la continuité et la qualité du service de radiocommunication sera plus ou moins contraignante en fonction de la formule rédactionnelle choisie et établie par l’opérateur dans ses conditions générales d’abonnement annexées au contrats. La manière dont l’opérateur va rédiger son obligation d’assurer la continuité du service laissera alors plus transparaître une obligation de moyens ou plus une obligation de résultat.
L’obligation de moyens implique que le débiteur de cette obligation s’engage à utiliser tous les moyens possibles en vue d’atteindre un résultat déterminé, mais sans promettre qu’il y parviendra. Par contre, l’obligation est de résultat lorsque le débiteur de l’obligation s’engage à procurer à son créancier (en l’espèce ce sera le client) un résultat déterminé. Pour un opérateur, la rédaction de cette obligation et la force contraignante qu’il lui attribue va avoir des conséquences très importantes en termes de responsabilité. Va découler de la nature de cette obligation contenue dans les contrats d’abonnement l’ampleur de la responsabilité d’un opérateur. L’existence d’une obligation de moyens impliquera que le client qui voudra engager la responsabilité de son opérateur devra prouver la faute de ce dernier. En présence d’une obligation de résultat, si ce résultat n’est pas atteint, l’opérateur va voir sa responsabilité engagée sans qu’il soit nécessaire pour le client de prouver sa faute.
Ainsi, lorsque l’opérateur n’est soumis qu’à une obligation de moyens, il sera plus simple pour lui de s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il a tout fait pour assurer la continuité et la qualité du service. Corollairement, il ne sera pas simple pour le client de prouver que tel ou tel opérateur n’a pas tout mis en œuvre pour éviter une panne le privant de l’utilisation normale de son téléphone.
En revanche, en recouvrant un caractère plus strict, autrement dit si l’obligation est de résultat, l’opérateur voit sa responsabilité engagée automatiquement, du simple fait du non respect de cette obligation, ouvrant directement un droit à réparation du client. Cette dernière solution est forcément plus dangereuse pour un opérateur. La portée de cette obligation qui pèse sur tout opérateur en tant que prestataire de service est donc déterminante, dans l’éventualité d’une panne, pour mettre en jeu le mécanisme classique de la responsabilité contractuelle.
Malgré la force contraignante qu’un opérateur attribuera à cette obligation d’assurer la continuité et qualité du service de radiocommunication, le juge en cas de litige pourra interpréter cette disposition du contrat.
Dans un souci de rééquilibrage des droits et obligations existant entre les opérateurs et leurs abonnés, la jurisprudence précisera les choses en 2004, en posant le principe selon lequel les opérateurs sont soumis à une obligation de résultat vis-à-vis de leurs abonnés quant à la fourniture du service de radiocommunication.

2) La nature de cette obligation précisée par la jurisprudence : une obligation de résultat.

