PREMIER EXAMEN EN JUSTICE DES LICENCES CREATIVE COMMONS

Pour la première fois depuis leur lancement, une licence Creative Commons est passée au crible de la Justice ; cela établit un début de jurisprudence pour ces nouveaux contrats de droit d’auteur. La construction d’un régime propre nécessitera d’autres décisions, déjà fort attendues par les membres de ladite organisation.

Celle qui vient d’être rendue sur ce sujet l’a été par une juridiction hollandaise. Le litige opposait un magazine people, Weekend, à Adam Curry, ancien vidéo jokey sur MTV, connu également pour avoir popularisé le podcasting. Ce dernier reprochait à l’hebdomadaire d’avoir reproduit des photos de sa propre fille sans son autorisation. Lesdites photos avaient été publiées par leur auteur sur Internet, sous une licence Creative Commons. Les termes en étaient les suivants : Paternité – Pas d’utilisation commerciale – Partage à l’identique. En conséquence, toute personne pouvait réutiliser la photo et la modifier, sous réserve : de mentionner l’auteur d’origine ; de ne pas en faire d’utilisation commerciale ; de la partager, si elle a été modifiée, selon les mêmes conditions que la licence d’origine.

Le magazine Weekend, en publiant ces photos, n’a pas respecté la deuxième condition. Dans la logique Creative Commons, tout ce qui n’est pas interdit par l’auteur est autorisé ; c’est le concept du « certains droits réservés ». A l’opposé, le « tous droits réservés » caractérise le droit d’auteur classique ; l’auteur doit autoriser au cas par cas les exploitations de son œuvre, tout le reste étant interdit. Mais cette logique-là subsiste aussi pour Creative Commons ; elle s’applique à toutes les utilisations que l’auteur s’est réservé dans la licence. Dans le cas présent, l’utilisation commerciale était réservée. Mais cette clause devait-elle s’imposer au magazine Weekend, qui n’avait nullement connaissance de cette licence, et qui y avait encore moins consenti ?

Toute la question était de confirmer ou d’infirmer la force obligatoire des licences en question. En effet, l’un des principaux points qui fait débat à leur sujet est justement l’absence de rencontre des consentements. Selon les termes des licences, le simple fait d’utiliser l’œuvre vaut acceptation de leurs clauses. Beaucoup de juristes ont douté de la validité de ce dispositif, dans lequel les parties à un contrat ne se rencontrent pas, et où le consentement n’est pas exprès. Le jugement allait donc être un test pour les commonists !

L’examen de passage sera finalement réussi. Ainsi, la Cour a confirmé l’application des principes de force obligatoire et de respect de l’engagement personnel, même tacite, à la licence concernée. Elle a balayé les arguments du défendeur, qui invoquait l’absence d’information claire et précise sur ses droits et devoirs, autre point débattu. La Justice a donc confirmé la logique proposée par Creative Commons ; elle donne force obligatoire aux licences, qui sont indissociablement attachées à une œuvre, et consacre le consentement tacite. L’application desdites licences se fera donc indépendamment de toute information et de tout consentement exprès du licencié.

La décision renverse ainsi le devoir d’information et le met à la charge de ce dernier. Une grande instabilité juridique risque de se développer, dès lors que toute personne peut se retrouver liée par une licence sans même le savoir. Espérons que le langage symbolique développé par Creative Commons, et attaché à toute œuvre, soit suffisamment popularisé pour éviter ce genre de situations.

Source : http://news.com.com

Philippe MOURON