RÉVISION DE LA DIRECTIVE « TÉLÉVISION SANS FRONTIÈRES »

La directive n° 89/552/CEE dite Directive « Télévision sans Frontières » (TVSF) du 3 octobre 1989 est considérée comme la pierre angulaire de la politique audiovisuelle européenne. Elle coordonne les législations des États membres dans un certain nombre de domaines : identification de l’État compétent vis-à-vis des radiodiffuseurs, promotion des œuvres européennes, accessibilité par le public des événements d’importance majeure, règles relatives à la publicité, au téléachat, au parrainage et à l’auto-promotion, protection des mineurs et droit de réponse.
Fondée sur les articles 47 § 2 et 55 du Traité CE relatif à la libre circulation des services, elle vise notamment la réalisation de deux objectifs : d’une part, assurer la libre circulation des émissions de télévision dans l’Union européenne, et d’autre part, soutenir et promouvoir la diversité culturelle. Du point de vue de la Commission comme du Parlement européen, le texte initial semble avoir témoigné d’une certaine efficacité et aurait ainsi contribué à la réalisation de certains objectifs essentiels tels que la protection de la production ou l’expression de la diversité.
Toutefois, malgré la pertinence des règles posées par cette directive, le paysage audiovisuel s’est considérablement modifié ces dernières années, avec l’apparition de technologies fondamentalement nouvelles, le développement des chaînes par satellite, du numérique et la convergence entre l’audiovisuel et les télécommunications. Tous ces nouveaux aspects ne sont actuellement pas couverts par les dispositions de la directive. Or, dans un paysage aussi évolutif, une réglementation qui ne s’adapte pas est une réglementation vouée à disparaître.
En 2002, suite au constat fait par la Commission européenne sur la nécessaire prise en compte de ces évolutions, une consultation publique majeure a été lancée. À l’origine, l’idée de la Commissaire européenne chargée des médias, Viviane Reding, était d’élaborer un nouvel instrument portant sur les contenus audiovisuels. Cependant, cette idée a été progressivement abandonnée par la Commission, qui s’est orientée vers une adaptation de l’actuelle directive. Une procédure de réexamen au plan communautaire s’est donc mise en place autour des principales dispositions de la directive: la promotion des œuvres européennes, l’accès aux événements d’intérêt majeur, la publicité ou la protection des mineurs.
Jusqu’au 15 juillet 2003, les professionnels de l’audiovisuel se sont exprimés sur le sujet et la Commission a présenté sa proposition de directive révisée le 13 décembre 2005, en tenant compte des résultats de la consultation.
Déjà modifiée en 1997 par la directive 97/36/CE, la Directive « Télévision sans Frontières » est donc entrée depuis près de quatre ans dans un nouveau processus de révision, afin de pouvoir prendre en compte les transformations du marché de l’audiovisuel et les évolutions technologiques actuelles.I. LES PRINCIPES FONDAMENTAUX
La directive a instauré des règles minimales que les États se doivent d’adopter. Toutefois, ceux-ci ont toute liberté d’adopter des règles plus strictes si celles-ci sont jugées nécessaires. La réglementation est structurée autour de quelques grands principes.
Tout d’abord, la directive TVSF repose sur un élément fondamental : l’unicité du droit applicable. Ainsi, chaque diffuseur ne relève de la compétence que d’un seul État membre (principe du pays d’origine), les autres États garantissant la libre réception et retransmission des émissions. Pour le déterminer, les critères sont juridiques tels que le lieu du siège social, le lieu de la prise de décision éditoriale ou encore celui des effectifs employés, ou techniques selon l’État qui accorde les fréquences. En conséquence, un État ne peut refuser la diffusion sur son territoire des programmes de radiodifuseurs relevant de la compétence d’un autre État.
Il existe néanmoins des restrictions à ce principe permettant à l’État de réception d’interrompre la diffusion en cas de violation grave à certaines règles jugées incontournables, telles que le respect de l’ordre public et la protection des mineurs.
Il existe aussi des quotas en matière de diffusion et de production qui obligent le radiodiffuseur, d’une part, à consacrer à des œuvres européennes la majorité de leur temps de diffusion, et d’autre part, à consacrer 10% de leur budget de programmation à des œuvres européennes provenant de producteurs indépendants.
