Six ans. C’est le temps qu’il aura fallu aux majors du disque et aux studios de cinéma pour remporter enfin une bataille décisive sur le front de l’Internet, avec la condamnation, le 27 juin 2005, du site de peer-to-peer Grokster par la Cour Suprême des Etats-Unis (1). Les juges de la plus haute juridiction américaine ont en effet estimé pour la première fois, après plusieurs mois de débats, que les fournisseurs de logiciels de partage de fichiers pouvaient être tenus pour responsables des violations de copyright commises par des tiers via leurs logiciels. Jusque-là, en vertu de la jurisprudence Betamax (1984) (2), seuls les particuliers qui enfreignaient de manière active la loi sur le copyright pouvaient être poursuivis par les industriels, et les réseaux de peer-to-peer se défendaient de toute complicité de contrefaçon.
Sous la pression des maisons de disques, Grokster vient de conclure un accord avec la Recording Industry Association of America (RIAA) et la National Music Publishers’ Association (NMPA), acceptant de mettre un terme à l’exploitation de son réseau de partage de fichiers. Le site principal du réseau de peer-to-peer affiche désormais cet avertissement sur sa page d’accueil : « Il existe des plates-formes légales pour télécharger de la musique et des films. Ce service n’en fait pas partie. » Un lien conduit également les internautes vers des sites institutionnels, où des professionnels du disque et du cinéma expliquent que le partage d’œuvres protégées constitue du vol. Mais cela suffira-t-il à faire cesser définitivement le peer-to-peer ? Rien n’est moins sûr.
Malgré le développement spectaculaire des plates-formes de téléchargement légales depuis deux ans, seuls 10% des morceaux de musique sont achetés dans ces magasins virtuels (3), et des millions d’internautes continuent d’utiliser des services de peer-to-peer comme Morpheus, LimeWire ou BitTorrent… D’ailleurs, ces derniers n’ont certainement pas dit leur dernier mot : d’une part, certains services tels que Kazaa sont basés à l’étranger et, de ce fait, sont moins vulnérables aux poursuites judiciaires que les réseaux situés aux Etats-Unis ; d’autre part, certains réseaux entendent bien poursuivre la bataille judiciaire contre l’industrie du divertissement. Enfin, « last but not least » : la fermeture du site de Grokster n’empêchera pas ceux qui possèdent déjà le logiciel de l’utiliser…
Sources :
• Chris Nuttall et Joshua Chaffin, « Grokster closes internet music service » , Financial Times , 07/11/05
• Jonathan Krim et Frank Ahrens, « Legal Pressure shutters Grokster », Washington Post , 08/11/05
• www.copyright.gov , dossier «Supreme Court Rules in MGM v. Grokster ».
Notes :
(1) Metro Goldwyn Mayer Studios Inc., et Al. Petionners v. Grokster Ltd., et Al., 545 US (2005)
(2) Sony Corp. v. Universal City Studios Inc., 464 US 417 (1984)
(3) Résultat d’une étude menée par BigChampagne LLC aux Etats-Unis.
Benoît LANDOUSY