LA CNIL, BONNE FÉE DES PIRATES ?

La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) vient, par une décision du 18 octobre 2005, de donner un coup d’arrêt inattendu à la chasse aux pirates.
La Commission a, en effet, refusé à quatre sociétés de gestion collective – la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), la SDRM (Société pour l’administration de reproduction mécanique), la SCPP (Société civile des producteurs phonographiques) et la SPPF (Société civile des producteurs de phonogrammes en France) – la mise en oeuvre d’un dispositif de surveillance automatisée des internautes téléchargeant illégalement des fichiers musicaux.
Cette décision peut paraître doublement surprenante: d’une part dans la mesure où le législateur, par une loi du 6 janvier 1978 modifiée par la loi du 6 août 2004, a offert la possibilité de créer un tel système; d’autre part parce que le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL) a été autorisé, par une décision de la Cnil du 20 mars 2005, à mettre en place un dispositif comprenant l’envoi de messages d’avertissement et la collecte d’adresses IP de certains internautes en vue de dresser un PV d’infraction.
En l’espèce, les demandes de surveillance des sociétés d’ayants droits comprenaient deux volets: l’un pédagogique, l’autre répressif.
Le premier consistait à transmettre aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) les adresses IP des internautes repérés en train de télécharger des morceaux protégés par le droit d’auteur, les fournisseurs ayants ensuite pour tâche d’identifier l’internaute et de lui adresser un courriel d’avertissement. Mais là où le bas blesse pour la Cnil, c’est que selon elle, “l’envoi de messages pédagogiques pour le compte de tiers ne fait pas partie des cas de figure où les FAI sont autorisées à conserver les données de connexion de internautes”. Pour appuyer cette affirmation la Cnil se réfère à une décision du Conseil Constitutionnel, en date du 29 juillet 2004, selon laquelle seul le juge est autorisé à demander aux FAI de faire le lien entre une adresse IP et le nom d’un abonné.
Le second volet, répressif, n’a pas eu plus de succès auprès de la Cnil. Cette dernière a considéré comme “non proportionnée à la finalité poursuivie” la volonté des sociétés de collecter directement et conserver les adresses IP des internautes contrefacteurs, en vue d’une éventuelle poursuite en justice.
Selon la Commission, ce type de méthode représente un risque d’aboutir “à une collecte massive de données à caractère personnel”, et permettrait “ la surveillance exhaustive et continue” des réseaux peer-to-peer.
Mais le point le plus répréhensible aux yeux de la Cnil reste le critère de choix des internautes susceptibles d’être poursuivis, à savoir le nombre de fichiers mis à disposition, dont le seuil est terminé uniquement par les sociétés d’auteurs” qui “se réservent la possibilité de le réviser unilatéralement à tout moment”.
L’une des sociétés d’ayants droits, la SCPP, très surprise de la décision rendue par la Cnil, n’exclue pas un recours devant le Conseil d’Etat. La Commission prône quant à elle l’apaisement, et, par la voie de son secrétaire général Christophe Pallez, se dit prête à organiser de nouvelles réunions afin de trouver un accord.
En attendant, les plaintes contre les internautes téléchargeant de manière frauduleuse se poursuivent, et la surveillance manuelle des réseaux peer-to-peer demeure une option ouverte aux ayants droits, qui a déjà permis à la SCPP de mener plus 160 actions judiciaires.

Source : ZDNet.fr

Michèle SANTUCCI