LA LIBERTE D’EXPRESSION A LA SOURCE D’UN INCIDENT DIPLOMATIQUE

La conciliation de la liberté d’expression avec la liberté de religion peut donner lieu à de vives difficultés. Une affaire récente nous en fournit un parfait exemple.

Tout a commencé en septembre dernier, lorsque le journal danois Jyllands-Posten a publié 12 dessins caricaturaux représentant le prophète Mahomet. Lesdits dessins ont par la suite été repris en Norvège, dans le magazine Magazinet, au début du mois de janvier. Depuis, les réactions hostiles de la part des Etats musulmans et d’autres organisations n’ont cessé de se multiplier. La représentation du prophète est en effet formellement interdite par la religion musulmane, même si elle est réalisée dans un but positif.

Les protestations ont revêtu plusieurs formes : rappel des ambassadeurs étrangers au Danemark (pour la Lybie et la Syrie), convocation des ambassadeurs danois pour une « explication » (au Koweït), boycott des produits d’importation danoise ou norvégienne (lancé par les Frères Musulmans), menaces envers des ressortissants danois et norvégiens, nombreuses manifestations dans différents pays … pour une seule revendication : exhorter les gouvernements danois et norvégiens à régler au plus vite la question, face à un manquement qui met en cause la liberté de religion. Seul le président afghan Hamid Karzaï s’est démarqué, affirmant son soutien à la liberté de la presse dans cette affaire ; selon lui, les pouvoirs publics ne doivent ni ne peuvent être responsables du contenu des médias.

C’est justement à ce titre que le gouvernement danois a refusé de présenter des excuses et de poursuivre en justice le directeur de rédaction de la publication incriminée. Dans ce pays qui, comme la Norvège, est un des plus fervents défenseurs de la liberté d’expression et un modèle en termes de protection des droits des journalistes (n° 1 sur le classement mondial de Reporters Sans Frontières !), il paraît tout à fait inconcevable d’intervenir d’une quelconque manière que ce soit au niveau du contenu éditorial des médias. La liberté d’expression doit rester une liberté ; elle comprend celle de blâmer, et, dans le cas présent, celle de « provoquer ». Tel est d’ailleurs l’argument des responsables du Jyllands-Posten, qui précisent avoir voulu « tester » les réactions des musulmans fondamentalistes vis-à-vis de cette liberté.

A travers ce débat « international », c’est toute la difficulté à assurer le pluralisme des courants de pensées et d’opinions qui transparaît. En effet, pour beaucoup, cet objectif découle naturellement de la liberté de conscience et de religion et exige un parfait respect de celles-ci les unes envers les autres, y compris dans leur expression. Pour d’autres, la liberté d’expression implique justement une représentation la plus large possible des opinions, censée enrichir toujours plus les différents courants de pensées et de consciences. Le pluralisme est-il dès lors une limite ou un moyen de la liberté d’expression ?

C’est face à cette problématique que se trouve désormais l’ONU, l’Organisation de la Conférence Islamique y ayant déposé une plainte. Deux experts nommés par Louise Arbour vont maintenant enquêter sur l’acte en question, qualifié d’irrespectueux envers une croyance. Leur travail sera effectué à l’aune des divergences de cultures et de traditions juridiques qui affectent une grande partie du débat, soulevant le caractère relatif de la liberté d’expression.

Sources :
site web du Nouvel Observateur , 30 janvier 2006 ;
http://www.newspaperindex.com/blog/2005/12/10/un-to-investigate-jyllands-posten-racism/ pour les dessins mis en cause.

Philippe MOURON