La Directive TVSF instaure également des mesures de protection pour les mineurs qui se traduisent par une interdiction des programmes « susceptibles de nuire gravement aux mineurs » et un encadrement de ceux « susceptibles de nuire aux mineurs » grâce à la signalétique et à des horaires de diffusion particuliers. II. LES POINTS RÉVISÉS
Préalablement à la présentation de sa proposition, la Commission a mené un processus approfondi de préparation de la révision de la directive TVSF à travers deux consultations publiques en 2003 et 2005, auxquelles ont participé l’ensemble des acteurs intéressés, afin de recueillir leurs observations et leurs propositions. Lors de ces consultations, le débat a notamment tourné autour de quatre grands thèmes : le champ d’application de la directive, la publicité, la diversité culturelle et le principe du pays d’origine. La principale difficulté a été de concilier les droits des citoyens mais également les intérêts commerciaux
Les premières ébauches de la réforme ont été présentées en septembre 2005 lors d’une conférence organisée à Liverpool par la Commission et la présidence britannique de l’Union européenne. La Commission a ensuite officiellement présenté le 13 décembre dernier sa proposition qui se présente sous la forme d’une directive amendant la directive TVSF existante, et non pas d’un texte nouveau remplaçant la directive actuelle.EXTENSION DU CHAMP D’APPLICATION
La proposition vise à inclure dans le champ d’application de la directive l’ensemble des services de médias audiovisuels quel que soit leur mode de diffusion. Parmi ces services, il faut distinguer les services linéaires et les services non linéaires. Les premiers, déjà couverts par l’actuelle directive, correspondent aux services dont le contenu est acheminé de manière continue vers le téléspectateur, qui le reçoit passivement. Les seconds sont les services audiovisuels à la demande dont le contenu est accessible à tout moment par les utilisateurs. Ceux-ci sont désormais intégrés dans la proposition. En revanche, la correspondance privée, les versions électroniques des journaux, la radio et le commerce électronique sont toujours exclus du champ d’application.
A partir de là, deux niveaux de réglementation sont envisagés. Le premier niveau fixe des principes communs généraux à l’ensemble des services audiovisuels linéaires et non linéaires tels que la protection des mineurs ou la promotion de la diversité culturelle. Quant au second niveau, il est applicable seulement aux services linéaires et reprend les dispositions édictées par l’actuelle directive.
La volonté d’inclure dans le champ d’application de la directive les services non linéaires est une idée partagée par la plupart des États, dont la France. En revanche, certains États dont le Royaume-Uni refusent d’appliquer à ces services les obligations imposées aux services linéaires, notamment les quotas pour la promotion des œuvres européennes. ASSOUPLISSEMENT DES RÈGLES DE PUBLICITÉ
La Commission propose de simplifier les règles en matière de publicité qui ne seront applicables qu’aux services de médias linéaires.
Les réglementations quantitatives de publicité vont être modifiées. La proposition prévoit de supprimer la limitation quotidienne de publicité, qui est actuellement fixée à trois heures, tout en maintenant néanmoins la limitation horaire à douze minutes. Cette mesure n’est pas accueillie favorablement notamment par les associations de protection des consommateurs qui la juge beaucoup trop permissive.
Il est également prévu de modifier les dispositions concernant les coupures publicitaires des programmes. Alors que l’actuelle directive limite les interruptions des œuvres cinématographiques et audiovisuelles à une par tranche de 45 minutes et qu’elle interdit toute interruption des émissions pour enfants et journaux télévisés d’une durée inférieure à 30 minutes, la Commission souhaite autoriser une interruption par tranche de 35 minutes des œuvres cinématographiques et audiovisuelles, des émissions pour enfants et des journaux télévisés. De plus, elle supprime l’obligation qui imposait un intervalle d’au moins 20 minutes entre chaque interruptions d’un programme.
Les réglementations qualitatives telles que l’interdiction de la publicité clandestine ou la séparation du programme et de la publicité sont elles maintenues comme dans le texte initial.
