LES MAJORS MIS EN CAUSE DANS LA LUTTE CONTRE LE PIRATAGE !

C’est une attitude tout à fait inattendue qu’a retenue la maison de disques canadienne Nettwerk Music Group face à un internaute spécialiste du piratage. En effet, loin d’engager des poursuites judiciaires, elle a décidé de venir en aide au malheureux, qui se trouve sous les foudres de la Recording Industry Association of America (RIAA).

La situation d’espèce est désormais classique : un jeune adolescent a téléchargé (et partagé corrélativement) près de 600 morceaux de musique, via un logiciel peer to peer. Certains des morceaux étaient de la chanteuse Avril Lavigne, édités par le label Nettwerk. De nationalité américaine, l’intéressé a fait l’objet d’une plainte déposée par les représentants de l’industrie du disque américaine. Ce genre de cas est devenu très fréquent, voire banal, depuis le début des poursuites engagées contre des internautes par la RIAA ou la Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique (IFPI) (voir article « L’industrie phonographique en croisade », par Philippe Mouron, 21 novembre 2005). On se souvient encore de la première victime de cette série d’actions, intentées en 2003, qui était une adolescente de 12 ans ; ce genre de considérations n’a néanmoins jamais arrêté les producteurs et éditeurs.

Cependant, contre toute attente, et alors que son préjudice était avéré, la maison d’édition Nettwerk Music Group, sur demande de la sœur de l’accusé, a décidé de prendre la défense de ce dernier. Elle s’est ainsi engagée, au-delà du soutien moral apporté au jeune homme, à payer l’amende qui lui serait infligée par les tribunaux américains. Quelle importance pour la RIAA, pourrait-on dire ? Les conséquences seraient plus importantes qu’il n’y paraît.

En effet, l’intention affichée par la maison de disques est bien de s’insurger contre les pratiques susmentionnées, dénonçant leur caractère inique et injuste. Quel intérêt y a-t-il à poursuivre un adolescent insolvable et encore inconscient ? Aucun si ce n’est s’attirer la colère du public et l’inciter à recourir à des moyens subversifs. Quel intérêt y a-t-il dès lors à défendre le même adolescent ? En faire un symbole, un précédent, afin de limiter le recours auxdits moyens et de susciter un débat raisonné sur le piratage. Ainsi, s’il peut être injuste de télécharger des œuvres protégées sans bourse délier, il l’est tout autant de s’en prendre massivement à des citoyens lambda, en exigeant d’eux des sommes qu’ils sont incapables de payer. Telle est l’idée que veut faire passer le PDG de Nettwerk, par son action symbolique. Il a d’ailleurs précisé que celle-ci se limiterait à ce seul cas précis, jugé fort injuste, afin de ne pas en faire une généralité et de maintenir un certain équilibre.

Au-delà des aspects idéologiques (et quelque part peut être utopiques), la maison de disques se ménage également une bonne publicité auprès des consommateurs ; on ne peut néanmoins l’en blâmer. Ainsi, le même PDG considère que les baisses de recettes enregistrées ces dernières années sont dues à une perte de confiance des citoyens vis à vis des majors et du commerce de la musique en général. Or, toujours selon ses propos, cette perte de confiance découle naturellement de la brutalité des actions engagées par la RIAA et l’IFPI ces dernières années. Il ajoute de plus que les majors, par cette attitude, porte du tort aux artistes mêmes, étant à la base de la création dont elles sont presque les seules à profiter. La démarche de Nettwerk vise donc aussi à rétablir la confiance entre l’acheteur et le vendeur, et, au-delà, entre l’amateur et le créateur, dont les rapports se sont très largement distendus et pervertis ces dernières années.

La lutte symbolique semble désormais à l’ordre du jour s’agissant du problème du piratage, et une inversion de tendance semble même se profiler. Ainsi, alors que les annonceurs sont accusés en France, pour la première fois, d’être à la source financière du piratage (voir article « Les annonceurs mis en cause dans la lutte contre le piratage », par Philippe Mouron, 31 janvier 2006), les majors sont désormais attaquées sur leur propre terrain aux USA, pour l’injustice de leurs actions. Irions-nous vers un rééquilibrage du débat ?

Source : http://www.01net.com

Philippe MOURON