BILAN CRITIQUE DE LA LIBERTE DE LA PRESSE EN ALGERIE

L’Algérie passait naguère pour l’un des pays arabes défendant le mieux la liberté de la presse et l’exercice de la profession de journaliste. C’était peut être oublier le contexte difficile de la guerre civile. Car il ne semble plus désormais que ces libertés figurent au premier rang des principes défendus dans ce pays.

Le bilan établi par Reporters sans Frontières pour 2005 est sans appel : l’Algérie apparaît en 129ème place sur le classement mondial, soit dans le dernier tiers des 167 Etats référencés, ayant perdu de plus 34 places depuis 2002. Le pays se classe du coup parmi les Etats les moins respectueux de la liberté de la presse ! La protestation au sein des journalistes se fait de plus en plus vive, face aux différentes méthodes politico juridiques mises en œuvre par le pouvoir pour discipliner la profession.

En effet, de nombreuses réformes, entrées en vigueur ces trois dernières années, ont réduit considérablement l’indépendance des journalistes et la liberté d’exercice de leur métier, soit, de manière générale, la « recherche d’informations ou d’idées ». Pour exemple, la création de nouveaux délits, comme celui d’offense à chef d’Etat ou aux institutions, ainsi que de procédures d’exception spécifiques aux infractions commises par voie de presse, s’avère considérablement attentatoires à la liberté des journalistes, d’autant plus qu’il en est fait très largement usage par la justice.
Les procédures en question sont particulièrement expéditives : ainsi, nul besoin d’une plainte pour engager une action en justice, le parquet étant automatiquement saisi de toute affaire. De plus, elles sont toujours exécutées avec une grande célérité ; il n’est pas rare de voir un directeur de publication passer d’une semaine sur l’autre de la première instance à l’appel, la cassation étant, au-delà, parfaitement inutile. La condamnation est systématique. Le retrait éventuel d’une plainte n’arrête pas la procédure. Enfin, les délais de prescription ont été allongés en matière de diffamation, passant de trois mois à trois ans !
Outre la réforme judiciaire, les garanties ordinairement reconnues aux journalistes s’avèrent inopérantes devant les juges : exception de vérité, bonne foi, secret professionnel,… passent systématiquement à la trappe. Pire encore, le droit à l’humour et à la caricature est qualifié de « pur sarcasme, méritant sanction » selon les dires d’un avocat algérien.
Conséquence logique : le nombre d’affaires de presse s’est considérablement accru, ayant atteint près d’une centaine pour 2005. Dix huit journalistes ont été condamnés à des peines de prison ; pour les autres, les peines d’amendes sont souvent très lourdes.

Suite à ces atteintes répétées, une grande vague de contestation commence à voir le jour en Algérie, de la part des journalistes professionnels. Beaucoup témoignent d’une certaine aigreur à l’égard du pouvoir actuellement en place, lequel s’était pourtant engagé en faveur de la liberté de la presse. Abdelaziz Bouteflika lui même avait affirmé sa volonté de ne jamais porter plainte pour diffamation à l’encontre d’un journaliste… promesse tenue, puisque la plainte n’est pas nécessaire pour sanctionner une offense à chef d’Etat ! Au-delà de « l’instrumentalisation » de la justice, c’est donc surtout le sentiment d’avoir été eux-mêmes « instrumentalisés » qui provoque la colère des journalistes algériens.

Après avoir été l’alliée fidèle du régime pendant des années (même parfois au prix d’un silence volontaire), la presse écrite algérienne se trouve maintenant être son otage. Elle est de plus délaissée par le lectorat, qui a considérablement diminué depuis une vingtaine d’années, préférant les nouveaux médias audiovisuels… dont la fidélité au pouvoir semble lui assurer encore de beaux jours devant lui.

Sources :
http://www.lemonde.fr , 09 mars 2006 ;
– site web de Reporters Sans Frontières ;
– Chronique « La liberté de la presse en Algérie en trompe l’œil », par Djamaldine Benchenouf, octobre 2005, http://www.algeria-watch.org .

Philippe MOURON