La mesure qui suscite le plus de réactions est celle prévoyant la légalisation du placement de produits. Cette nouvelle forme de publicité consiste à inclure dans un programme un produit, un service ou une marque commerciale contre rétribution. Une information du téléspectateur est prévue en début de programme. La commission a toutefois posé des restrictions au principes quant aux programmes, puisque les journaux télévisés et les émissions pour enfants sont exclus, et quant aux produits, car l’alcool et la tabac ne doivent pas apparaître. PROMOTION DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE
Sur ce sujet, la Commission propose de conserver les dispositions de l’actuelle directive relatives aux quotas de diffusion et aux obligations d’investissement pour les services linéaires. Néanmoins, elle ajoute une disposition qui prévoit de consacrer un certain pourcentage à des œuvres européennes originaires d’un autre pays. Toutefois, cette disposition ne constitue pas une obligation de « sous quota d’œuvres européennes non nationales ».
La Commission introduit cependant une nouveauté dans ce domaine puisqu’elle propose de soumettre les services non linéaires à la promotion de la diversité culturelle. Sans parler de quotas à proprement dit, les services non linéaires devront contribuer à la production et à l’acquisition d’œuvres audiovisuelles européennes. Cette mesure sera à l’essai pendant quatre ans avant de faire l’objet d’un bilan, établi selon certains critères comme la part d’œuvres audiovisuelles européennes dans les catalogues des services ou la consommation effective par les utilisateurs des oeuvres européennes proposées par ces services.APPLICATION DU PRINCIPE DU PAYS D’ORIGINE
Les dispositions de la directive actuelle sont basées sur le principe du pays d’origine mais cette dernière fait une distinction entre les chaînes communautaires et les chaînes extra communautaires.
Sous couvert du principe du pays d’origine qui soumet une chaîne à la réglementation de son État d’origine, certaines chaînes communautaires pratiquent ce que l’on peut appeler une « évasion réglementaire ». Elles obtiennent une convention dans un État membre doté d’une réglementation assez souple pour pouvoir ensuite être librement diffusées dans des pays ayant une réglementation beaucoup plus stricte notamment en matière de protection des mineurs. Une demande a donc été adressée à la Commission par certains pays pour lutter contre ces « délocalisations abusives ». Toutefois, la Commission n’a pas souhaité faire de modifications de peur de remettre en cause le principe même du pays d’origine, véritable cœur de la directive.
En revanche, pour répondre aux cas problématiques de certaines chaînes extra communautaires, la Commission propose cette fois-ci de modifier les dispositions concernant le principe du pays d’origine. Il est alors question de déterminer de manière plus stricte l’État d’origine d’une chaîne extra communautaire afin de mieux réguler ses activités. Cependant, il ne s’agira pas d’interdire de manière générale la diffusion des chaînes extra communautaires jugées contraires aux principes fondamentaux par certains pays car tous les États membres n’ont pas la même conception de la liberté d’expression.
Cette initiative est une réponse à la demande française suite aux incidents provoqués par la diffusion de la chaîne libanaise Al Manar. Cette dernière avait pu être interdite car elle émettait depuis un satellite relevant du droit français. Toutefois, la Commission n’a pas souhaité que cette situation se reproduise à l’échelle européenne et a préféré prendre des mesures concrètes pour l’éviter. En plus de ces quatre points essentiels, la proposition établie par la Commission ajoute de nouvelles dispositions telles que la reconnaissance d’un droit aux brefs reportages d’actualité d’une durée maximale de 90 secondes pour les services linéaires, l’identification des fournisseurs de services de médias audiovisuels, l’encouragement des États à recourir à la co-régulation et l’obligation de garantir l’indépendance des autorités nationales de régulation.
L’ajout de nouvelles dispositions ainsi que les modifications de certaines règles établissent un compromis entre la réalisation d’objectifs d’intérêt général tels que promotion de la diversité, protection des téléspectateurs ou intégrité des œuvres et la création d’un solide marché européen de l’audiovisuel.
La proposition de directive de la Commission présentée en décembre 2005 doit maintenant être adoptée selon la procédure de codécision qui associe le Conseil et le Parlement. C’est au sein du Conseil que la proposition est étudiée depuis le 30 janvier 2006. Le processus devrait encore durer quelques mois avant l’éventuelle adoption définitive de la réforme de la directive TVSF.

Sources :
– www.europa.eu.int
– www.csa.fr

Céline MIOCHE