La façon dont sont rédigées les clauses des contrats d’abonnement a été récemment condamnée par la jurisprudence. Il a été reproché aux opérateurs d’établir des conditions générales d’abonnement leur étant trop favorables.
Une affaire importante opposant Orange France à l’Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir (« UFC Que Choisir ») est venue souligner ce problème d’équilibre existant entre les droits et obligations des prestataires de services et ceux de leurs abonnés. L’UFC estimait que certaines clauses des contrats d’abonnement d’Orange étaient fortement défavorable aux consommateurs. Le 10 septembre 2003, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre invita Orange à modifier ses contrats d’abonnement. Le TGI considérait en effet que les contrats d’abonnement au téléphone portable d’Orange contenaient des dispositions majeures pénalisant au quotidien de très nombreux abonnés. Huit clauses se voyaient alors sanctionnées comme étant abusives et une, comme étant illicite.
Les clauses contenant les modalités de résiliation étaient les plus critiquées par l’UFC. Avant le jugement du TGI, seuls les motifs listés par l’opérateur pouvaient être invoqués pour résilier son abonnement. Désormais, l’abonné pourra engager une procédure judiciaire à l’encontre de l’opérateur si celui-ci refuse de mettre fin à son abonnement alors qu’il estime avoir un motif légitime. Certes les questions de résiliation sont très importantes . Mais pour les cas de pannes elles ne sont pas aussi déterminantes que celles liées à l’indemnisation du client. En effet, lorsqu’une panne se produit, le client recherche avant tout à obtenir réparation, c’est ce que nous verrons plus loin.
Pour revenir à l’arrêt du TGI, le jugement précisa notamment, que « la société Orange France assume une obligation de résultat et non une obligation de moyens puisque le contrat qui l’unit à ses abonnés est un contrat de prestataire de services ». En d’autres termes, le TGI pose le principe selon lequel un opérateur ne peut pas s’exonérer de manière générale de sa responsabilité dans le cas où le service ne serait pas fourni à l’abonné.
Ce qu’il faut retenir de ce premier jugement c’est la volonté de rééquilibrage des droits et obligations existant entre l’opérateur et l’abonné.
Orange fera appel, mais la cour d’appel de Versailles confirmera le 4 février 2004 le jugement du TGI de Nanterre du 10 septembre 2003. Elle conclura comme le TGI qu’un opérateur ne peut pas s’en tenir à une obligation de moyens. En effet, un opérateur de téléphonie mobile, encore une fois « en sa qualité de prestataire de services », est tenu à une obligation de résultat quant à la fourniture du service de radiocommunication. Le jugement de la Cour d’appel de Versailles considèrera comme abusive et comme devant être supprimée, la clause contenue à l’article 8-1 des conditions générales d’abonnement d’Orange. Cet article dispose qu’ « Orange France est responsable de la mise en place des moyens nécessaires à la bonne marche du service. Elle prend les mesures nécessaires au maintien de la continuité et de la qualité de service de radiotéléphonie. A ce titre la responsabilité de Orange France ne sera pas engagée en raison de perturbations causées par des travaux d’entretien, de renforcement, de réaménagement ou d’extension des installations de son réseau ainsi qu’en cas de force majeure au sens de la jurisprudence de la Cour de Cassation. L’obligation de Orange France est une obligation de moyens ». Pour l’UFC, cette clause est abusive car elle est contraire aux dispositions des articles L 132-1 et R 132-2 du Code de la Consommation et permet à Orange de ne pas exécuter ses obligations contractuelles de droit commun. La cour explique alors dans ses attendus de façon claire et précise qu’Orange « crée un déséquilibre significatif à son profit » en affirmant que son obligation est une obligation de moyens. Pour le juge, la société Orange est présumée responsable de tout dysfonctionnement sauf si elle rapporte la preuve d’une cause étrangère. Ainsi, un opérateur est à ce titre présumé responsable de tout dysfonctionnement dans la transmission des communications, sauf à apporter la preuve d’une force majeure. La clause qui consacre alors l’absence de responsabilité d’Orange en raison de perturbations par des travaux d’entretien, de renforcement, de réaménagement ou d’extension des installations de son réseau est considérée comme abusive. La cour précise en outre dans l’un de ces attendus, que la Commission des clauses abusives considère justement comme abusives les clauses qui assimilent à des cas de force majeure des évènements tels que dysfonctionnement du réseau, défaillance, incendie, émeutes ou conflit du travail et celles qui exonèrent le professionnel (Orange en l’espèce) de toute responsabilité en cas de dysfonctionnement, perturbation, voire tout problème quel qu’il soit. Orange étant tenu de prendre les dispositions nécessaires pour assurer de manière permanente et continue l’exploitation du réseau, les perturbations causées par les travaux d’entretien ne constituent pas pour elle une cause étrangère. En cas d’intervention sur le réseau il appartenait alors à Orange de prendre toutes les précautions utiles pour éviter une interruption de service. En cas d’impossibilité l’abonné a droit à être indemnisé quelle que soit la durée de l’interruption.
Ce jugement de la cour d’appel de Versailles vient tout légitimement confirmer l’analyse des clauses faite par l’UFC. De façon encore plus importante, ces règles posées par la jurisprudence sembleraient avoir vocation à s’appliquer aux contrats des opérateurs de téléphonie SFR et Bouygues ainsi qu’à tous les contrats de prestation de service (accès Internet, câblo-opérateurs, télévisions à péage…). De ce fait, la panne survenue sur le réseau Bouygues, laisse entendre que la même logique d’interprétation des clauses faite par les tribunaux pour Orange lui serait appliquée en cas de litige. En d’autres termes, la clause de Bouygues Télécom pourrait être considérée comme illicite. Suite à la panne de Bouygues, l’UFC interpella l’opérateur pour qu’il change la rédaction de ses conditions générales d’abonnement afin que les dispositions qu’elles contiennent laissent clairement entendre que l’opérateur est investi d’une obligation de résultat et non de moyen quant au maintien de la continuité et de la qualité du service de radiocommunication.

Cette jurisprudence ne peut de toute façon qu’être prise en compte par tous les opérateurs. Ils sont avertis. Leur responsabilité sera automatiquement engagée du fait d’une défaillance dans la fourniture du service ouvrant un droit à indemnisation de l’abonné (B).

B) Le droit à indemnisation de l’abonné.

En cas de panne un opérateur se doit de compenser le dommage qu’il cause à ses clients. Néanmoins il existe une distorsion, entre ce à quoi s’engagent les opérateurs dans leurs conditions générales d’abonnement et ce qu’ils font en pratique pour réparer le préjudice causé au client lorsqu’une panne paralyse les communications (1). D’autre part, une demande en justice de dommages et intérêts supplémentaires par un client lésé est tout à fait envisageable (2).

1) Un droit à indemnisation contourné dans les faits.

