L'ICANN AU CENTRE DE LA LUTTE POUR LE CONTRÔLE D'INTERNET

A l’approche de la deuxième phase du Sommet mondial de la société de l’information, qui se déroulera à Tunis durant le mois de novembre, la question de l’assignation, de la gestion et du contrôle des noms de domaines (les «.fr » et «.com ») fait l’objet de débats animés au sein de la communauté internationale.

Cette mission est dévolue à l’Icann (Internet Corporation of Assigned Names and Numbers ) qui se trouve être une société américaine de droit privé, à but non lucratif, basée en Californie, ce qui soulève depuis peu des tensions entre les Etats-Unis et le reste du monde, suite à l’opposition du gouvernement américain quand à la création d’un domaine particulier nommé .xxx pour les sites à caractère pornographiques ou érotiques…

Pourquoi l’Icann est-il un organisme privé ?

Internet repose sur des contrats privés. C’est l’agglomération de 250 000 réseaux, qui se mettent d’accord pour adopter les mêmes standards et pour faire transiter des données, le tout avec des contrats privés. L’Icann fait en sorte que ces réseaux marchent ensemble. Les contrats avec les fournisseurs de noms de domaine sont aussi des contrats privés. Cela n’interdit pas, bien entendu, aux gouvernements de participer aux décisions et d’influencer ces contrats…

D’où vient le lien particulier entre l’Icann et Washington ?

Internet s’est développé à partir des Etats-Unis. Jusqu’aux années 90, le réseau était utilisé essentiellement par des chercheurs. Et c’est l’un d’eux, John Postel, qui était chargé de la gestion du système de noms de domaine, avec l’aide du gouvernement américain.

Les Etats-Unis interfèrent-ils dans le fonctionnement de l’Icann ?

« En pratique c’est une intervention très légère , selon Paul Towmey, président de l’Icann . Statutairement, l’Icann est une organisation indépendante, à but non lucratif, basée en Californie. Sur les 21 membres du conseil d’administration, seuls 5 sont Américains. Tous les pays ont leur mot à dire dans le cadre d’un Comité consultatif gouvernemental. Quant à nos employés, la moitié sont américains, le reste est originaire du monde entier ». Le rôle des Etats-Unis diffère sur deux points :  « Tout d’abord, en vertu d’un accord avec le gouvernement américain, nous devons lui remettre des comptes rendus de notre activité. Mais ceux-ci sont publics. Ensuite, lorsque des changements sont décidés sur les noms de domaine, les Etats-Unis ont un droit de vérification. ».

Quand à la pression déterminante exercé pour l’abandon du .xxx pour les sites érotiques, beaucoup de pays ont exprimé leur inquiétude. La Commission européenne, la Suède et d’autres ont écrit à l’Icann pour demander un délai de réflexion. Les Etats-Unis aurait simplement bloqué le projet afin de permettre une discussion sur le sujet.

Quelles sont les revendications du reste du monde ?

Si les Américains ont créé le Net et assuré son bon fonctionnement, leur position dominante est de plus en plus contestée. Des pays comme la Chine , le Brésil ou l’Iran réclament depuis longtemps une gestion commune de la gouvernance de l’Internet. Ils souhaitent que les Etats prennent le contrôle du réseau. «De nombreux pays veulent que les décisions se prennent à l’ONU, au sein d’une agence spécialisée , résume un observateur. Le risque, c’est qu’une résolution allant à l’encontre des intérêts commerciaux ou du principe de fonctionnement démocratique du Net soit votée. Des pays comme la Chine pourraient conforter leur censure du Web .»

Pour David Gross, délégué du département d’Etat américain, la régulation du Net doit rester entre les mains du «privé». C’est-à-dire de l’Icann… Mais entre la position des Etats-Unis, le maintien du statu quo , et celle de pays émergents, qui rêvent de mettre la main sur le Net, il y a un espace, que les Européens viennent d’occuper.

« L’unilatéralisme n’est pas acceptable » selon Viviane Reding, commissaire européenne chargée de la société de l’information et des médias, «  la Commission a contribué activement à la création de l’Icann, dont l’objectif était de constituer une première étape dans un processus d’internationalisation et une approche multipartenaires de la gestion de l’Internet. Jusque récemment, les Etats-Unis étaient d’accord et souhaitaient mettre un terme à leur contrôle sur l’Icann. Depuis juin dernier, ils ont changé d’avis, sans dire pourquoi ». Les Vingt-Cinq, jusqu’alors divisés, ont affiché leur position commune fin septembre, à Genève, lors d’un round de négociations avant Tunis. Bruxelles réclame la mise en place «d’un nouveau forum des politiques publiques» liées à l’Internet. Formule volontairement floue pour ne pas apparaître comme suivant la ligne de dictatures comme la Chine ou l’Iran…

Sources :
Vincent, Faustine, « La lutte pour le contrôle d’Internet », Metro , 16 novembre 2005,(p.12.)
– Blecher, Ludovic, « Tentatives de coup d’Etat sur le Net », Libération.fr, 2005
– Mauriac, Laurent, « Le rôle particulier des Etats-Unis », Libération.fr, 15 octobre 2005
– Quatremer, Jean, « Les Américains sur la défensive », Libération.fr, 15 octobre 2005
– Quatremer, Jean, « L’unilatéralisme n’est pas acceptable dans la gouvernance de l’Internet », Libération.fr, 14 octobre 2005
Pascal COURNAND