TELEVISION ET TEMOINS OU QUAND LE TORCHON BRULE ENTRE ANONYMES ET PRODUCTEUR

Depuis plusieurs années, le nombre d’émissions télévisées faisant intervenir des anonymes n’a cessé d’augmenter. Entre les émissions dites « testimoniales » telles que « Ca se discute », « Y’a que la vérité qui compte » ou encore « Confessions Intimes » et la télé-réalite, ce sont des dizaines d’anonymes qui défilent sur le petit écran chaque semaine. Mais si des émissions comme celles de Jean-Luc Delarue, précurseur en la matière, ont connu l’époque des témoins « naïfs », prêts à signer n’importe quel contrat comportant parfois des clauses pour le moins surprenantes voire abusives, l’heure n’est plus à l’innocence.

Les procès récents contre les émissions « Y’a que la vérité qui compte » (Cour d’appel de Douai, 26 Octobre 2005) et « L’île de la tentation » (Prud’hommes de Paris, 7 Novembre 2005), semblent indiquer une évolution dans les rapports entre producteurs et témoins, ces derniers semblant de moins en moins « manipulables ». En effet, l’évolution de la télévision permettant à tout un chacun de connaître « son heure de gloire cathodique », ce sont des centaines d’annonces qui paraissent chaque année et des dizaines de milliers de candidats « à la postérité » qui se font « caster ». Si jadis les producteurs devaient « chouchouter » leurs témoins pour obtenir d’eux une prestation satisfaisante, aujourd’hui il semble que ce soit ces mêmes témoins qui mènent le jeu. Conscients de leur importance dans le bon déroulement de l’émission, ils se montrent plus souvent comédiens que sincères, arrivent avec leurs avocats et discutent les clauses des contrats qu’on leur soumet. En somme, le temps de l’innocence est révolu et les « casteurs » de ces émissions « testimoniales » connaissent une difficulté croissante à trouver « la perle rare », le « vrai » témoin, sincère et réaliste. Comme le constate Isabelle Gambotti, directrice d’une société de casting, les mœurs ont évolué : « avant, les gens venaient à « Que le meilleur gagne » pour passer une journée exceptionnelle. Aujourd’hui, ils viennent pour le gain et pour avoir leur part du gâteau médiatique ».

Il convient alors de s’interroger sur l’évolution possible des rapports entre témoin et producteur car ceux-ci se sont « équilibrés » et chacun peut désormais devenir la « victime » de l’autre. C’est d’ailleurs pour cette raison que Laurent Fontaine et Pascal Bataille, de la société de production Loribel (« Y’a que la vérité qui compte »), travaillent actuellement, au sein de leur syndicat le SPECT (le Syndicat des producteurs et créateurs d’émissions), sur la rédaction d’une charte de défense des droits du témoin, « parce qu’il faut une éthique sur laquelle tous les producteurs peuvent s’aligner. On veut protéger les gens…mais aussi se protéger contre les attaques. Certains anonymes sont manipulés par des avocats » (Pascal Bataille et Laurent Fontaine). Ce climat de suspicion a donc amené les producteurs à multiplier les précautions. Aussi, face à cette « professionnalisation » des témoins, aujourd’hui, pas une photo, pas un nom ne passe à l’antenne sans qu’une autorisation préalable n’ait été expressément signée.

Mais devant un formalisme qui ne pourra, de toute évidence, qu’aller en augmentant, reste à savoir si l’essence même du témoignage ne sera pas remise en cause…mais peut-on réellement reprocher aux anonymes de vouloir tirer avantage de ceux à qui ils ont servi de « matière première » ? C’est là l’enjeu du débat…

Source : Emmanuelle Anizon (avec Hélène Marzolf), Télérama n°2913, 10 novembre 2005.

Aurore BIGARD