L'ARRET GROKSTER : UN EMBALLEMENT

L’affaire Grokster est devenue une référence dans la lutte contre le piratage via Internet. Initiée par la MGM contre deux fabricants de logiciels d’échanges de fichiers (Grokster et Streamcast), elle fût la source d’une vive polémique.

Les premiers jugements n’ont en effet prononcé aucune condamnation à l’encontre desdits éditeurs. Les juges justifiaient leur opinion sur la base d’un célèbre arrêt de la Cour Suprême, « Sony Corporation of America / Universal Studio Inc », du 17 janvier 1984. La Cour avait alors considéré que les fabricants de magnétoscopes ne pouvaient être responsables des violations aux droits d’auteur commises grâce à ces matériels ; en effet, ils ne peuvent avoir le contrôle de leur utilisation, celle-ci pouvant, de surcroît, être légale.

Les Majors américaines du disque et du cinéma se sont évidemment insurgées contre l’application de cette exception aux peer to peer et ont exercé un recours devant la Cour Suprême ; elles ont été suivies également par des organisations internationales représentant les titulaires de droits d’auteur. Ces dernières critiquaient la décision pour les conséquences qu’elle aurait sur les auteurs du reste du monde : les Etats Unis risquaient d’apparaître comme le seul pays « tolérant » l’usage illégal des logiciels peer to peer , lesquels ignorent, bien sûr, la nationalité des auteurs.

La décision de la Cour, du 27 juin 2005, a sonné pour beaucoup comme une victoire : elle retient la culpabilité des deux fabricants, pour avoir effectué une importante promotion des usages illégaux que permettaient leurs logiciels. Bon nombre de professionnels se sont félicités de cette nouvelle avancée contre le piratage d’œuvres protégées ; ils entendent maintenant engager de nouvelles actions pour y mettre fin.

Pourtant, sur le fond, cette décision n’a rien de révolutionnaire ; elle ne fait qu’opérer une juste conciliation d’intérêts au cas d’espèce et ne remet nullement en cause l’exception Sony, comme certains le réclamaient ; elle vient au plus en préciser la portée. En effet, les fabricants n’ont été condamnés que pour la promotion des violations de droits d’auteur ; la Cour a seulement sanctionné une attitude de mauvaise foi délibérée. Elle n’est nullement revenu sur l’existence desdits usages et a rappelé, par contre, que les peer to peer peuvent aussi servir pour des usages légaux, favorisant notamment un plus grand accès à la culture. En cela, la Cour protège le grand potentiel des nouvelles technologies, bien loin d’une logique marchande tous azimuts.

Les fabricants de tels logiciels ont donc encore, a priori , de beaux jours devant eux ; il leur suffit de s’abstenir de toute promotion d’actes illégaux pour être exonérés, conformément à l’exception Sony.

Quoi qu’il en soit, malgré ce constat, l’emballement est tel qu’un courant jurisprudentiel s’est formé et internationalisé.

Le texte intégral de l’arrêt est disponible sur le site de la Cour Suprême des Etats Unis : Supreme Court of the United States

Sources :
www.legalbiznext.com
– BENABOU Valerie Laure, « A quoi sert l’arrêt Grokster ? », Légipresse , n°224, septembre 2005, p.131.

Philippe MOURON