Suite aux perturbations qu’a connu France Télécom fin octobre dernier, l’opérateur historique a fait un geste vis-à-vis de ses clients en décidant de ne pas facturer les communications nationales, locales et longue distance passées sur son réseau fixe entre samedi 16 heures et dimanche 21 heures ce week-end de la Toussaint. Bouygues Télécom tenta de se faire pardonner de la même manière suite à son bug de novembre. L’opérateur mobile décida en effet de ne pas décompter les communications que les abonnés avaient réussi à passer entre le mercredi 17 novembre à partir de 18 heures et le jeudi 18 à minuit.
Ce « geste commercial » de Bouygues est alors manifestement éloigné de ce que prévoyaient les conditions générales des contrats de l’opérateur. Aux termes de l’article 10, il est en effet prévu que « lorsque le service est interrompu, le client peut bénéficier d’un dédommagement forfaitaire sous la forme d’un avoir correspondant à la part de la mensualité du service interrompu ». Ainsi, force est de constater que cette disposition contractuelle est bien différente du geste consenti par Bouygues. L’avoir contractuellement prévu en cas d’interruption du service était bien plus intéressant, dans la mesure où il constituait un crédit mis à disposition des abonnés (éventuellement sur leurs prochains forfaits) et non une simple gratuité sur une partie des communications passées. Pour les associations de défense des consommateurs, le geste commercial de Bouygues est bien en dessous de ses engagements contractuels et ne constitue pas une contrepartie financière équitable pour le client. L’UFC Que Choisir parlera de « mauvaise blague » et d’attitude méprisante envers les clients pour qualifier cette compensation « au rabais » faite par Bouygues. Alors pour assurer une juste compensation, Bouygues aurait pu simplement respecter ses engagements et rembourser un trentième du coût du forfait mensuel à chaque abonné.
Il est quand même très regrettable qu’un opérateur puisse éviter ce à quoi il s’engageait pour compenser le dommage de ses abonnés en cas de panne. Une chose est sûre, les opérateurs sont armés de bataillons d’avocats et de juristes qui défendent leurs droits dans une optique fondamentalement économique. Cette forme de résistance des opérateurs est alimentée par une évidente complexité juridique sévissant dans le domaine de la téléphonie, et des télécommunications plus largement. Les enjeux étant importants, les litiges transpirent bien souvent de nœuds juridiques dans lesquels la seule donnée reste l’argent. D’un autre côté, le consommateur, le client, l’abonné, se retrouve quelque peu noyé dans une pseudo-fidélisation, assénée à grands coups d’opérations marketing qui lui font croire que l’opérateur s’occupe bien de lui. Il y a donc une réelle hypocrisie générale, un manque de loyauté dans la manière de faire des opérateurs. Au final, c’est toute la problématique de la concurrence en matière de téléphonie qui en France demeure quelque part sous-jacente à ces problèmes de pannes.

2) Une demande de dommage et intérêts supplémentaires envisageable.

Les opérateurs prévoient donc une sorte de seuil minimum dans leurs contrats pour compenser les préjudices causés à leur clients, sous forme d’avoir ; seuil minimum qui nous l’avons vu n’est même pas respecté par Bouygues par exemple. Cependant, en droit français le préjudice doit être réparé dans son intégralité. Un client lésé peut donc réclamer des dommages et intérêts supplémentaires devant les tribunaux en apportant la preuve de son préjudice. Les abonnés professionnels comme par exemple les transporteurs qui gèrent un grand nombre de mobiles, peuvent être tentés d’aller en justice pour réclamer des dommages et intérêts supplémentaires pour compenser une perte économique de leur activité. Le fait que la jurisprudence soit venue poser une obligation de résultat au dessus de la tête des opérateurs signifie-t-il pour autant que le client sera bien dédommagé ? L’UFC, après sa victoire contre Orange négocie avec ardeur avec Bouygues et SFR pour qu’ils intègrent les décisions de la cour d’appel de Versailles dans leurs contrats. Le client isolé n’ira pas forcément en justice. Néanmoins, il posera sans doute plainte auprès d’une organisation de défense de ses droits comme l’UFC, déjà plus susceptible de défendre efficacement ceux-ci.
Bouygues en maintenant ses clauses rédigées dans des termes lui étant favorables se met quelque part à l’abri et en danger. Ce comportement de résistance est motivée par le fait qu’un opérateur, en reconnaissant en toutes lettres dans ses contrats qu’il a une obligation de résultat quant au maintien de la continuité et qualité du service, s’expose à un engagement plus automatique de sa responsabilité ouvrant sur une indemnisation facilitée du client devant les tribunaux. Remarquons que c’est surtout en cas de pannes futures que risque fortement de s’envenimer le débat pour les opérateurs.
Mais quoiqu’il en soit, l’avancée jurisprudentielle réalisée par l’affaire Orange permet aux clients d’obtenir éventuellement avec plus de succès une réparation équitable.

Nicolas GRIBOFF